« 87 % de mon troupeau limousin est naturellement sans cornes »
TNC le 26/04/2024 à 04:58
Au nord de la Meurthe-et-Moselle, Jean-Marc Chenut travaille le gène sans cornes depuis près de 15 ans. Avec un peu de patience, l’agriculteur est parvenu à améliorer le potentiel génétique de son troupeau, tout en augmentant la part de vaches sans cornes.
Derrière sa belle moustache, Jean-Marc Chenut est piqué à la limousine. Passionné par la génétique, l’éleveur de Meurthe-et-Moselle travaille le sans cornes depuis 2010. Et ce n’est pas dans le bassin limousin, mais outre-Rhin, que le sélectionneur trouve ses pépites.
Tout a démarré avec Tigri PP. Un taureau homozygote sans cornes allemand acheté par des éleveurs français. « J’ai eu accès à quelques doses, il y a 15 ans, et je me suis dit que c’était un filon à creuser », résume Jean-Marc. Et pour cause, les Allemands ont une longueur d’avance sur les animaux polled — ou sans cornes. « Là-bas, les éleveurs doivent faire venir leur vétérinaire pour l’écornage, alors autant dire que les centres génétiques se sont vite mis à repérer les porteurs du gène ».
Car personne n’aime écorner. « Je me suis rapidement dit qu’il y aurait un marché pour ces animaux, ne serait-ce que pour une question de bien-être animal ».
La sélection a rapidement dispensé l’éleveur de la corvée. Sur 130 vêlages, Jean-Marc n’a écorné que 7 femelles l’année dernière. « Pour les mâles, je laisse les cornes. Comme ça, il n’y a pas d’ambiguïté pour la vente de reproducteurs ».
Mais le gène a mis un peu de temps à s’imposer dans l’Hexagone. « En France, on aime bien les grands guidons », sourit l’éleveur. « Quand je me suis lancé, on m’a dit que j’allais mettre mon troupeau en l’air ». Le sans cornes a longtemps été éloigné des standards de races.
Après dix ans de sélection, l’éleveur ne regrette pas. 87 % de ses bovins sons naturellement sans cornes, et il a gagné 10 kg de carcasse par génération sur ses réformes.
Préserver la diversité génétique
Dominant, le gène est à manier avec parcimonie. « Pour préserver la diversité génétique de mon troupeau, et surtout ses performances, je n’ai pas empilé homozygote sur homozygote », explique Jean-Marc. La pratique aurait permis d’avoir un troupeau sans cornes rapidement, mais l’agriculteur y aurait perdu en diversité. Sa politique : mettre du sans cornes sur du cornu, et du cornu sur du sans cornes. Environ 30 % de taureaux cornus sont utilisés chaque année pour proposer de nouvelles lignées. « Il faut que j’arrive à proposer différentes souches à mes clients pour éviter la consanguinité ».
Pour ce faire, l’agriculteur mise sur les taureaux d’IA. Une dizaine de reproducteurs sont utilisés chaque année. « Une manière de gérer les accouplements à la vache, pour avoir le meilleur produit possible ». Mais pour la première fois en 2024, Jean-Marc a gardé trois taureaux issus de son exploitation. Tous homozygotes de lignées différentes, l’agriculteur voulait bénéficier des produits de ses reproducteurs. « Ils sont de lignées assez spécifiques que je voulais garder pour mettre sur mes vaches. Après je les vendrai ».
Car il y a un vrai marché pour le sans cornes, avec des prix parfois édifiants. Mais faut-il encore que les taureaux aient d’autres attraits. « On voit des taureaux moyens se vendre à prix d’or par le simple fait qu’ils sont sans cornes », commente l’agriculteur. Pas question pour lui de tomber dans ce travers.
Mieux vaut un bon taureau cornu, qu’un mauvais taureau sans cornes.
Sur les 70 mâles nés l’année dernière, l’éleveur a identifié 15 homozygotes sans cornes, et 40 hétérozygotes. Pas question pour autant de tous les proposer sur le marché de la reproduction. Seuls une vingtaine ont eu ce privilège. « Je veux avant tout vendre des veaux avec un bon potentiel de croissance, et de la facilité de vêlage ». En bref, mieux vaut un bon taureau cornu, qu’un mauvais taureau sans cornes.
Pour les ventes, les homozygotes potentiels sont génotypés sur le gène. « Comme ça, j’apporte la certitude de l’homozygotie à l’acheteur ». Pour les autres, il se fie aux index. « Comme le gène est dominant, c’est assez facile d’identifier les porteurs ». Pas question pour Jean-Marc d’adhérer au Herd-Book. « Inscrire 130 vaches, c’est un coût, et mes acheteurs me font confiance sans cela ».
L’éleveur travaille également le gène culard. « J’ai un beau petit hétérozygote culard cette année. Encore un peu et il avait le combo gagnant » apprécie l’éleveur, qui trouve en Belgique un débouché pour ce genre d’animaux.
D’ici quelques années, le troupeau de Jean-Marc devrait talonner les 100 % d’homozygotes. « Ça n’est pas particulièrement ce que je recherche, mais à force de privilégier ce caractère, ça va forcément se produire ». Mais qu’importe, pourvu que la performance du troupeau reste au rendez-vous.