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Reportage

Gaec Douillet : « Je vise les 50 € d’EBE par heure travaillée »


TNC le 05/07/2024 à 05:04
RomainChevrel

(© TNC)

A quoi sert de gagner sa vie si l’on n’a pas le temps d'en profiter ? Pour Romain Chevrel, éleveur laitier en Bretagne, il faut travailler utile. Pour optimiser son temps de travail, l’agriculteur a mis en place un système extensif doté de deux robots. Chez lui, pas question de viser les litres de lait à tout prix. Il faut produire du lait rentable, à l’heure travaillée.

« Travailler moins pour gagner plus », telle est la devise de Romain Chevrel, éleveur laitier à Val d’Izé (35). En agriculture biologique, il a pensé son système pour combiner faible impact environnemental, et rentabilité horaire. Son astuce : raisonner à l’heure. « Avec un groupe de travail, nous avons été invités à ramener notre EBE à l’heure. Ça a été un déclic ». Depuis, il vise les 50 € d’EBE par heure travaillée et par associé sur son exploitation. En d’autres termes, atteindre un les 190 000 d’EBE avec 3 UTH à environ 39 h semaine.

Car pour Romain, « c’est vraiment important de donner une valeur à son temps. On entend beaucoup d’agriculteurs dire « ce n’est pas grave, c’est moi qui le fais », mais ça veut dire qu’on ne donne pas de valeur à son travail ».

Donner de la valeur à son temps de travail

Mais travailler moins, c’est du boulot ! Près de 10 années ont été nécessaires pour arriver à l’organisation actuelle de l’exploitation.

Le premier gros chantier a eu lieu en 2014. Exit l’aire paillée, l’agriculteur a opté pour un bâtiment logette en système lisier. « Plus de fumier ni de paille à gérer », tranche l’éleveur. La Cuma vient faire les épandages, et en trois jours, c’est plié.

Un système extensif en robot de traite

La mise en place des robots de traite, en 2017, a été pensée dans la même optique. Et pourtant, associer robot et pâturage était un défi. « J’ai mis en place un système de paddock jour et paddock nuit », explique Romain. Les vaches ont accès à une première parcelle de 2 h du matin à 14 h, et à une seconde de 14 h à 2 h. Le robot est un point de passage obligé pour changer de parcelle. Et comme l’herbe est toujours plus verte ailleurs, les vaches y reviennent toutes les 12 h. Si elles ont 1,5 kg de maïs épis déshydraté au robot, c’est bien la perspective du nouveau paddock qui les attire. « Elles ont une horloge dans la tête et savent qu’elles ont intérêt à passer par le bâtiment vers 14 h », sourit Romain.

Les vaches sont intégralement en pâture d’avril à juillet, et sortent en moyenne 300 à 330 jours par an. « En fin d’été, elles sont complémentées avec de l’enrubannage, et l’hiver, je distribue de l’ensilage ».

C’est justement la combinaison du système extensif, et du robot qui lui permet de gagner du temps. « En été, quand tout le monde est dehors, j’ai juste à bouger les fils et m’occuper des veaux », résume Romain.

Les vaches sortent presque tous les jours. (© Terre-net Media)

Ne pas saturer ses robots

Pour atteindre cet équilibre entre revenu et temps de travail, l’éleveur a fait le choix de ne pas saturer ses robots. « Ils sont à l’arrêt 45 % du temps ». Les vaches de Romain sont à 6 000 l en moyenne, et vont à la traite environ 1,9 fois par jour au printemps, et 2,2 fois en hiver. « Pour moi, une vache en retard, c’est une vache qui n’est pas allée au robot dans les 24 h », poursuit l’éleveur. « À partir de 22 h, je ne regarde plus les alertes robot. Je verrai bien le lendemain ». « Quand on commence à raisonner à l’heure travaillée, on se rend compte que certaines tâches, comme aller remettre en route un robot au beau milieu de la nuit, ne sont pas forcément rentables ».

Quand on raisonne à l’heure, on se rend compte qu’il y a beaucoup de tâches qui ne sont pas rentables

La délégation de l’élevage des génisses fait également partie intégrante de la stratégie. L’objectif : avoir plus d’animaux « productifs » à UGB constant sur la structure, tout en limitant le nombre de lots d’animaux à gérer. 

Mais qui dit EBE à l’heure travaillée dit temps de travail certes, mais aussi optimisation économique. Pour cet aspect, Romain mise sur un faible coût alimentaire. « Je suis à 65 €/1 000 l » détaille-t-il. 100 % autonome en fourrage comme en concentré, la déshydratation d’ensilage de maïs épis pour la distribution au robot est son plus gros poste de dépense. « Compter dans les 100 €/t pour la déshydratation du maïs, et 190 €/t pour l’herbe produite sur la ferme. Ça chiffre, mais ça me permet d’apporter un peu d’énergie dans la ration ».

Pour le reste, le pâturage tire le coût alimentaire vers le bas. Et l’éleveur n’a pas peur d’investir dans l’herbe. Sur sa ferme, pas moins de 600 m de chemin desservent les paddocks, et un boviduc lui a même permis de gagner 22 ha de surface pâturable. « La structure a coûté dans les 45 000 €, subventionnée à hauteur de 33 %. C’est un investissement, mais pour moi, ça n’a pas de prix de gagner en surface pâturable ».

39 h travaillées par semaine

L’organisation paye. Avec 3 UTH sur l’exploitation, Romain parvient à travailler 39 h semaine. « Je travaille tous les jours sauf le mercredi, et l’astreinte le week-end est autour de 2 h par jour ». Son papa, qui vient sur la ferme chaque jour assure l’astreinte du mercredi avec un salarié. En contrepartie, il a plus de jours de vacances à l’année. « J’ai 4 semaines de congé par an, et mon papa en a 8 », détaille l’éleveur.

Le salarié est également une manière de se décharger. « Je ne l’ai pas pris parce que j’étais submergé, mais parce que je voulais vraiment avoir du temps pour moi », poursuit l’éleveur qui a à cœur de s’occuper de ses enfants en bas âge.

Car s’il est une preuve qu’il fait bon travailler au Gaec Douillet, c’est peut-être René, le père de Romain. « Lorsque je me suis installé, mon père m’a dit qu’il prendrait sa retraite à 60 ans sans faire un jour de plus. Dix ans après, il est toujours là », sourit Romain. En système conventionnel, l’agriculteur s’est laissé séduire par la bio, et la nouvelle organisation du travail de son fils. « J’ai l’impression d’avoir retrouvé mon métier d’éleveur », conclut l’aîné.