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Nutrition des grands troupeaux

E. Lepage : « Gérer en lots et s’attarder sur les débuts de lactation »


TNC le 29/04/2019 à 05:58
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Emmanuel Lepage est responsable nutrition du groupe Seenergi. Habitué à suivre des grands troupeaux, le nutritionniste donne quelques conseils pratiques pour les grosses étables : travailler en lots d'animaux (à classer selon la lactation, leur production ou leur parité), s'attarder sur les débuts de lactation, et choisir le matériel adéquat et calibré selon les lots.

Spécialisé dans la gestion des grands troupeaux, Emmanuel Lepage, nutritionniste du groupe Seenergi explique : « Il existe trois approches possibles en nutrition : agir en fonction de la lactation des animaux, selon le système de traite et selon les équipements (organisation des bâtiments et mélangeuse) »

« Le tout premier facteur clé de réussite est l’humain. Lorsque j’établis la ration avec un éleveur, il faut que le discours soit appliqué sur le terrain. C’est bien beau de caler des rations ultra précises mais si elles sont mal distribuées, elles seront moins efficaces qu’une ration simple bien distribuée. Pour cela, les process doivent être faciles, voire écrits s’il y a des salariés. La distribution doit être régulière. Au cas où, l’éleveur peut prendre des « assurances », c’est-à-dire avoir un petit stock de bicarbonate ou de levures pour atténuer les variations potentielles. »

Préparation au vêlage, début ou pleine lactation : nourrir selon le stade

« Les débuts de lactation représentent un gros enjeu. Une vache qui produit 45 l de lait a le métabolisme d’un Homme qui court un marathon par jour ! » Pour le nutritionniste, cette phase est cruciale : « Le premier mois de lactation concentre plus de 30 % des pathologies de l’élevage, ce qui peut coûter jusqu’à 40 000 € pour un cheptel de 200 VL. »

Le déficit énergétique (acétonémie) est l’élément majeur. Il mobilise les graisses ce qui provoque la libération des acides gras dans le sang et détériore le foie. Il provoque également des boiteries car le coussinet graisseux sous le pied disparaît. Ce stress peut aussi provoquer des déplacements de caillette. Pour gérer cette phase délicate, Emmanuel Lepage préconise de faire deux lots de préparation au vêlage dans les grands troupeaux afin de renforcer les apports en quantité et qualité :

De J-60 à J-20 avant vêlage : phase de tarissement De J-20 au vêlage : phase de prépa vêlage
Ration type 8 à 9 UFL et 800 à 900 PDI/j/VL

– Ensilage de maïs : 5-6 kg MS

– Correcteur azoté 42 % MAT : 1,2-1,4 kg/j/VT

– Paille : mini 4 kg + à volonté

– Minéraux : 0,1 kg/j/VT

Ration type 9 à 11 UFL et 900 à 1200 PDI/j/VL

– Ensilage de maïs : 6-7 kg MS

– Correcteur azoté 42 % MAT : 1,6-2 kg/j/VT

– Maïs épi (source d’énergie) : 0,5 à 1,5 kg/kg MS

– Paille : mini 3 kg + à volonté

– Minéraux : 0,2 kg/j/VT

Pas de fourrage vert

« Ce déficit énergétique se contrôle : soit dans le lait, soit dans le sang. Les analyses de sang se font beaucoup à l’étranger. » L’expert préconise aux éleveurs de les faire à dates fixes : J4 et à J10 du tarissement.

D’autres pathologies peuvent être rencontrées comme :

Le stress oxydatif : « C’est comme le moteur d’une voiture qui se met à chauffer, il lui faut du liquide de refroidissement, soit un anti-oxydant pour les vaches. » Il faut alors aider l’animal dans les premiers jours de lactation (vitamines, oligo éléments – notamment du selenium, extraits végétaux, méthionine protégée)

L’inflammation dans les 10 premiers jours de lactation (acidose) : « Il faut rééquilibrer l’apport de fibres par rapport aux concentrés. Le niveau d’amidon ne doit pas dépasser 25 %. Il ne faut pas oublier les minéraux et additifs comme les levures, la méthionine ou les acides gras oméga 3 (graines de lin). »

La calcémie : « Il faut 60 à 70 g de calcium dans la ration. En dessous, on s’expose à des non délivrances, des métrites, de la cétose, etc. Il faut contrôler les apports de calcium et faire baisser la Baca de la ration (- 100 à – 200 meq/kg MS) tout en contrôlant par le pH urinaire. L’idéal est d’être à 6 de pH au début de lactation et pendant les trois semaines qui suivent le vêlage. »

« Le foie est l’organe central des vaches. Il sert à produire du glucose, stocker du glycogène, détoxifier l’organisme, etc. Il faut le nettoyer et l’accompagner pour lui éviter des maladies telles que la stéatose, la douve ou la photosensibilisation. »

« En début de lactation, il faut vraiment que les vaches mangent pour pallier leur déficit énergétique. Elles sont capables d’ingérer 30 kg de MS, il ne faut pas l’oublier ! L’essentiel réside dans les 30 premiers jours après vêlages : il faut chercher 1 UF/kg de MS en concentrant la ration. Ça passe par une diminution des fibres encombrantes. Attention cependant : les apports doivent être réguliers ; une vache peut perdre du lait avec la même ration qu’une autre si elle présente une instabilité ruminale. »

Gérer l’alimentation en lots et calibrer la mélangeuse en fonction d’eux

« La gestion des animaux en lot est intéressante car les besoins nutritionnels des animaux diffèrent selon leur production, leur lactation et leur parité (primipare/multipare). Ça facilite la conduite des primipares et la surveillance de certains animaux. En revanche, une fois les lots constitués, il faut changer les animaux le moins souvent (et surtout pas tout seul, minimum 5 à 6 animaux ensemble). » Emmanuel Lepage met en garde : « À la constitution des lots, il faut penser à l’aire d’attente lors de la traite : l’idéal est de ne pas laisser des vaches plus d’1h30 dans l’aire d’attente. »

« On peut constituer les lots en fonction du niveau de production des animaux, de leur stade de lactation ou de la parité. L’essentiel est de ne pas avoir à faire trop de mélanges différents tous les matins (exemple : vaches taries, prépa vêlage, fraîches vêlées, hautes productrices, basses productrices, infirmerie + veaux et génisses). Le bâtiment doit être fonctionnel pour travailler en lots. Un système avec 2 à 10 robots doit au moins dédier un de ses robots aux primipares. »

Pour le nutritionniste, la mélangeuse doit être calibrée en fonction des lots, même si c’est bien souvent l’inverse. « Il faut compter 1m3 pour 5 à 6 VL. Pour un lot de 120 bêtes, mieux vaut partir sur une 24 m3. Une mélangeuse fonctionne bien lorsqu’elle est remplie à 80 %, pas à 100 %. » Il faut aussi penser aux rations des petits lots : une mélangeuse trop grosse aura du mal à faire ces petites quantités. Enfin, l’expert rappelle qu’il faut optimiser le circuit de l’engin : « Il faut poser un plan de la ferme avant de choisir une mélangeuse. »

Derniers points : « La distribution individuelle est un atout supplémentaire en nutrition mais elle est souvent oubliée. Je suis convaincu qu’il y a un réel intérêt à remettre en place des distributeurs d’additifs sur les installations de traite par exemple. » Autre paramètre, l’eau : « Peu d’éleveurs connaissent les quantités d’eau consommées. Pourtant, c’est le premier aliment des bovins ! »

Sur le même thème : La qualité de l’eau trop souvent sous-estimée

N.B. : Les conseils d’Emmanuel Lepage sont issus de son intervention à la journée grands troupeaux du 11 avril dernier organisée par Boumatic.