Dix ans après, entre regrets et avancées
TNC le 05/09/2019 à 14:02
Il y a 10 ans, les producteurs de lait vivaient une crise qui a beaucoup marqué les esprits. Dix ans après la création de l’Apli et de la grève du lait que le mouvement a initiée devant le Mont-Saint-Michel, ce chapitre de l’histoire de la filière laitière a laissé quelques regrets, mais a aussi contribué à faire bouger les lignes, notamment en matière de regroupements des producteurs.
Face à son exploitation laitière, située à Vains, dans la Manche, André Lefranc bénéficie d’un décor enviable : le Mont-Saint-Michel trône fièrement à l’horizon, au milieu de la baie portant son nom. Il y a 10 ans, le monument était le théâtre emblématique du déversement de milliers de litres de lait par les éleveurs en colère. L’éleveur s’en souvient parfaitement, il était l’une des figures du mouvement Apli, l’Association des producteurs de lait indépendants, aux côtés de l’initiateur de l’Apli, Pascal Massol.
« L’épandage du lait au Mont-Saint-Michel, c’était énorme. Avec cette action symbolique, nous étions persuadés que les lignes bougeraient rapidement », se remémore-t-il.
Avant la grève, des mois de tensions et divisions croissantes
Retour en arrière. Au printemps 2009, cela faisait plusieurs mois que les marchés laitiers étaient très dégradés. Au deuxième trimestre, le prix du lait était sous les 240 €/1 000 l. La FNPL réclamait 305 €.
Malgré les tentatives de négociations avec les industriels, les producteurs constataient, en mai 2009, « un échec total » des discussions. De quoi exacerber les tensions et multiplier les manifestations.
La FNPL avait néanmoins arraché un accord le 5 juin pour un prix de base de 280 €/1 000 l. Un accord considéré comme une trahison pour bon nombre de producteurs qui ne croyaient plus à l’action de la FNPL en particulier, et des syndicats en général. Ces mêmes producteurs ont rejoint l’Apli.
Le 10 septembre 2009, en l’absence de nouvelles avancées, la grève du lait était lancée, à l’appel de l’Apli, mais aussi de l’OPL, la branche laitière de la Coordination rurale, suivie hors de France par neuf syndicats agricoles européens, mais sans le soutien de la FNSEA, qui s’opposait fermement à l’action.
Pris à partie par des centaines d’éleveurs en colère, Jean-Michel Lemétayer, alors président de la FNSEA, mais aussi du Space, vivra une édition 2009 du salon très mouvementée.
La grève du lait durera 15 jours. « La classe politique bouge. Nous allons pour l’instant suspendre un des éléments de notre révolte », indiquait Pascal Massol, le leader de l’Apli, le 25 septembre.
Des lignes ont bougé, mais bien plus lentement que souhaité
Dix ans après, que reste-t-il de cet épisode ? Cette mobilisation sans précédent dans l’histoire de la filière laitière française a-t-elle fait bouger le cadre du marché laitier européen ?
Avec son partenaire européen European Milk Board dont elle est membre depuis sa création, l’Apli revendiquait une reprise en main, par les producteurs, de la gestion de la production laitière à l’échelle française et européenne, via son partenaire européen. L’association a cherché à remplacer le Cniel, dans lequel seule la FNPL était présente, par l’Office du lait, une interprofession où tous les syndicats auraient eu leur place. Mais l’Office du lait s’est transformé en trois OP transversales d’envergure régionales – France Milkboard Normandie, Grand Ouest et Sud-Ouest – regroupant moins de 600 producteurs à eux trois.
« Des choses ont un peu bougé, mais pas autant que nous l’aurions souhaité », analyse André Lefranc. « Pour moi, personnellement, ce n’est pas un échec. Mais, en septembre 2009, nous avons été trop humains en croyant que les choses bougeraient très vite au niveau européen. »
L’éleveur regarde dans le rétroviseur avec une certaine amertume. « En entamant la grève du lait et en embarquant avec nous autant de producteurs, nous avions fait le plus dur. Il nous restait le plus facile : tenir 15 jours de plus pour obtenir gain de cause. Nous avions toutes les cartes en main. Nous aurions dû continuer jusqu’à ce que la Commission européenne nous permette de mettre en place des OP très rapidement, avec une garantie d’un prix régulier. »
Ceci dit, le mouvement initié par l’Apli a fortement contribué à faire bouger les lignes européennes pour le regroupement des producteurs, mais bien plus lentement que n’espéraient les éleveurs.
« On voulait changer le système, résume André Lefranc. Il s’améliore, mais il y a toujours des crises. Depuis 10 ans, les événements ont démontré que nous avions raison. »
Malgré ces regrets, l’éleveur compte bien « fêter » le dixième anniversaire de la grève du lait. Après s’être retiré de son engagement au sein de l’Apli, l’éleveur s’est concentré sur un projet personnel dès 2010 : il a converti son exploitation en production biologique, et a développé la transformation à la ferme pour fabriquer, avec son lait, des caramels.
Depuis 2010, l’éleveur enregistre une progression annuelle à deux chiffres des ventes de ses « cara-meuh ». Il a même fait évoluer ses portes ouvertes annuelles en véritable « cara-meuh festival », avec découverte de la ferme, groupes de musique, animations et conférences. La troisième édition, qui se déroulera sur deux jours, sera une édition spéciale « 10 ans après la grève du lait ». « Ce sera un événement festif ». Plusieurs éleveurs acteurs de la grève du lait devraient s’y retrouver.