« Un bon investissement est viable, vivable et transmissible »
TNC le 04/06/2020 à 08:38
Parce que l'installation en bovins lait mobilise des capitaux de plus en plus élevés, le CER France a voulu savoir plus précisément, via une étude, la nature et le niveau d'investissement des jeunes éleveurs dans plusieurs bassins laitiers. Malgré des enjeux différents, il semble important partout de « porter un autre regard sur l'investissement » car la capitalisation ne peut plus atteindre « 100 % à chaque génération ». Au contraire, les jeunes doivent « raisonner et personnaliser davantage leurs choix pour en être acteurs » et préserver l'équilibre économique de leur ferme.
La première partie de cet article, présentant les objectifs de l’étude et le début des résultats, est à retrouver ici :
S’installer en élevage laitier (1/2) – 1 000 € de capital pour produire 1 000 l de lait
Une capitalisation forte et rapide
Quels que soient le bassin de production et le volume total produit, elle est supérieure par rapport aux autres producteurs de :
+ 200 €/1 000 l de lait
+ 1 270 €/actif/1 000 l
+ 30 %/UMO de 170 000 à 225 000 € investis
« La capitalisation en élevage laitier s’effectue par palier. Les économies d’échelle existent certes mais ne sont que partielles », note le CER France. Augmenter la production de lait permet des gains de productivité mais accroît également les besoins de main-d’œuvre. »
D’ailleurs, l’étude montre que les investissements ne peuvent les compenser que « partiellement ». Le centre d’économie rurale Normandie/Maine a notamment comparé près de 300 exploitations laitières équipées d’un robot de traite avec 600 environ qui n’en possèdent pas : les premières produisent 6 % de lait en plus pour 13 % d’actif supplémentaire par UTH. Si le niveau de capital est important pour s’installer en élevage laitier partout en France, les enjeux, eux, diffèrent selon les endroits. « Le challenge en plaine est de développer l’atelier laitier sans investir trop fortement » alors qu’en zone de montagne, il s’agit de « diluer les investissements dans des systèmes extensifs de petite taille », explique le CER France.
Dans les régions montagneuses avec des productions à forte valeur ajoutée, « le contexte est en règle générale porteur et lisible à moyen terme (un peu moins actuellement sans doute avec l’impact négatif de la crise sanitaire du Covid-19 sur la consommation de fromages AOP, NDLR) avec une dynamique d’investissement soutenue ». Il faut donc « trouver le bon équilibre entre l’image de l’entreprise et le surcoût d’investissement que cela génère ». Attention, par ailleurs, à prendre en compte le « poids croissant des astreintes de travail, la nouvelle génération d’éleveurs ayant des exigences en termes de congés et de temps libre (remplacement) », prévient l’organisme agricole.
Trouver l’équilibre entre capital et rentabilité
« Au moment de l’installation, les jeunes producteurs laitiers se préoccupent du financement de leurs achats (cheptel, bâtiment, matériel, etc.) mais pas assez de leur rentabilité, poursuit-il. Le retour sur investissement moyen que nous observons est de 17 ans (cf. graphe ci-dessous). L’objectif est de le ramener à 10 ans pour limiter les risques financiers. »
En zone de plaine comme de montagne, il est inférieur à cette valeur pour un peu moins de 40 % des exploitations et dans les régions montagneuses à forte valeur ajoutée, pour un peu plus. L’écart se creuse ensuite avec cette catégorie d’élevages : 40 % ont un retour sur investissement de 10 à 15 ans contre un peu plus de 20 % en plaine et presque 30 % en montagne ; seuls 7 % dépassent 20 ans dans le premier cas contre 20 % dans les deux autres. La politique d’investissement menée majoritairement dans les deux premiers bassins de production semble donc plus risquée que dans le troisième.
Le retour sur dettes moyen, lui, s’élève à 8 ans avec un taux d’endettement de 55 % et des annuités de 98 €/1 000 l de lait. Le CER France met en garde : « Plus le taux d’endettement grimpe et plus la flexibilité pour réagir aux aléas diminue. » La comparaison du résultat courant par UTH entre la 1ère et la 3e année suivant l’installation révèle qu’il s’est amélioré de 20 % en zone de montagne à forte valeur ajoutée (égal à 20 800 € en N+3), mais dégradé de 20 % en montagne simple (11 500 €) et de 30 % en plaine (14 300 €), en raison d’un meilleur prix du lait dans la première situation et « d’une conjoncture défavorable malgré des gains de productivité » dans la seconde, où « les amortissements sont aussi plus lourds ».
En moyenne pour les jeunes éleveurs laitiers de l’étude :
– Retour sur dettes de 8 ans.
– Taux d’endettement de 55 %.
– Annuités de 98 €/1 000 l de lait.
– Résultat courant/UTH (N+3/N+1) :
+ 20 % en montagne à forte valeur ajoutée (bon prix du lait)
– 20 % en montagne simple, – 30 % en plaine (conjoncture défavorable, amortissements lourds)
> Un écart de 25 000 €/UTH entre les éleveurs les plus et les moins performants lié à 60 % au niveau de maîtrise technique
> Dans le rouge à partir de 1 900 € d’actif/1 000 l
Attention à avoir : valeur ajoutée/produit = 20 % au moins
« Dans tous les bassins de production, l’écart entre les jeunes éleveurs les plus et les moins performants se monte à 25 000 €/UTH. Au-delà de 1 900 € d’actif/1 000 l de lait, le niveau de résultat est inférieur à 12 000 €/UTH. Toutefois, c’est la maîtrise technique qui explique 60 % de la différence de performance, ajoute le CER France. Avant d’investir, mieux vaut s’assurer que le ratio valeur ajoutée/produit atteigne au minimum 20 % pour ne pas pénaliser les résultats économiques derrière. En dessous de ce seuil, quelle que soit la politique d’investissement, la rentabilité ne sera pas là. » Quant au prix du lait, il impacte bien sûr la politique d’investissement mais 12 à 18 mois plus tard. En outre, plutôt que de suivre son évolution, « les nouveaux installés se réfèrent d’abord à leur projet », fait remarquer le CER France.
Des investissements supérieurs aux prévisions
Sur 13 fermes examinées de plus près, alors que la production laitière prévue est globalement réalisée, 11 ont été au-delà du budget d’investissement à l’installation qu’elles s’étaient fixées, en moyenne de 25 % ! Et le responsable n’est pas le coût alimentaire comme on pourrait le penser mais le poste traction ! Tous les dossiers étudiés comprenaient l’acquisition d’un tracteur et 70 % ont dépassé de plus de 60 % le budget prévisionnel pour cet achat, effectué pour des raisons davantage psychologiques (plaisir, regard des autres) que pour répondre à un réel besoin.
La solution serait peut-être « de porter un autre regard sur l’investissement ». « L’approche doit être à la fois financière et stratégique : avant d’investir, chaque jeune doit se demander au préalable ce que cela lui apportera au niveau technique, ou économique et/ou encore concernant l’organisation et la charge de travail, et surtout s’il a la capacité financière pour « s’offrir » cet équipement, sans quoi la rentabilité de l’exploitation (efficacité économique, résultat courant/UTH) pourrait en prendre un coup. » Là encore, tout est une question d’équilibre financier et économique et il faut tenir compte des coûts de production, analyser le risque et ne pas se laisser influencer par la conjoncture réglementaire (montant de la DJA, subventions diverses), sa famille ou ses émotions.
Concrètement, le ratio annuités/EBE doit être en dessous de 120 €/1 000 l de lait et le retour sur dettes plus faible que la durée de remboursement. Il convient également d’analyser le coût marginal de l’unité produite et du temps gagné, puis de veiller à ce que le taux de rentabilité interne de l’investissement reste plus bas que le taux d’emprunt. « Un bon investissement est viable, vivable et transmissible, c’est-à-dire qu’il doit permettre de produire à un coût de production qui respecte les équilibres de marchés et les ambitions de rémunération, tout en assurant l’équilibre entre vie professionnelle et privée. » Il doit également servir à maintenir l’exploitation suffisamment attractive, mais pas trop, pour une transmission plus facile et à un prix raisonnable.
Quelques chiffres clés pour maîtriser ses investissements à l’installation :
– Annuités/EBE < 120 €/1 000 l de lait
– Retour sur dettes < Durée de remboursement
– Taux de rentabilité interne investissement < Taux d’emprunt
« Il ne faut pas confondre investissement souhaité et souhaitable », conclut l’analyse du CER France. Plusieurs leviers peuvent aider à y parvenir tels que l’externalisation des capitaux, le choix d’équipements plus simples et plus économes ou la mutualisation des moyens de production, lesquels seront détaillés dans de prochains articles. Il convient de retenir cependant que si « la capitalisation peut être rapide et intense chez les jeunes éleveurs laitiers, il existe des trajectoires porteuses d’investissement qui réussissent, tout comme d’autres qui en engagent peu et qui échouent ». De plus, il faut comprendre que « la capitalisation à 100 % à chaque génération, c’est fini ». Il faut « personnaliser, raisonner et mettre en cohérence ses choix ». « Chaque jeune doit avoir conscience qu’il en est acteur » quitte à « bousculer la vision culturelle de la transmission des exploitations agricoles ».