Deux éleveurs bio face à la sécheresse : leurs stratégies pour s’adapter
TNC le 25/10/2019 à 06:04
Comme beaucoup de leurs collègues, Frédéric Lenglet et Gildas Gedouin, deux éleveurs bio de l’Ouest ont dû faire face à la sécheresse et adapter leurs pratiques. Pour maximiser le pâturage, le premier réalise un sursemis sur ses prairies permanentes en septembre puis un semis direct de méteil. Pour le second, cela passe par un topping dès le début de la saison pour densifier la repousse et limiter les refus. Les deux éleveurs diversifient les espèces implantées et testent aussi des mélanges prairiaux pour voir les plus résistants au manque d'eau.
« L’an dernier, j’ai dû vendre un tracteur pour acheter du fourrage ». L’émotion face à son impuissance à nourrir ses animaux est toujours là. Frédéric Lenglet, jeune éleveur à Bernay-Neuvy-en-Champagne dans la Sarthe, exploite 222 ha dans une zone sèche de la Sarthe avec trois salariées. Pourtant, depuis son installation, il n’a de cesse d’adapter son exploitation pour renforcer sa résilience en cas d’années climatiquement difficiles. « 2016, 2018, 2019 ont été marquées par la sécheresse » énumère-t-il. Pour arriver à produire ses 730 000 litres en bio avec 130 ha accessibles, le jeune éleveur veut maximiser le pâturage. « Mon objectif est de garder une production de 5 000 l/vache en faisant pâturer au maximum pour limiter les coûts ».
Même stratégie chez Gildas Gedouin, éleveur dans la baie du Mont Saint-Michel, dans la Manche avec son épouse Valérie, qui produit 446 000 litres de lait. En bio depuis 2014, cet éleveur doit composer avec des sols peu profonds et un déficit de pluviométrie estivale de plus en plus marqué. Pour nourrir son troupeau, il se détourne du maïs pour ramener ses 75 vaches dans les prés. « J’essaie de maximiser les ares accessibles par des échanges parcellaires. Quitte à emmener les vaches plus loin. Cela demande de l’organisation, reconnaît-il. On a même décidé de leur faire traverser une voie ferrée pour gagner quelques parcelles ».
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Pour les deux éleveurs, l’approche est la même : pour produire du lait à l’herbe, il faut une conduite rigoureuse et optimisée de l’herbe.
Chez Gildas Gedouin, cela commence, dès le début de la saison, avec un topping pour densifier la repousse et limiter les refus. Puis à chaque cycle, ce seront les hauteurs de fauche et de sortie de parcelle qui seront surveillées, toujours dans un objectif de qualité de repousse.
Diversifier les ressources fourragères
Gagner en autonomie demande de travailler la diversité des ressources fourragères. Cela passe par une diversification des espèces implantées (fétuque, chicorée, luzerne), des sursemis de protéagineux après la dernière fauche chez Gildas Gedouin.
Fréderic Lenglet, lui, mise sur des semis sous couverts. Il rénove un tiers de ses prairies permanentes chaque année par un sursemis sur la première quinzaine de septembre, puis mi-octobre, un semis direct de méteil (avoine, pois, vesce et féverole) est réalisé. Ce méteil sera ensilé mi-mai avec, dessous, une prairie prête à pousser. Il réalise également des sursemis avec du sorgho, du RGI, du colza, un méteil protéagineux « pour diversifier les ressources fourragères ». Pour continuer à travailler sur le choix d’espèces qui résistent à la sécheresse tout en gardant de l’appétence, le jeune éleveur « regarde ce qui se fait au Portugal ».
Malgré leurs efforts, la conduite de l’herbe n’est pas toujours facile face aux caprices de la météo. « Du 15 juillet au 15 septembre, la production d’herbe aura été nulle, déplore Gildas Gedouin. Avec le pâturage, il faut être flexible et opportuniste, s’adapter à la pousse de l’herbe et pas au calendrier qu’on avait imaginé ».
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Explorer toutes les pistes d’adaptation
Pour la pérennité de leur exploitation, les deux éleveurs comptent bien renforcer la place de l’herbe et du pâturage. Malgré les difficultés, cela reste le système fourrager le plus efficace économiquement, notamment en bio.
Pour renforcer cette efficacité et passer les années sèches, les éleveurs travaillent au choix des mélanges prairiaux pour voir ce qui résiste le mieux au manque d’eau tout en gardant suffisamment d’appétence. Ils testent des cultures longtemps délaissées, comme la chicorée, et affinent leurs mélanges pour chaque type de sol. Leur but est de réduire la place du maïs, trop sensible au manque d’eau. « J’ai tendance à réduire mes surfaces en maïs pour n’en faire que dans les sols les plus profonds », souligne Gildas Gedouin, qui va baisser ses superficies de 12 ha à 6 ha.
Toujours dans l’optique de renforcer leur autonomie fourragère, les deux éleveurs testent des cultures fourragères. Colza fourrager, sorgho fourrager et betteraves sont déjà au menu des vaches de Frédéric Lenglet. « J’ai encore des interrogations sur la gestion du salissement et l’impact sur le sol d’une culture de betteraves fourragères », avoue Gildas Gedouin.
Renforcer la place du pâturage demande plus de surface pâturable. Pour passer de 35 à 50 ares par vaches, Gildas Gedouin continue les échanges parcellaires. Si, à long terme, il voudrait bien reprendre des terres, Frédéric Lenglet complète sa production fourragère par des achats de luzerne à un collègue céréalier bio.
Moins de génisses et des vaches plus légères
Réduire le chargement peut se faire en ayant moins d’animaux à nourrir, notamment des génisses. « J’utilise le génotypage pour ne garder que celles qui nous permettront de maximiser le lait en autonomie alimentaire », explique Gildas Gedouin. Fréderic Lenglet a choisi, carrément, de déléguer l’élevage des génisses. En parallèle, il allège le gabarit de ses animaux en introduisant des jersiaises dans un croisement Procross Montbéliarde – la race originelle de l’exploitation – Holstein et rouge suédoise. « Des vaches plus légères me permettront d’allonger la période de pâturage sans abîmer la structure du sol, mais aussi de réduire les boiteries pour des vaches qui vont pâturer jusqu’à 3 km ».
À plus long terme, les deux éleveurs se questionnent sur l’agroforesterie. « L’été on voit bien que l’herbe reste plus verte sous les arbres, remarquent-ils. Dans nos systèmes pâturants, nous avons tout intérêt à remettre des arbres et des haies pour l’ombrage et le bien-être des animaux ».
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