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Grippe aviaire

La filière foie gras entame son autocritique


AFP le 23/01/2021 à 08:51
Group of white ducks breeding in a near tall grass in farm

(©Getty Images)

« Il faut tirer les bonnes leçons pour repartir » : confrontée à sa troisième crise sanitaire en cinq ans, la filière française du foie gras sait déjà qu'elle devra songer à élever moins de canards l'hiver, dans l'espoir d'éviter une nouvelle contamination massive par l'influenza aviaire.

Vendredi, la France recensait 377 foyers d’influenza aviaire (communément appelée grippe aviaire) dans ses élevages, principalement (302) dans les Landes. Selon la préfecture, 1,7 million d’animaux – essentiellement des canards – ont déjà été abattus pour tenter de maîtriser l’infection. Selon l’interprofession du foie gras Cifog, il est « trop tôt » pour évaluer les pertes et savoir quand des canetons pourront être réintroduits dans les secteurs infectés. 

Les syndicats Confédération paysanne et Modef n’ont pas attendu pour dénoncer l’« incapacité d’affronter les raisons structurelles de ce désastre ». Ils appellent à « changer de modèle », tourner le dos à l’« industrialisation » de la filière et à la « course aux volumes ». Des griefs déjà exprimés à l’issue des épisodes d’influenza aviaire des hivers 2015-16 et 2016-17, qui avaient entraîné l’abattage de millions de canards et des arrêts prolongés de production.

Sans partager leur diagnostic, la directrice du Cifog, Marie-Pierre Pé, les rejoint sur une solution : rendre moins intensive la production l’hiver. C’est aussi le sens des préconisations de l’Anses. Pour le directeur de la santé animale à l’agence sanitaire, le Dr Gilles Salvat, « il faut diminuer les densités » de canards dans les Landes, premier département producteur de foie gras, mais aussi renoncer à l’élevage en plein air quand les oiseaux migrateurs malades menacent de diffuser le virus dans les zones d’élevage, au moins « entre le 15 novembre et fin décembre, début janvier ».

La directrice du Cifog plaide pour « mieux étaler » la production, au lieu de « se mettre en pression » en novembre-décembre pour proposer du foie cru à cuisiner pour Noël. « Il y a du travail à tous les niveaux » : donner envie de consommer autrement du foie gras, comme les mi-cuits qui se conservent jusqu’à un an ou les surgelés « d’excellente qualité ».

En parallèle, « les entreprises doivent adapter la répartition de la production sur l’année » et « les producteurs doivent avoir les moyens de mettre les animaux à l’abri ». Le maintien de canards en extérieur, malgré la consigne nationale de les confiner pour se prémunir de l’infection, a favorisé l’introduction du virus dans les élevages au début de l’épizootie, selon les experts.

Une dérogation permet aux exploitations de moins de 3 200 palmipèdes de les laisser dehors. « Si beaucoup de producteurs avaient activé cette dérogation, c’est parce qu’ils fallait qu’ils produisent du cru » pour les fêtes, estime Mme Pé. « Individuellement tout le monde est dans son bon droit. Collectivement, tout le monde a tort », dit-elle, admettant qu’« il faut tirer les bonnes leçons pour repartir ».

« Marche forcée » vers la claustration

« On va probablement revenir (sur la disposition permettant de laisser des canards dehors) à la fin de la crise », a prévenu Philippe de Guénin, directeur des services de l’alimentation et de l’agriculture (DRAAF) en Nouvelle-Aquitaine. « Les petits producteurs ne savent pas faire autre chose que du canard en liberté », rétorque le vice-président du Modef des Landes Christophe Mesplède, qui juge « déplorables » les conditions d’élevage en bâtiment, avec des éleveurs réduits à « rationner l’eau des canards pour éviter de souiller trop la paille ». Pour lui, la « marche forcée » vers la claustration convient au Cifog et aux industriels, dans l’optique de décourager des éleveurs de poursuivre leur activité. « Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a un marché pour 26 millions de canards et on produit 28 », pointe-t-il.

L’éleveur reproche aussi aux grands opérateurs que sont Labeyrie, Euralis et Maïsadour de ne pas avoir tenu les engagements pris en 2017 sous l’égide du ministère de l’agriculture. Ces sociétés n’ont pas donné suite aux sollicitations de l’AFP dans l’immédiat. Un « pacte » prévoyait notamment de chercher à diminuer les kilomètres parcourus par les canards entre les exploitations, les ateliers de gavage et les abattoirs. Or, regrette Christophe Mesplède, « on continue à trimballer les canards dans tous les sens ».