Des larves de mouches pour nourrir les poissons
AFP le 21/05/2021 à 10:31
Comme une poignée d'autres en France, l'entreprise Protifly, installée dans les Landes, s'est lancée dans l'élevage d'insectes pour produire des farines ultrariches en protéines destinées à l'alimentation animale, un marché prometteur.
C’est dans une ferme à Saint-Maurice-sur-Adour, petit village de la campagne landaise, que cette société de 13 salariés, créée en 2016, a élu domicile pour mettre au point son prototype industriel. Ses deux jeunes créateurs, Maxime Baptistan et Bastien Quinnez, diplômés d’une école de commerce de Toulouse, viennent de recevoir près de 2,3 millions d’euros dans le cadre d’un volet du plan France Relance, destiné à aider des entreprises innovantes dans des secteurs jugés stratégiques. « Une bouffée d’oxygène », se réjouissent-ils, qui doit leur permettre de lancer la construction à la fin de l’année d’un deuxième site de production à Ychoux, proche de la côte landaise, pour une entrée en fonction en 2023.
Dans un hangar naguère dédié aux vaches allaitantes, pas un bourdonnement ne vient troubler la tranquillité des lieux. Dans des cages, la mouche Soldat Noir (Hermetia Illucens), une espèce particulièrement performante pour ce type de production, travaille silencieusement. « Inoffensive, non invasive, elle ne cherche pas à se nourrir, juste à se reproduire avant de mourir », explique Bastien Quinnez. Leur unique ponte donne un millier d’œufs qui en douze jours se transforment en larves pouvant peser jusqu’à 250 mg, en se nourrissant exclusivement de résidus de maïs, récupérés dans des sites de production agro-alimentaires de la région. Protifly se fournit en particulier chez Antarctic Foods, entreprise spécialisée dans les légumes surgelés, dont elle récupère les restes de maïs non utilisés. Ces larves sont ensuite transformées en farine protéinée, à ce stade uniquement destinées à des élevages de poissons.
« Verrous européens »
La préfète des Landes, Cécile Bigot-Dekeyzer, est venue à Saint-Maurice mercredi louer « ce très bon projet ». Plongeant une main, gantée, dans un bac grouillant de larves, cette ex-ingénieure agronome y voit « une réponse à un enjeu mondial », au moment où la production de protéines pour les animaux d’élevage peine à satisfaire la demande énorme du marché.
Le principal client de l’entreprise est pour l’instant le groupe Aqualande, leader européen de l’aquaculture, implanté dans les Landes et spécialisé dans l’élevage et la transformation de la truite.
Protifly, qui en est encore à un stade préindustriel sans chiffre d’affaires significatif, a levé 3,2 millions d’euros de fonds d’euros entre 2018 et 2020 pour démarrer. Elle projette de se lancer d’ici la fin de l’année dans l’alimentation de poules pondeuses, nourries directement avec les larves de mouches, et d’embaucher une quinzaine de personnes. La start-up voudrait également s’implanter hors UE, notamment en Afrique du nord, pour s’affranchir des restrictions réglementaires européennes sur le recours aux farines animales décidées dans les années 2000, à la suite de la crise de la « vache folle ».
Selon Christophe Derrien, secrétaire général de l’Ipiff, syndicat professionnel européen des producteurs d’insectes, ces verrous sont néanmoins en passe d’être levés. Aujourd’hui, l’UE est « un marché très modeste, avec un peu moins de 10.000 tonnes de protéines d’insectes produites par an, essentiellement destinées au secteur petfood (chiens et chats) et aquacole ». Si la réglementation évolue favorablement, « dans un scénario optimiste, on peut envisager une production qui avoisinerait les 100 000 tonnes annuelles en 2030 », estime-t-il. Selon lui, « la France fait partie avec les Pays-Bas et dans une moindre mesure l’Allemagne, des pays les mieux placés en Europe » avec « une petite vingtaine d’entreprises, dont Protifly, qui sont solidement établies ». « Sur un peu plus d’un milliard d’investissements (privés comme publics) dans ce secteur en Europe, une bonne moitié sont collectés » dans l’Hexagone, note également M. Derrien estimant par ailleurs que de 1 000 emplois directs créés à ce jour au niveau européen on pourrait passer en 2030 « à 25 000, dont 1/5e en France ».