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Recyclage

Évacuer ses vieux pneus, c’est toujours payant et très long


TNC le 28/02/2024 à 05:30
Stockpneusagricoles

30 000 tonnes de pneus agricoles usagés doivent être collectées cette année. (© Adobe Stock)

La gratuité annoncée au 1er janvier 2024 n’est pas totale. Une partie des coûts reste à la charge de l’agriculteur. Et des dissensions entre les différents acteurs de la filière ont fortement ralenti les collectes. Le gisement est estimé à 750 000 tonnes.

Il est aujourd’hui plus facile d’acheter une place de concert pour les Rolling Stones ou Taylor Swift que de se délester de ses vieux stocks de pneus agricoles. « Il n’y a que deux collectes en cours sur toute la France, dans mon département et dans la Somme. Chez nous, 280 agriculteurs en bénéficient. Les inscriptions affichaient complet depuis juillet ! » confie Jean-Paul Piet. Cet agriculteur et jeune retraité planifie l’évènement, organisé par la FDSEA 49, sur son territoire.

Pour bénéficier de cette rare collecte, les exploitants du Maine-et-Loire s’y sont pris très à l’avance. Ils se sont manifestés auprès de l’éco-organisme en charge du recyclage… il y a 3 ans ! « On venait tout juste de terminer une collecte et on s’est tout de suite remis sur la liste d’attente. Là, on procédera de la même façon, les délais sont tellement importants », constate-t-il.

70 000 tonnes en 2028

Un décret, paru en mars 2023 et applicable depuis le 1er janvier 2024, avait pourtant fait naître beaucoup d’espoirs. Il posait les règles d’une nouvelle REP (Responsabilité Élargie du Producteur) pour le secteur des pneumatiques en France, intégrant au passage les pneus d’ensilage à la suite d’un arrêté complémentaire publié en juin 2023. Le principe d’une REP est simple : celui qui fabrique, qui distribue ou importe un produit doit prendre en charge sa fin de vie.

L’objectif de collecte, ambitieux, est fixé à 30 000 tonnes en 2024, puis 10 000 tonnes supplémentaires par an, jusqu’à atteindre 70 000 tonnes en 2028. « Pour notre collecte, on nous a autorisé 2 500 tonnes maximum. Je ne sais pas comment ils vont arriver à remplir leur quota cette année », se demande Jean-Paul Piet.

Un recours contre les pneus d’ensilage

Pour atteindre ces résultats, trois éco-organismes ont été agréé par l’État, avec en tête Aliapur, le principal acteur de la filière avec environ 80 % du marché, détenu par Bridgestone, Continental, Dunlop Goodyear, Kléber, Michelin et Pirelli. France Recyclage Pneumatiques et Tyval complètent le tableau. Problème : ils s’opposent à l’intégration des pneus d’ensilage dans le décret et ont déposé un recours devant le Conseil d’État. « Une question de nature juridique du déchet », pour certains ; « une histoire de gros sous », pour d’autres.

Autre inquiétude : l’avenir d’Ensivalor. Cette association créée en 2019 par l’État et le secteur des pneumatiques spécialement pour la collecte des pneus de silo a été rendue caduque par le nouveau décret. Son site Internet ne répond déjà plus. Deux élus de Moselle, le député Fabien Di Filippo et le sénateur Jean-Marie Mizzon, ont questionné le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires à ce sujet depuis le début de l’année. Sans réponse à ce jour.

Peu de collectes avant 2025

En résumé, il n’y a plus vraiment de maître à bord actuellement en l’absence d’une entité qui fédère et coordonne les trois éco-organismes. « Le climat est très tendu », reconnaît Estelle Gorius, responsable d’études eau-environnement à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. « Les conditions sont floues pour l’instant », appuie Laurine Campanella, conseillère en développement local à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle.

Peu de chambres d’agriculture ou de fédérations osent donc se lancer dans l’organisation d’une collecte. Dans les Pays-de-la-Loire, par exemple, aucune n’est ainsi prévue avant 2025. « Tout est un peu en stand-by, on attend de voir comment cela va se passer », explique Anne-Laure Lambert, en charge du dossier pour la Mayenne. « Surtout qu’une collecte, c’est un travail énorme, qui s’anticipe au moins un an à l’avance », avance Laurine Campanella. Dans le Maine-et-Loire, la FDSEA a par exemple embauché une personne spécialement pour l’occasion.

Un reste à charge de 40/50€ la tonne

Toute cette logistique et ces moyens humains ont un coût. L’occasion de préciser une information qui a beaucoup circulé parmi les agriculteurs : non, se débarrasser de ses vieux pneus n’est toujours pas gratuit ! « C’est devenu plus avantageux mais ce n’est quand-même pas 0 € », martèle Laurine Campanella. « Beaucoup nous disent Mais on a lu que c’était gratuit !C’est à partir du moment où c’est dans le camion du recycleur que c’est gratuit, pas avant », confirme Jean-Paul Piet.

Car si le recyclage et le transport sont pris désormais en charge, il reste à payer les frais des collectes, qui doivent être organisées par un organisme professionnel ou un syndicat agricole (les premiers interlocuteurs à contacter en cas de stock de pneus qui trainent dans la ferme). « Avant le décret, on était à 80/90€ la tonne. On va passer à 40/50€ », estime Laurine Campanella. Une facture à relativiser : en passant par un opérateur privé, le coût grimpe en moyenne à 250 € la tonne.

Des conséquences multiples et néfastes

Et pourtant, il y a urgence. S’il n’est plus autorisé depuis 2015 de récupérer des pneus pour maintenir les bâches sur les tas d’ensilage, le député Fabien Di Filippo écrit que « le gisement français est estimé à environ 750 000 tonnes ». C’est un problème dont on hérite souvent. « Dans mon tas de pneus, il n’y a rien à moi, tout est à mon père. Je suis installé depuis 2008 et je n’ai jamais vu de collecte dans mon secteur », raconte Grégor Lamirault, céréalier en Eure-et-Loir.

Les conséquences peuvent pourtant être très sérieuses, tant pour l’environnement que pour la santé des hommes et des bêtes. « Les pneus, en se dégradant, peuvent percer les bâches et relarguer des corps étrangers néfastes pour les animaux. Ils peuvent également être un abri pour des animaux pas forcément recherchés sur les fermes, moustiques, guêpes, rats… », résume la chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire.

Trier avant de recycler

En attendant qu’une collecte s’organise par chez soi, il est déjà possible de trier ses pneus. « Les recycleurs sont devenus beaucoup plus exigeants », note Jean-Paul Piet. Pour sa collecte, trois catégories ont été créées : véhicules légers (voitures, motos…), poids lourds et agricoles (tracteurs…). Leur composition est différente et ils ne sont pas valorisés de la même façon. Les pneus doivent également être débarrassés de corps étrangers (pierres, végétaux, métal…).

La méthode sauvage, souvent évoquée dans les commentaires sur le sujet via les réseaux sociaux, de brûler ses pneus indésirables sur les manifestations, est évidemment à proscrire. « Ce n’est absolument pas l’image que nous voulons renvoyer », appuie Gégor Lamirault, qui évoque une solution plus poétique : « J’en ai donné à l’école de mon fils où ils les ont peints pour en faire des parterres de fleurs ».