« J’ai investi dans un atelier de découpe pour valoriser mon système extensif »
TNC le 28/12/2022 à 05:04
En 2006, Patrick Haudebourt a investi dans son premier outil de transformation afin de valoriser ses bovins élevés et engraissés à l'herbe. En quinze ans de transformation bouchère, l'éleveur a vu le marché de la viande évoluer vers des produits de plus en plus qualitatifs. Son astuce pour faire perdurer son activité de vente directe : s'adapter sans cesse aux envies des consommateurs.
Patrick Haudebourt, éleveur de vaches allaitantes bio dans le Pays-de-Bray (60), s’est lancé dans la vente directe suite à la crise de la vache folle. « J’avais des bœufs dont personne ne voulait, et il fallait que je trouve une solution pour libérer mes pâtures » explique l’éleveur, qui a dans un premier temps sous-traité la découpe à l’abattoir d’Amiens.
De là est venue la volonté de maîtriser davantage la chaîne de production pour commercialiser à sa juste valeur le fruit de son exploitation. Avec un système extensif et des animaux exclusivement nourris à l’herbe, « difficile de trouver une valorisation intéressante auprès des marchands de bestiaux ». Si ce genre de produit répond en théorie aux attentes des consommateurs en terme de bien-être animal, les bovins sont également moins lourds et moins gras que ce que l’on retrouve dans un élevage traditionnel. « J’ai des poids de carcasse autour de 400-450 kg, alors que s’ils avaient été à l’auge. Le système de notation des carcasses ne permet pas de valoriser ce type d’élevage », déplore Patrick Haudebourt.
De 90 à 300 m² de laboratoire
En 2006, l’éleveur a entrepris l’aménagement d’un atelier de transformation dans un ancien bâtiment de l’exploitation, comprenant une chambre froide, une salle de découpe, une cuisine et un surgélateur. « Concernant les travaux, j’ai tout fait moi-même » résume l’éleveur. « Aujourd’hui, il faut compter a minima 80 000 € pour un atelier de découpe de ce type (sans la couverture), en optimisant au maximum sa construction. » Pour démarrer, le minimum est de disposer de sanitaires ainsi que d’un vestiaire, d’une chambre froide pour les carcasses ainsi que d’une pièce de découpe. Il est possible de réaliser les transformations (viande hachée, saucisses) dans la salle de découpe à condition de nettoyer les lieux entre les différentes opérations. Le matériel de boucherie reste assez onéreux, mais des petits modèles ainsi que du matériel d’occasion restent abordables : « il faut compter environ 3 000 € pour une sous-videuse, 1 000 € pour un hachoir, un peu plus de 2 000 € pour une chambre froide ». Mais l’agriculteur en convient, « il est difficile pour un éleveur de se lancer dans la boucherie. Le moindre bovin, c’est 280 kg de viande à écouler, il faut trouver la clientèle, alors que beaucoup de Français consomment moins de 500 g de viande rouge par semaine ! »
Après le confinement, Patrick Haudebourt a fait le choix de réinvestir dans un outil plus grand pour développer le travail à façon. « Nous sommes passés d’un outil en marche en avant* dans le temps, à une marche en avant dans l’espace », explique l’agriculteur qui s’est doté en plus des chambres froides et des pièces de découpe, d’un salle réservée à la charcuterie froide, à la charcuterie chaude ainsi que d’une salle d’étiquetage.
Externaliser la commercialisation
« On a fait le choix de ne pas ouvrir de magasin. » Cette stratégie lui permet de limiter les astreintes – « seul sur la ferme, je ne me voyais pas tenir un magasin, où ça aurait été au détriment de la vie de famille » – mais qui présente également ses inconvénients. « Lorsqu’on fait du dépôt vente, on a deux clients, le revendeur et le client final et les exigences sont décuplées, sans évoquer la guerre des prix entre producteurs ». L’éleveur écoule ainsi la majorité de ses produits via « La ruche qui dit oui » et « Locavor.fr » en région parisienne sous l’appellation « Saveur des prairies ». Il bénéficie également d’une implantation locale dans des magasins de producteurs du Pays-de-Bray.
Proposer ce dont le client a besoin
Patrick Haudebourt écoule maintenant un peu plus de 25 bovins par an et effectue de la prestation de découpe auprès d’autres éleveurs, un rythme de production qu’il a pu atteindre en cernant les besoins des consommateurs. Sa doctrine : « proposer ce dont le client a besoin, et pas ce qui est le plus pratique pour soi. » Une manière de s’adapter aux évolutions des modes de consommation. « Par le passé, on mangeait du « rôti première » le dimanche, et de la viande moins tendre en semaine. Aujourd’hui il n’y a plus de marché pour le « rôti seconde » » estime Patrick Haudebourt, qui a vu peu à peu les exigences des clients évoluer. Il y a 15 ans, l’éleveur écoulait la moitié des avants en pièces pour pot-au-feu et bourguignon, la quasi totalité du quartier est maintenant valorisée en viande hachée.
L’éleveur cherche alors à se démarquer de la concurrence en proposant des produits de qualité. « Si l’on vend du plat de côte pour le pot-au-feu sans le travailler, on vend 20 à 25 % de déchet au client. Mais aujourd’hui, les consommateurs ne veulent plus de gras dans l’assiette, alors je propose des produits un peu plus chers, mais sans déchet ».
Maîtrise la découpe et l’équilibre carcasse
Avec une vache écoulée toutes les deux semaines, il lui arrive de refuser certains morceaux faute de stock : « la côte de bœuf est affichée à 45 €/kg, c’est cher mais la rareté fait le prix, et il y a suffisamment de clients pour que ça parte… ».
Si Patrick Haudebourt reste propriétaire de l’atelier, il peut compter sur l’expertise d’un boucher pour réaliser la découpe, ainsi que sur une équipe de 8 salariés : « La formation ne suffit pas, la découpe du bœuf est difficile et demande de l’expérience pour savoir comment valoriser chaque morceau et identifier les pièces les plus tendres pour les grillades ».
* La marche en avant dans l’espace est un fonctionnement selon lequel les denrées propres n’empruntent pas le même circuit que les denrées sales. A défaut, la marche en avant dans le temps peut être choisie. Dans ce cas, les produits de différents niveaux de propreté sont traités en décalé dans un même lieu, après un nettoyage préalable.