« J’aime analyser, mon père fonce : se connaître avant de s’associer »
TNC le 30/04/2025 à 04:32
Avant que Lucas ne rejoigne l’élevage laitier familial, début janvier 2025, ses parents et lui ont réalisé une étude de personnalité afin de mieux comprendre comment chacun fonctionne. Garantir une bonne entente et éviter les conflits étaient essentiels pour le futur éleveur qui, à peine installé, a une vision très claire des orientations pour l’exploitation à court et plus long termes.
Lorsque nous l’avons rencontré aux Rallyes de l’Ambition, organisés début mars par l’union de coopératives Yséo et Novial SA, Lucas Septier, 25 ans, était installé depuis moins de deux mois, en polyculture-élevage laitier à Maizicourt, près de Doullens dans la Somme. Et pourtant, il avait déjà une idée très précise sur la stratégie technico-économique de son exploitation. Il a rejoint ses parents sur la ferme familiale en 2020, un peu plus rapidement qu’il ne l’imaginait, sa mère blessée étant en arrêt de travail pour trois mois.
Une phase de salariat pour préparer le projet
Salarié pendant quatre ans (après un bac S, un BTS Acse et un CS lait pour « acquérir un peu plus de technicité en élevage, sur les rations en particulier »), « avec des responsabilités sans être engagé sur le papier », précise-t-il, il s’est associé en Gaec avec eux début janvier.
« Cette phase de salariat m’a permis de maîtriser le fonctionnement de la structure, même si j’y suis tout le temps depuis que je suis petit, de prendre le temps de construire mon projet d’installation dans l’élevage et de préparer les premières évolutions, explique-t-il. Finalement, son retour plus tôt que prévu a été bénéfique sur ces différents points.
Une étude de personnalité pour une bonne entente
« Surtout, c’était très important pour moi, j’ai pu anticiper l’entente avec mes parents, voir comment ils fonctionnaient, historiquement en couple, et comment un jeune avec des idées nouvelles pourrait trouver sa place. D’autant qu’avec mon père, il y a parfois des tensions », poursuit-il.
Malgré leur lien de parenté, et même s’ils se connaissent bien, les futurs associés ont réalisé une étude de personnalité avec le CER France Picardie Nord-de-Seine. Au départ d’un salarié en 2014, l’exploitation avait déjà effectué un diagnostic avec le CER France Somme sur la main-d’œuvre et la charge de travail.
Trouver un équilibre au sein du Gaec.
Contrairement à ce qu’on pense souvent, c’est le jeune le plus posé et le père le plus fonceur. « Avant de lancer un projet, j’aime bien analyser, voir si ça passe au niveau des chiffres, avoir une garantie de rentabilité. Prendre des risques inutiles n’est pas trop mon truc. Nous sommes quand même sur une grosse structure qui concentre beaucoup de capital », détaille le jeune éleveur.
« Lui a tendance à y aller tête baissée, à regarder après la viabilité économique et à réajuster les choses au fur et à mesure et selon les aléas », illustre-t-il. « Ce travail nous a aidés à nous adapter les uns aux autres et à instaurer un équilibre au sein du Gaec », indique-t-il encore. L’arrivée de Lucas a été l’occasion de tout remettre à plat pour partir sur de bonnes bases. Une attention particulière est, entre autres, portée à la communication.

Des objectifs clairs dès l’installation
« Nous avons ainsi bâti une vision commune pour l’avenir », appuie-t-il. Principaux objectifs : pas d’augmentation de surface, un peu en production laitière (jusqu’à 2 Ml maximum), sans trop alourdir la charge de travail. « Aujourd’hui, avoir du temps libre est pour nous essentiel : tous les jours, 7 jours sur 7, 24 h sur 24, sur la ferme, ce n’est pas vivable ! »
Veiller à la charge de travail.
« Notamment parce que nous avons tous des responsabilités professionnelles et sommes absents en moyenne un jour/semaine », poursuit-il. Le jeune homme est secrétaire général adjoint de Jeunes Agriculteurs au niveau départemental. Côté loisirs, il pratique la chasse.
Anticiper le départ des parents et l’arrivée du frère
En système robotisé depuis 2015, les robots sont à changer et seront renouvelés d’ici deux ans. Lucas réfléchit d’ores et déjà au départ en retraite de ses parents, dans une quinzaine d’années. « Une problématique « main-d’œuvre » va se poser, surtout que notre salarié, à plein temps, est dans les mêmes âges », relate le jeune exploitant.
Ça ne se fait pas en claquant des doigts !
Son petit-frère Gaëtan va sans doute s’installer dans l’élevage, mais l’idée est malgré tout d’automatiser davantage l’exploitation, l’alimentation principalement, et à plus court terme de réaménager la nurserie, car les veaux manquent de place, et de s’équiper d’un Dal.
« Tout ça ne se fait pas en claquant des doigts, une anticipation de cinq à dix ans est nécessaire », souligne le jeune producteur. Avant toutefois, rebelote pour une étude de personnalité, afin de « savoir si on se met en société, ou si on crée deux structures distinctes, et si on travaille ensemble ou pas. Des fois, il vaut mieux être chacun chez soi que de se fâcher et ne plus se parler ».

Salariés/apprentis : former et donner des responsabilités
Au niveau du collectif de travail, les exploitants s’appuient sur l’apprentissage. Plusieurs jeunes se sont succédé sur la ferme, avec quelques mauvaises expériences, des personnes qui n’étaient pas très motivées. Le dernier en date, en BTS, est là depuis le mois de juillet. « Quelqu’un en études supérieures est peut-être plus ouvert d’esprit. Avec un bac agricole au préalable, il a pas mal de connaissances dans le domaine. Et nous sommes tombés sur un passionné. Malheureusement, il ne restera pas, il veut être inséminateur. »
On leur demande : « et toi, comment tu ferais ? »
Lucas insiste sur l’importance de former les apprentis et de leur donner des responsabilités. « Après 4-5 mois de formation, nous avons laissé plus d’autonomie, sur la vaccination des veaux pour commencer. Pour le motiver, nous lui faisons conduire le tracteur, la plupart des apprentis adorent ça. »
« Il voit qu’on lui fait confiance, qu’on essaie de l’intégrer à la structure. » Les éleveurs procèdent de même avec le salarié. Ils sollicitent l’avis de l’un et l’autre sur les projets techniques, par exemple sur l’élevage des veaux, la reproduction, etc. « Nous leur demandons : « et toi, comment tu ferais ? » »
Optimiser alimentation et génétique/se diversifier
Autres points auxquels Lucas et ses associés réfléchissent : baisser encore le taux de renouvellement, déjà descendu de 50 à 36 % en 10 ans, et limiter l’impact de la maladie de Mortellaro, dont ils « n’arrivent pas à se débarrasser », via « un travail quotidien pour renforcer les pattes ».
Il s’agit également d’optimiser l’alimentation avec des fourrages de qualité – faire en sorte que les vaches utilisent mieux l’ensilage et produisent plus de lait – et la génétique à travers un programme GHP (génétique haute performance), le génotypage, le sexage des meilleures génisses, les croisements terminaux. « Nous visons l’amélioration significative des performances des génisses et cherchons à adapter les taureaux à chaque bête bien sûr et au microcosme de la ferme. »
Les producteurs souhaitent, par ailleurs, se diversifier pour « dégager de la valeur ajoutée ». Suite à une étude de marché, ils vont développer un atelier pommes de terre de consommation, en déléguant à l’extérieur la plantation et l’arrachage pour que ce ne soit pas trop chronophage.
« Les craintes des jeunes sont économiques »
« Nous ne ferons que les traitements. À côté, il y a quand même les vaches et pas mal de surface à s’occuper. » Ils envisagent, en outre, d’augmenter un peu la production de lin. « Ma culture préférée, de cœur ! », s’exclame l’agriculteur. Et projettent d’investir dans une nouvelle presse pour cette culture afin de proposer, en plus, de l’entraide et de la prestation de services.
Si on le questionne sur les perspectives et freins de l’installation en élevage, Lucas Septier repond que les principales craintes des jeunes éleveurs sont aujourd’hui économique. « Même si le prix du lait est actuellement plus rémunérateur, nous avons vu nos parents galérer en 2015-2016 », suite à la suppression des quotas laitiers, se souvient-il. Et celui-ci peut redescendre brusquement.
« Malheureusement, les crises passées ont fait un « tri » drastique parmi les producteurs. Ceux, qui restent ou qui s’orientent vers le métier d’éleveur, croient en son avenir ! », lance Lucas. L’autre inquiétude concerne la main-d’œuvre et « la peur de se retrouver seul sur l’exploitation », donc « d’y être tous les jours sans moment de répit ».