À quel point la crise sanitaire a-t-elle bouleversé les marchés laitiers ?
TNC le 02/12/2020 à 06:02
Comme tous les marchés, le marché laitier a subi les répercussions économiques de la pandémie de Covid-19, notamment en raison des restrictions qui ont pesé sur la restauration hors domicile. Néanmoins, la situation s’avère différente selon les bassins laitiers.
La propagation de la pandémie de Covid-19 en 2020 a provoqué un recul de la production au niveau mondial, avec la plus forte récession économique depuis la seconde guerre mondiale. Sur les marchés laitiers, le beurre a connu un décrochage dès le début des confinements, qui se sont généralisés un peu partout sur la planète, avant de se stabiliser. Le cours de la poudre remonte quant à lui doucement, a rappelé Gérard You, économiste à l’Idele, à l’occasion d’un webinaire organisé le 26 novembre par l’Aftaa. Si l’on retrouve le niveau de l’année dernière, la situation reste décevante au regard des perspectives positives du début de l’année.
Aux États-Unis, la RHD absorbe autour de 50 % des fromages et beurres
Aux États-Unis, le confinement a eu des conséquences immédiates sur le marché des produits laitiers, puisque le Food service (la restauration hors domicile) absorbe 40 % à 50 % des fromages, et 50 à 60 % du beurre, dans tous les États. On a donc observé des reports de fabrications, des arrêts provisoires de collecte, et un ralentissement de la croissance de la production laitière, avec une chute violente des cours. La marge alimentaire aux États-Unis a fortement baissé entre février et mai (- 50 %), précise Gérard You. Le prix du lait à la production a chuté de 30 % entre février et mai, avant de remonter de + 50 % entre mai et juillet, et connait aujourd’hui un mouvement de tassement.
Pour soutenir les producteurs, l’USDA (le ministère de l’agriculture américain) a mobilisé des aides importantes, avec 16 milliards de dollars pour tout le secteur agricole, comprenant une aide de 137 dollars / tonne sur la production de janvier, février et mars, et trois milliards de dollars ont été mis sur la table pour les achats publics de produits agricoles (dont 317 millions de dollars pour les produits laitiers). Les stocks ont finalement été fortement gonflés au printemps, mais sont désormais résorbés sur la poudre maigre grâce à un marché très demandeur. Ils restent importants en beurre.
Impact plus modéré en Chine
En Chine, le confinement a modifié la consommation, avec une forte baisse des ventes de produits laitiers haut de gamme, habituellement destinés aux cadeaux, et une augmentation des ventes de produits laitiers en ligne, notamment sur Alibaba qui a connu une croissance de + 83 % en volume sur le 1er trimestre.
Du côté de la production, les difficultés de circulation sur les routes ont généré des problèmes de livraison et d’approvisionnement en intrants et certaines fermes n’ont pas pu être collectées. Le prix du lait a donc chuté début 2020 (- 8 % entre janvier et mi-mai), et connait depuis un rebond important. Les importations ont été peu impactées : celles de poudre grasse et de PLE ont baissé, probablement en lien avec des stocks nationaux plus importants, mais celles de poudre de lactosérum ont augmenté, principalement au bénéfice des États-Unis.
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Situation correcte en Nouvelle-Zélande
Dans ce bassin laitier, le début d’année correspond à la baisse saisonnière de la production, ce qui a limité les impacts de la crise sanitaire. Les exportations sont restées robustes, avec une baisse très limitée sur l’ensemble des catégories de produits. La production est repartie à la hausse avec un prix du lait correct et des conditions climatiques très favorables.
UE : dynamisme à peine ralenti de la production laitière
Au sein de l’Union européenne, le confinement a également entraîné une fermeture de la RHD, mais cette dernière ne représente pas un débouché majeur pour les produits laitiers dans la plupart des pays. De plus, un report de la consommation s’est effectué vers les ménages. Ainsi, le dynamisme de la production laitière s’est trouvé « à peine ralenti », indique Gérard You. En dehors des fromages, les stocks restent globalement faibles, et le dispositif européen d’aide au stockage a d’ailleurs peu fonctionné en volume. Au final, dans les différents pays, des dispositifs d’aides ont contribué à soutenir la consommation et la demande des importateurs est restée stable
En France : gérer la modification brutale des débouchés
En France, la crise a entrainé de très fortes variations sur les matières premières, variations qui sont restées modérées sur le prix du lait (de l’ordre de 1 à 4 % depuis mars), mais qui sont extrêmement décevantes pour les éleveurs au regard des perspectives positives du début d’année, explique de son côté Benoit Rouyer, économiste au Cniel.
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Si le manque à gagner a été manifeste pour les producteurs laitiers, contraints de réduire leur production au moment du pic de collecte, la gestion de la crise s’est aussi avérée difficile au regard de la modification brutale de la structuration des débouchés. Lors du premier confinement, deux familles de produits alimentaires ont bénéficié d’une dynamique d’achat en forte hausse : les produits de longue conservation (épicerie sèche, surgelés) et les produits de base, ce qui a profité aux produits laitiers comme la crème, le beurre, le lait, et entraîné des transferts conséquents entre les débouchés.
Ainsi, le lait UHT, dont la consommation est en recul depuis plusieurs années, a connu une hausse des fabrications de l’ordre de 2 % début 2020. À l’inverse, les fromages à pâte filée, très utilisés dans la restauration commerciale, sont en recul de 15 % sur les neuf premiers mois de 2020. Les fromages AOP et IGP ont cependant été particulièrement touchés par la fermeture de la RHD et des rayons à la coupe, et certains fromages, très consommés en hiver, risquent également de subir les conséquences du deuxième confinement et d’une faible fréquentation des stations de ski.
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Aujourd’hui, les achats de produits laitiers en magasin (lait UHT, fromages en libre-service) restent à des niveaux plus élevés qu’avant la crise. Cependant, pour Benoît Rouyer, « la pandémie n’a pas effacé les tendances structurelles qui existaient avant », comme la concurrence du végétal, l’émergence de protéines alimentaires de synthèse, la traçabilité, ou encore l’exposition des acteurs à la volatilité des prix… « La création de valeur dans la filière laitière reste plus que jamais un enjeu d’actualité », ajoute l’économiste.
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