Deux enquêtes ouvertes à Paris visant Nestlé et Sources Alma
AFP le 13/02/2025 à 17:15
Après une première amende mineure, vers des investigations plus larges ? Un juge parisien a décidé d'enquêter sur deux plaintes de l'association Foodwatch pour « tromperie » visant Nestlé et Sources Alma pour leur traitement, possiblement illicite, de leurs eaux minérales, ouvrant un dossier qui pourrait éclabousser le pouvoir politique.
Confirmant partiellement une information de Radio France et du Monde, une source proche du dossier a indiqué jeudi à l’AFP que le magistrat instructeur était passé outre les réquisitions du parquet de Paris, qui l’estimait incompétent territorialement, et a décidé mercredi de se pencher sur cette affaire.
Foodwatch avait déposé cet automne à Paris deux plaintes avec constitution de partie civile contre les pratiques de Nestlé Waters (Perrier, Hépar, Contrex, Vittel), filiale du géant suisse, et du groupe Sources Alma, leader en France des eaux minérales et de source (Cristaline, St-Yorre, Vichy Célestins, etc.).
De nombreuses infractions étaient visées, dont la tromperie. L’association de consommateurs CLCV avait aussi porté plainte contre X.
Ces informations judiciaires sont « une excellente nouvelle », a réagi Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch, qui espère « casser le climat d’impunité et que la justice fasse toute la lumière sur les responsabilités de Nestlé Waters et Sources Alma mais aussi sur le rôle des autorités publiques et particulièrement du gouvernement dans le cadre de cette fraude massive sur les eaux minérales ».
Avocat de l’association, Me François Lafforgue a demandé « à la justice pénale de faire toute la lumière » sur ces faits.
Début février, Radio France et Le Monde ont publié des éléments accusant la présidence et les services du Premier ministre d’avoir cédé au lobbying de Nestlé.
Les deux médias citaient une note de début 2023 du directeur général de la santé (DGS) Jérôme Salomon, qui recommandait de « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau pour les sites Nestlé des Vosges » et d’étendre cette interdiction « au site d’embouteillage de Perrier (à Vergèze, dans le Gard) ».
Cette note, qui aurait été transmise au cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne, recommandait de refuser à Nestlé toute dérogation quant à la microfiltration, au risque d’un contentieux avec Bruxelles.
Mais un mois plus tard, les cabinets de Matignon et de l’Elysée l’auraient autorisée, selon les deux médias. Emmanuel Macron avait réagi à cette affaire en affirmant qu’il n’y avait eu ni « entente » ni « connivence » avec Nestlé.
Traitements interdits
De premières alertes avaient déjà eu lieu sur ce sujet : en novembre 2022, Médiacités avait indiqué que la répression des fraudes enquêtait sur la productions des eaux St-Yorre, Vichy Célestins et Chateldon, propriétés de Sources Alma, et notamment sur « l’adjonction dissimulée de gaz carbonique industriel et d’une substance chimique interdite ». Une procédure a été ouverte au parquet de Cusset (Allier).
Début 2024, visé à son tour par des révélations de Radio France et du Monde, Nestlé Waters avait reconnu avoir eu recours par le passé à des traitements interdits (filtres au charbon, UV) qu’il dit avoir depuis retirés, et avait indiqué en avoir avisé le gouvernement français en 2021.
Les autorités avaient alors ensuite, sans toutefois ébruiter l’affaire ni informer les consommateurs, permis aux industriels d’utiliser des microfiltres avec un seuil de filtration inférieur à 0,8 micron. Ce seuil figure dans un avis de l’Afssa (ex-Anses) de 2001, qui fait office de jurisprudence faute de précision dans la réglementation européenne.
Nestlé a aujourd’hui toujours recours à ces systèmes de microfiltration à 0,2 micromètre, soulignant qu’ils ont été approuvés par le gouvernement en 2023 dans le cadre d’un plan de transformation soumis aux autorités.
« Toutes nos eaux aujourd’hui sont pures à la source », a aussi affirmé à l’AFP le 7 février Muriel Lieneau, directrice générale de Nestlé Waters.
Dans une procédure visant spécifiquement ses eaux vosgiennes pour utilisation de traitements non autorisés sur les eaux minérales et exploitation de forages sans autorisation, Nestlé Waters a déjà payé en septembre à Epinal une amende de deux millions d’euros pour échapper à un procès. Foodwatch avait jugé le montant dérisoire.
Les révélations de presse avaient conduit le Sénat à lancer en novembre une commission d’enquête, tandis qu’un premier rapport sénatorial divulgué un mois plus tôt pointait déjà l’« opacité » des pouvoirs publics et des industriels dans ce dossier.