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Éleveurs, éleveuses, salarié(e) s

Bovins lait : la main-d’œuvre, un défi pour la Bretagne laitière


TNC le 08/07/2024 à 08:01
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Les recrutements difficiles en élevage laitier ont triplé en sept ans en Bretagne ! (© TNC)

De plus en plus de cessations laitières (retraites, départs anticipés), non compensées par les installations stables, vieillissement des producteurs, augmentation du salariat mais avec d’importantes difficultés de recrutement, rapport au travail qui évolue, faible attractivité du lait (volumes horaires/astreintes)… la main-d’œuvre est un enjeu pour l’élevage laitier breton, premier bassin de production français, donc l’ensemble de la filière régionale, afin de préserver le cheptel et la collecte.

72 % d’embauches de salarié(e) s agricoles difficiles en 2022, tous secteurs confondus, contre 32 % en 2016, soit x 3 en 7 ans : les difficultés de recrutement en agriculture s’accentuent en Bretagne, selon l’enquête « besoin en main-d’œuvre » de Pôle Emploi. La production bovine laitière est particulièrement touchée, avec le plus long délai d’attente pour satisfaire la demande des éleveurs : un peu plus de 4 mois en moyenne d’après l’Anefa (Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture).

4 mois pour trouver un salarié

Plusieurs raisons à cela, avance Olivier Carvin, économiste à la chambre régionale d’agriculture. La principale : le développement important du salariat en élevage laitier. « Il a progressé de 17 % en 20 ans, passant de 3 % des UTA en 2000 à 20 % en 2020 », pour faire face à l’agrandissement des exploitations et à la baisse des actifs familiaux, même s’ils restent majoritaires, chiffrait-il lors de la première journée laitière bretonne organisée par l’organisme et l’Idele en décembre (et diffusée sur Youtube en mai).

Cette croissance de la taille des fermes va de pair avec l’augmentation des Gaec. « Dans les structures familiales notamment, les membres qui partent à la retraite sont souvent plus faciles à remplacer par un salarié que par un associé tiers », fait-il remarquer. Or les arrêts d’activité sont massifs ces dernières années ! En particulier dans la région, où le taux de renouvellements des éleveurs laitiers est inférieur de 2 à 3 points à la moyenne nationale.

Un vieillissement marqué des éleveurs

Et c’est en vaches laitières qu’il baisse le plus et est le plus faible : de 60 % en France en 2012-2014 à 40 % en 2018-2021 (50 % en bovins viande, 62 % en grandes cultures, 100 % en élevage hors sol, 119 % en ovins/caprins et 80 % dans l’ensemble de l’agriculture). Cette tendance serait, de fait, un peu plus forte en Bretagne, sachant que le vieillissement des producteurs/productrices de lait est plus marqué qu’au niveau national : 55 % sont âgés de plus de 50 ans (50 % sur tout le territoire), 34 % de plus de 55 ans, et seuls 20 % de moins de 40 ans (vs 25 %).

C’est en vaches laitières que le taux de remplacement des producteurs est le plus faible et baisse le plus. (© Idele, d’après données MSA)

« Leur pyramide des âges à l’échelle du pays étant très déséquilibrée par rapport à celle de la population active », appuie Sophie Tirard, chargée de mission « systèmes laitiers » à la chambre d’agriculture de Bretagne. Ainsi, dans la région comme en France, ce sont les nombreuses cessations d’activité laitière, des années passées, en cours et à venir, les responsables du « choc démographique » en élevage bovin lait, puisque les installations se maintiennent, malgré un creux imputable à la crise laitière de 2009.

Des installations stables

À l’échelon régional, elles se situent autour de 260 par an, dont 190 aidées, l’équivalent du quart toutes productions intégrées. « 70 % de ces jeunes éleveurs laitiers n’ont pas 40 ans », précise-t-elle, ce qui s’avère plutôt stable également. De moins en moins cependant s’installent avec les aides (DJA ou dotation jeunes agriculteurs).

Depuis une quinzaine d’années, les installations laitières sont stables en Bretagne, autour de 260 par an, dont 190 aidées. (© GEB et Idele, d’après données MSA et chambre d’agriculture de Bretagne)

En fait, deux périodes de relative stabilité sont identifiables : de 2001 jusqu’en 2008, avec un peu plus de 300 installations aidées en lait – « la génération des baby boomers et des cédants incités à leur laisser la place via les dispositifs de pré-retraite de 2008 » – et de 2009 à 2022, où elles fluctuent autour de 200.

Entre les deux, une chute brutale en 2008, due à l’arrêt de ces mesures justement. « Sur la première période, elles représentaient 56 % du total des installations aidées bretonnes et sur la seconde, plus que 40 % », indique la chargée de mission.

Un rapport au travail qui évolue

Arrêts du métier d’éleveur plus fréquents, parfois de manière anticipée, non compensés par le nombre constant de producteurs qui s’installent : Olivier Carvin y voit aussi une évolution du rapport au travail depuis la crise Covid, à laquelle « l’agriculture n’échappe pas ».

« Le temps imparti aux loisirs et à la vie de famille est devenu plus essentiel. Ces changements fragilisent encore davantage le secteur laitier, qui pâtit de ses astreintes et de sa charge de travail. » Autrement dit : « la problématique du travail en élevage laitier, à travers l’enjeu démographique, est un facteur limitant aujourd’hui et pour demain, y compris concernant le salariat. »

L’économiste évoque le taux de chômage, en recul en Bretagne, et sa « corrélation inversée » avec le recrutement compliqué de salariés en bovins lait. En clair : « Plus il diminue, plus les demandeurs d’emploi se tournent vers des filières et professions plus attractives. »

Corrélation inversée entre les courbes du taux de chômage et des difficultés de recrutement de salariés. (© Idele/chambre d’agriculture de Bretagne)

Une ressource laitière menacée

Il faut donc lutter contre le manque d’attractivité de la filière laitière, auprès de tous les publics, pour limiter les tensions à venir sur la ressource laitière bretonne. Alors qu’il était en hausse depuis 2010, le cheptel s’est contracté de 10 % depuis fin 2018, surtout dans le Finistère (- 13 %), là où les éleveurs sont aussi les plus vieux, et un peu moins en Ille-et-Vilaine (- 8 %), là où ils le sont le moins.

Et « ce repli s’est accéléré en  2022 et 2023 », alerte Sophie Tirard. En jeu, derrière : la collecte laitière régionale, déjà en repli de 4,4 % sur 8 mois de 2023 comparé à la même période en 2019, et de 3,2 % par rapport à ces mêmes 8 mois de 2022. Elle a chuté de 50 Ml en 4 ans, entre 2018 et 2022.

Cette journée laitière régionale a été, par ailleurs, l’occasion de faire un focus sur la productivité du travail. Entre 2014 et 2020, elle a augmenté dans les fermes bretonnes : + 3 % de lait vendu/UMO dans les fermes du réseau Inosys Ouest et + 15 % dans celles du Rica.

Hausse de la productivité du travail

« Au sein d’Inosys, ce sont principalement la dimension des collectifs de travail et la part de salariés qui se sont accrues », complète Christine Goscianski, agro-économiste « conjoncture laitière et études économiques » à l’idele. Elle mentionne, au passage, la diminution de la main-d’œuvre totale au sein du Rica, de 1 %, et la forte progression du salariat de 59 %.

(© Idele/chambre d’agriculture de Bretagne)

L’enquête, menée en parallèle sur le temps de travail dans le réseau Inosys Bretagne, a révélé un accroissement de l’astreinte de 14 h par semaine entre 2003 et 2018, sauf pour les éleveurs équipés d’un robot de traite. Ce qui n’est pas négligeable, et ne va pas relancer l’attrait de la production laitière auprès des jeunes, y compris pour le métier de salarié.

+ 14 h/semaine d’astreinte

« L’amélioration de la productivité du travail s’est traduite, essentiellement, par une hausse de la robotisation : les robots représentent plus de 85 % des nouvelles installations de traite dans ces élevages », note néanmoins l’experte.

Cette tendance « pose question » car elle alourdit le capital mobilisé et modifie la structure des coûts de production, avec des amortissements qui pèsent davantage dans le poste bâtiment/équipement.

« Pour attirer et fidéliser les salariés, certaines exploitations essaient de faire évoluer l’organisation, le temps et les conditions de travail, ainsi que les missions confiées », constate-t-elle toutefois avant de mettre en garde : « la taille du troupeau doit toujours être mise en perspective avec la main-d’œuvre disponible. »

Attention à la taille du troupeau

« On pense à l’effectif de vaches laitières, mais il faut aussi regarder le nombre de génisses, donc indirectement le taux de renouvellement et l’âge au vêlage. Il y a des cas où il vaut peut-être mieux envisager de réduire la production laitière. » Autre point de vigilance : la robotisation, pour pallier le manque de bras, a un coût alors il faut prioriser les investissements, sur la partie élevage sans doute davantage que sur les cultures, pour le bien-être des animaux, comme des éleveurs.