Engraisser ou exporter ? La décapitalisation bovine questionne l’organisation de la filière
TNC le 10/10/2024 à 05:11
Espagne, Italie, marché intérieur… Les broutards français sont plus que jamais convoités sur fond de décapitalisation bovine. À l’occasion du Sommet de l’élevage, Interbev et Idele font le point sur les perspectives pour la filière allaitante française.
En 7 ans, la Ferme France a perdu un million de vaches. Et un million de vaches, ça ne passe pas inaperçu. « Nous sommes passés de 95 % d’autosuffisance en viande bovine, à environ 90 % en 2023 », détaille Boris Duflot, directeur du service économie de l’Idele à l’occasion du Sommet de l’élevage.
En d’autres termes, la filière allaitante est à la croisée des chemins. Soit elle continue d’exporter, soit elle travaille à relocaliser l’engraissement dans l’hexagone pour compenser la baisse d’effectif.
Le dilemme est moins simple qu’il n’y paraît. D’après les chiffres du GEB, 45 % des veaux mâles issus du troupeau allaitant étaient destinés à l’export en 2022. Principalement vers l’Italie, qui achète plus de 80 % de nos broutards allaitant. Cette organisation vient du fait que les bassins allaitants français sont essentiellement sur des zones herbagères, avec peu de ressources pour l’engraissement. À l’inverse, « la plaine du Pô en Italie s’y prête bien, avec des céréales et des coproduits de cultures industrielles », précise Matthieu Repplinger, analyste de marché pour Interbev. D’autant que les Italiens sont bien plus accoutumés que les Français à manger de la viande de jeune bovin, plus claire que celle de nos vaches de boucherie.
On ferme à peu près un abattoir par mois
Mais engraisser en France, c’est une manière de compenser un peu la décapitalisation, et de faire tourner les abattoirs nationaux. « Soit on produit, soit on importe », alerte Yves Fantou, président de Culture viande, le syndicat des entreprises d’abattage et de découpe. « On considère qu’on ferme à peu près un abattoir par mois », déplore l’élu. « On perd dans les 10 000 bovins semaine. 10 000 bovins en moins, c’est l’équivalent de 10 abattoirs à 1 000 bovins semaine. Il faut avoir en tête qu’on a un certain nombre de structures qui ne tournent que 3 ou 4 jours semaine. Il faut trouver des solutions pour se réorganiser, et assurer son approvisionnement ».
Le nombre de JB abattus en France reste stable
Face au dilemme, la filière semble doucement s’orienter vers une relocalisation de l’engraissement. Mais le mouvement reste timide. « Il est encore trop tôt pour parler d’une tendance de fond », s’empresse de tempérer Boris Duflot. Ce qui est certain, c’est que la filière se maintient : « depuis 2019, le nombre de JB abattus en France est stable, alors que le cheptel de mères allaitantes a perdu dans les 400 000 têtes », confirme Ilona Blanquet.
Le premier semestre de 2024 marque même une progression de l’engraissement, avec une hausse des achats de broutards dans l’hexagone de 7 %. A voir si l’orientation se confirme.
D’autant que le maintien de l’engraissement ne compensera pas à lui seul la baisse du cheptel de mères allaitantes. « Nous sommes plus sur un phénomène amortisseur, que sur une compensation », résume Ilona Blanquet.
Moins de broutards disponibles à l’export
L’export est clairement le grand perdant du maintien des ateliers français. « En 2023, la France a fait naître 124 000 veaux mâles allaitant en moins qu’en 2019. Dans le même temps, la France présentait 108 000 animaux de moins à l’export », poursuit l’économiste. Autrement dit, le marché national est privilégié au détriment du commerce extérieur. Et le contexte inquiète autant les importateurs italiens que les abatteurs français. « Le cheptel européen a diminué de 6 % en 10 ans. Les engraisseurs n’ont pas beaucoup de solutions pour s’approvisionner ailleurs », précise Boris Duflot.
En Italie, les importations de broutards français ont diminué de 11 % entre 2021 et 2023, ce qui s’est traduit par une baisse de 9 % des abattages italiens. Rares sont les acteurs capables d’alimenter aujourd’hui le marché du broutard.
« Les importateurs sont vraiment très inquiets », insiste Caroline Monniot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage. « La baisse des abattages se traduit par une hausse des importations de viande. Et si les importateurs ont un temps rêvé d’acheter des broutards directement en Amérique du Sud, cette perspective semble de plus en plus illusoire ».