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Accords de libre-échange

Ceta : des imports de viande bovine canadienne très limités… pour l’instant


TNC le 29/05/2024 à 10:46
DrapeauxCanadaUE

Le Ceta s'applique de façon partielle et provisoire depuis 2017. (© mbruxelle, Adobe Stock)

Alors qu’un vote pourrait se profiler ces jours-ci à l’Assemblée nationale sur la ratification française du Ceta, déjà appliqué de façon provisoire depuis 2017 pour la partie commerciale, quel est l’impact de cet accord de libre-échange sur les flux de fromages et de viande entre la Canada et l’Union européenne ?

Adopté en 2017 par le Parlement européen, le Ceta (Accord économique et commercial global) entre l’Union européenne et le Canada s’applique provisoirement depuis cette année-là dans sa quasi-totalité, même s’il doit encore être ratifié par dix États de l’UE, dont la France.

En termes de flux de produits de ruminants, où en est-on après ces six ans d’application ? L’Idele fait le point dans ses dernières Tendances lait-viande.

L’UE a un meilleur accès au marché canadien pour ses fromages : après une mise en œuvre progressive, un contingent total de 31 942 t de fromages peut désormais y entrer à droits nuls chaque année, contre 13 472 t avec un droit de douane de 33,2 CA$/tonne avant 2017.

Et en parallèle, les exports européens de fromages vers le Canada ont logiquement grimpé : autour de 14 300 t en 2017, ils ont atteint plus de 26 600 t en 2023. Ceux de la France sont passés de 4 000 t à 6 500 t en six ans.

En moyenne depuis 2020, la France est à l’origine de plus du quart des exportations canadiennes de fromages. (© GEB-Idele)

L’Idele pointe cependant un léger ralentissement des flux depuis début 2024 : l’UE a expédié 4 600 t de fromages vers le Canada sur le premier trimestre, « en léger retrait par rapport aux années précédentes » (- 6% /2023, – 12 % /2022 et – 14 % /2021).

Un flux de viande bovine canadienne limité par les normes européennes

Les négociateurs européens ont a contrario fait des concessions sur la viande bovine : plus de 65 000 tonnes-équivalent-carcasse (téc) à droit de douane nul peuvent aujourd’hui être importées chaque année par les entreprises européennes depuis le Canada.

Mais les volumes expédiés sont très limités. En 2023, les industriels canadiens n’ont ainsi exporté que 1 450 téc vers l’UE (- 25 % /2022 et – 42 % /2019), « soit à peine plus de 2 % du contingent accordé par l’UE » ! La France importe moins de 100 téc de viande canadienne par an depuis 2020.

Après un pic à un peu moins de 2 500 téc en 2019, les volumes importés par l’UE ont oscillé entre 1 500 et 2 000 téc depuis 2020. (© GEB-Idele)

Ces flux limités sont liés aux normes européennes, auxquelles les exportateurs canadiens peinent à s’adapter. En particulier, l’interdiction des hormones de croissance pour les viandes exportées. « Or, deux principaux industriels (Cargill et JBS) qui concentrent plus de 85 % des abattages canadiens de bovins ne produisent pas de bovins sans hormones pour le moment », note l’Idele.

L’UE n’autorise par ailleurs que l’acide lactique pour la décontamination des carcasses, et interdit pour l’instant l’acide péroxyacétique (APA), une molécule très majoritairement utilisé dans les abattoirs canadiens.

Au Canada, une demande domestique croissante en viande bovine sans hormones

Les exportations de viandes bovines européennes vers le Canada ont explosé, en revanche, avec un pic en 2020 :  16 000 téc de viandes in natura (non transformées) de veaux et de gros bovins européens y ont été expédiées cette année-là, contre moins de 1 000 téc en 2018 !

« Depuis 2020 les envois (de viande bovine de l’UE vers le Canada) ont reculé pendant la pandémie de Covid puis dans le sillage de la baisse des disponibilités en UE, mais se tiennent néanmoins », commente l’Idele. (© GEB-Idele)

De fait, les droits de douane canadiens ont été supprimés avec l’application du Ceta, « pour ce secteur jugé comme non sensible par les Canadiens ». La hausse des flux de l’UE vers le Canada s’explique aussi par la demande domestique croissante en viande bovine sans hormones, et par les coûts de production plus élevés qu’en UE des petites filières produisant du veau sans hormones dans le pays.

La donne pourrait changer dans les années qui viennent pour les flux de viande non transformées du Canada à destination de l’UE, qui pourraient augmenter : « l’Agence canadienne d’inspection des aliments a soumis en 2022 un dossier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) pour évaluer l’utilisation de l’APA », précise l’Idele.

Les exportateurs canadiens, bien conscients de la décapitalisation bovine en UE, « lorgnent sur le marché européen à moyen terme » et « pourraient se tourner vers le « sans hormones » pour répondre à la demande domestique comme à la demande export ».

Où en est la ratification du Ceta ?

Depuis qu’il a été adopté au Parlement européen en février 2017, le Ceta s’applique de façon provisoire pour les dispositions commerciales, qui relèvent de la seule compétence européenne (90 % de l’accord). Pour qu’il entre complètement en vigueur – y compris les dispositions relevant d’une compétence partagée entre l’UE et ses membres, comme les investissements -, tous les États-membres doivent le ratifier.

Si un seul des vingt-sept parlements vote contre le Ceta et que le Conseil de l’UE en est notifié officiellement, l’accord ne s’appliquera plus, y compris la partie relevant de la compétence européenne en vigueur aujourd’hui.

Pour l’instant, les deux assemblées du Canada l’ont validé, ainsi que 17 pays européens. Le parlement chypriote a refusé de la ratifier, mais le gouvernement du pays n’a pas encore notifié cette décision aux instances européennes… et il n’y est pas obligé.

En France, le processus de validation se complique. L’Assemblée nationale avait approuvé le Ceta en juillet 2019, puis le Sénat l’a largement rejeté le 21 mars 2024, après qu’une coalition de sénateurs de droite et de gauche a mis au vote le projet de loi de ratification sur l’impulsion du groupe communiste.

Les députés, qui peuvent avoir le dernier mot, devront à nouveau se prononcer. Mais le gouvernement n’a pas encore déposé le projet de loi au bureau de l’Assemblée nationale et semble vouloir temporiser face au risque d’un nouveau vote négatif.

Il « sera transmis le moment venu, mais pas avant les élections européennes, car ce sujet nécessite un temps de débat apaisé », a ainsi affirmé Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur, le 15 mai.

Le gouvernement veut aussi « lancer une mission parlementaire sur la réciprocité des normes de production, et attendre une évaluation de la Commission européenne sur l’impact économique, social et environnemental du Ceta », précisent nos confrères de France info.

Les députés communistes ont tout de même décidé d’utiliser leur niche parlementaire pour mettre le sujet à l’ordre du jour de la séance du jeudi 30 mai, et pourraient alors demander un vote, forçant le gouvernement à avoir un débat à l’Assemblée.