Après les déserts médicaux, la ruralité confrontée aux déserts vétérinaires
AFP le 08/08/2019 à 11:20
Déplacements non rémunérés, rejet des contraintes, crainte de l'isolement : les vétérinaires ruraux se font de plus en plus rares dans les étables, une nouvelle menace pour des éleveurs français déjà fragilisés par une succession de crises.
Le 26 juillet, le cabinet de Couiza, dans l’Aude, a dû mettre la clé sous la porte, faute de rentabilité, laissant environ 200 éleveurs sans vétérinaire proche. Dans l’Oise, deux cabinets ont fermé récemment, et un autre a averti 75 fermes de sa décision de ne plus les prendre en charge, en raison de difficultés de recrutement.
« Quand vous appelez le vétérinaire, c’est que vous n’avez pas trouvé la solution par vous même. L’animal est en souffrance, le fait de ne pas être sûr d’avoir un vétérinaire quand il faut, c’est stressant, pour un éleveur », explique Luc Smessaert, éleveur dans l’Oise. Il évoque des temps de trajet qui s’allongent à trois quarts d’heure, une heure, entre les vétérinaires et certaines exploitations.
Chaque année, les vétérinaires publient un atlas démographique de leur profession. Dans ce document, que l’AFP a pu consulter, une carte répertorie, par bassin de production, le nombre de professionnels pour 1 000 bovins. Les zones où il y a zéro vétérinaire, colorées en rouge, se sont multipliées cette année, comme les symptômes cutanés d’une maladie infectieuse sur le territoire français.
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C’est le cas dans l’Indre par exemple, « un secteur en souffrance » du Centre/Val-de-Loire, « en gros, le secteur où vous avez de moins en moins d’élevages, et davantage de cultures », résume pour l’AFP Jacques Guérin, président du conseil de l’ordre des vétérinaires.
D’après lui, le problème ne se pose pas dans les régions à forte densité d’élevages. Une sorte de cercle vicieux en somme : de moins en moins d’élevages, fragilisés par les difficultés économiques du secteur, remettent en cause la rentabilité des cabinets vétérinaires, dont la disparition fragilise davantage les élevages. « Dans certains secteurs où l’activité tourne sur un ou deux vétérinaires, ça veut dire être de permanence un week-end sur deux, un soir sur deux, ce sont des secteurs qui sont un petit peu plus difficiles en matière de recrutement », explique Jacques Guérin.
Destins liés
Outre les réticences de certains professionnels à aller pratiquer un vêlage en pleine nuit, l’aspect financier entre également en compte. « Quand vous vous déplacez dans un élevage, surtout en zone de montagne, le temps improductif, c’est-à-dire le temps pendant lequel vous êtes dans votre voiture, est important, et effectivement un temps qui coûte de l’argent », explique Jacques Guérin.
« Sans vétérinaire, il n’y a pas d’élevage, tout simplement, donc nos destins sont liés », estime de son côté Quentin Dupetit, chargé de mission santé animale FNSEA, dans un entretien avec l’AFP. Entre 2016 et 2018, un peu plus de 250 professionnels supplémentaires se sont installés en France. Mais dans le même temps, on dénombrait près de 200 personnes en moins déclarant une activité en lien avec les animaux d’élevage, selon des chiffres fournis par l’ordre des vétérinaires.
En outre, selon une enquête prospective qui doit être publiée en septembre par l’ordre des vétérinaires, la relève compte davantage ses heures que la vieille garde : il faudrait l’équivalent d’environ 1,5 jeune professionnel pour assurer la charge de travail d’un vétérinaire parti en retraite.
Parmi les facteurs pouvant expliquer le moindre intérêt des jeunes vétérinaires pour la « rurale » : leur cantonnement à des tâches ingrates, selon Quentin Dupetit. « Le métier d’éleveur a beaucoup progressé en technicité, donc les éleveurs sont peut-être plus à même qu’avant d’apporter les premiers soins aux animaux, ce qui fait que le vétérinaire peut parfois être appelé uniquement pour les urgences, ce qui ne rend pas non plus le métier de vétérinaire intéressant. »
Subventionner les vétos ruraux ?
La FNSEA souhaite développer la contractualisation « pour essayer d’avoir une relation plus axée sur la prévention, qui à la fois rendrait le métier de vétérinaire rural plus intéressant et permettrait à l’éleveur d’avoir des frais sanitaires peut-être moindres », selon Quentin Dupetit.
« Si on avait des élevages avec plus de rentabilité, il y aurait beaucoup moins de questions à se poser », concède aussi Patrice Payen, qui élève à Flechy (Oise), avec sa fille Marine, 120 bovins dont 45 vaches.
À mi-chemin entre Beauvais et Amiens, mais au bord de l’autoroute A16, il ne « donne pas cher de l’élevage » dans sa région : « et pourtant, je suis un éleveur passionné, ma fille s’est installée avec moi, on a développé la transformation laitière, on a un magasin à la ferme, on fournit les collèges… Mais je me dis que dans dix ans, ça n’ira plus parce qu’on sera les seuls. »
Motif d’espoir, « on se rend compte que c’est plus par ignorance de la vie en campagne que les vocations sont en baisse », affirme Jacques Guérin. Il évoque des « programmes d’immersion de 12 à 16 semaines en zone rurale », financés par le ministère de l’agriculture, qui permettent aux étudiants d’apprendre à créer des liens dans les zones rurales et d’être plus autonomes. 95 % de ces stagiaires restent après cette période de stage en milieu rural, selon l’ordre. Certains territoires, comme les Hauts-de-France, réfléchissent également à aider financièrement l’installation de jeunes vétérinaires qui s’engagent à avoir une activité rurale, selon Luc Smessaert. « Il faut trouver des solutions maintenant, sachant qu’à chaque fois, pour former un vétérinaire, il faut au moins sept à huit ans », conclut-il.