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Ils produisent leurs propres semences fourragères pour gagner en autonomie


TNC le 10/02/2025 à 05:09
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La production de semences à la ferme a pour intérêt d'adapter les variétés au contexte pédoclimatique des exploitations. (© rsooll / AdobeStock)

La production de semences paysannes n’est pas réservée aux cultures céréalières. Dans les Pays de la Loire, quelques éleveurs expérimentent la production de semences fourragères fermières, une manière d’améliorer l’autonomie de leurs exploitations et d’adapter les variétés au terroir.

Et si la recherche d’autonomie passait par la production de semences ? L’idée a fait plus que germer dans la tête des céréaliers. Semences à la ferme, introduction du blé population : les options sont d’autant plus nombreuses que la production céréalière repose sur la récolte de graines ! Mais la démarche peut aussi s’appliquer aux fourragères.

Pour Cyril Firmat, chercheur à l’Inrae, « nombre de travaux montrent l’intérêt de la semence fermière dans les systèmes bas intrants ». Une manière d’adapter les variétés au contexte pédoclimatique spécifique des exploitations. D’autant que la question de l’autonomie semencière française mérite d’être posée. « 60 % des semences de graminées et 65 % des semences de légumineuses viennent de l’étranger », rappelle le scientifique.

Mais quelques agriculteurs optent pour l’ultra local ! Deux d’entre eux ont témoigné à l’occasion d’un webinaire organisé par la fédération régionale des Civam Pays de la Loire.

J’ai toujours vu mes parents faire ça

En Vendée, Guillaume Cousineau a toujours vu ses parents produire des semences sur la ferme. « Ils ont commencé avec les céréales, et comme au fil des années la surface en prairie s’est agrandie, ils se sont lancés dans les fourragères pour réduire le coût d’entretien », explique l’éleveur de Charolaises en agriculture biologique. Avec 218 ha de SAU dont 150 ha de SFP, l’agriculteur réensemence chaque année une trentaine d’hectares avec ses graines « maison ». « On sème des bandes dédiées parmi les prairies multi-espèces pour la récolte en graine », explique Guillaume.

Pour la fétuque, il mise sur un déprimage précoce avant de laisser la plante monter à graine. « En juin, on arrache les rumex dans la parcelle pour avoir quelque chose de propre, puis on récolte à la mi-juillet à la moissonneuse ». Il récolte ainsi entre 350 et 400 kg/ha de graines. Les semences sont ensuite séchées sur une dalle béton. Pour le triage, il mise sur un moulin à venter.

Guillaume Cousineau effectue également des semences fermières de trèfle blanc et violet. Les trèfles sont récoltés en deuxième coupe, après un pâturage ou un foin de printemps. « On nettoie la parcelle, surtout pour les rumex début août, puis on récolte à la fin du mois ». Les trèfles violets sont moissonnés directement, les trèfles blancs sont fauchés au préalable. « On le laisse sécher, et on l’andaine avant de le battre ». « Le trèfle est assez difficile à battre. On rajoute la taule d’ébarbage sur la machine, et il faut qu’il fasse très chaud pour que ça passe bien », souffle l’agriculteur. Côté rendement, la culture est plus aléatoire. Compter entre 50 et 300 kg/ha selon les années. « On y va à l’opportunisme. Les parcelles sont conduites de la même manière que pour la fauche. On les sort du circuit lorsqu’on les trouve belles ».

Des essais sur prairie multi-espèces

Peu à peu, le club des pionniers de la semence fourragère fermière s’agrandit. En Mayenne, Pierre-Marie Nouveau effectue ses semences de prairie multi-espèces depuis trois ans. Depuis, il réserve 80 ares pour la récolte de graines. La parcelle est pâturée jusqu’à mi-avril pour ne pas altérer l’épiaison, puis elle sort du circuit. « Si on pâture trop tard, on risquerait d’entamer une partie du rendement », précise l’agriculteur en agriculture biologique. Après un nettoyage, il fauche sa parcelle en vue du battage. « Je n’ai pas de batteuse, et la récolte intervient souvent après les récoltes de céréales, lorsque les entrepreneurs sont assez demandés alors la fauche permet de gagner un petit peu de temps, et ça se bat mieux ».

Il fait ensuite sécher son mélange sur une bâche, avant de le trier avec un petit trieur à grille. « J’obtiens surtout un mélange ray-grass trèfle, car toutes les variétés de la prairie ne sont pas à maturité en même temps », précise Pierre-Marie. Mais le mélange contente l’éleveur bovin : « j’ai de très bons retours sur les premières prairies semées en semence fermière. Je trouve le rendu correct, et surtout assez simple à faire ».

La semence fermière demande d’avoir quelques largesses sur son système fourrager. « J’ai à peu près 2 ha consacrés aux semences sur 218 ha de SAU et 150 UGB », précise Guillaume Cousineau. « Nous sommes excédentaires en fourrage, donc la production de semence n’entre pas en concurrence avec l’alimentation des Charolaises ». En bref, difficile d’associer chargement élevé, et production de semence maison. « Le foin que l’on récolte derrière la moissonneuse n’est pas de bonne qualité, donc ça peut être assez pénalisant si l’on est sur un système limite en fourrage », estime l’éleveur. « Nous avons notre propre batteuse, ça nous permet aussi d’avoir de la souplesse pour les récoltes de semences fourragères ». « Au final, c’est assez simple à faire, et ça ne prend pas tant de temps que cela », ajoute Pierre-Marie.

Une démarche encore confidentielle

Au-delà des initiatives individuelles se pose la question du changement d’échelle. « La production de semences oblige d’acquérir des compétences techniques. On voit qu’il y a des pionniers dans les Pays de la Loire, l’enjeu est de s’organiser pour la production avant d’adapter les populations cultivées », poursuit Cyril Firmat.

La distribution de semences fermières suscite de nombreuses questions réglementaires. À l’occasion de la rencontre, l’interprofession des semences et plants (Semae) rappelle que « le commerce de graines n’est autorisé qu’à partir du moment où l’on est enregistré en tant que producteur de semences. Les agriculteurs ne sont pas censés en vendre, mais il y a tout de même une tolérance sous couvert d’entraide agricole ». Il n’empêche que des plusieurs pistes de développement subsistent pour la semence fourragère fermière, avec notamment la mutualisation de matériel, et le partage de compétences entre agriculteurs.