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La luzerne, une « plante magique » qui pourrait aller jusqu’en Chine


AFP le 17/07/2024 à 10:05
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Sur les 830 000 tonnes de luzerne déshydratée produites en 2023, la moitié est consommée en France, 45 % est exporté vers l'Union européenne et la Suisse et 5 % gagne la Corée du Sud, le Japon ou l'Arabie saoudite. (© TNC)

Dans les champs de luzerne de la Marne, une délégation chinoise est venue observer les brins verts fleuris de pétales violets : un « voyage d'étude » pour envisager l'importation de cette légumineuse en Chine, potentiel débouché majeur pour les producteurs français.

L’espoir pour cette culture de niche a été ravivé par la visite de Xi Jinping en France en mai. La déclaration conjointe franco-chinoise affirme que les deux pays discutent de « l’ouverture du marché à la luzerne déshydratée », un aliment riche en protéines destiné au bétail et dont la France est le deuxième producteur européen derrière l’Espagne.

Un mois plus tard, une équipe des douanes chinoises visitait champs et usine en Champagne-Ardenne, région qui représente 80 % de la production nationale de luzerne déshydratée.

« Cela fait près de six ans qu’on travaille pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché chinois. Ce serait un débouché majeur pour nous », explique à l’AFP Eric Masset, le président de Luzerne de France qui représente toutes les coopératives de déshydratation de fourrage.

Sur les 830 000 tonnes de luzerne déshydratée produites en 2023 – en hausse de 10 % sur un an -, la moitié est consommée en France, 45 % est exporté vers l’Union européenne et la Suisse et 5 % gagne la Corée du Sud, le Japon ou l’Arabie saoudite.

Desséchée, la luzerne est conditionnée en granulés – compressée en mini-cylindres – et en balles de brins longs de 4 à 6 cm, ce qui en fait un aliment de choix pour les ruminants, à la fois riche en fibres et en protéines.

Durement touchée par la sécheresse dans ses régions céréalières du nord, la Chine est à la recherche de « granulés pour son cheptel bovin laitier », relève Eric Masset.

Pour lui, « la luzerne est une plante magique » : « elle produit jusqu’à 2,5 tonnes de protéines à l’hectare contre 1 tonne pour le soja; elle lutte contre l’érosion grâce à un enracinement profond, restitue de l’azote au sol, est économe en eau – elle n’est pas irriguée en France – et en produits phytosanitaires. » « Cela fait 15 ans que je n’ai pas mis un herbicide dans mes champs », affirme le céréalier.

« Seulement 95°C »

En quelques années, la filière a révolutionné son mode de fonctionnement : fauchée plusieurs fois de mi-avril à mi-octobre, la luzerne est d’abord laissée à plat au champ pour une première phase de séchage d’environ 48 heures.

« Cela permet de la rentrer à l’usine à 50 % de matière sèche. Moins humide, elle pèse moins lourd et on a besoin de moins de camions pour la transporter.

Elle est aussi plus rapide à déshydrater, ce qui fait baisser notre consommation d’énergie », explique Yann Martinet, directeur de Luzerne de France.

Sur le carreau de l’usine de Pontfaverger (Marne), une puissante odeur de foin coupé sature l’atmosphère. Des collines de luzerne fraîche se forment à mesure du déchargement des camions venus des champs voisins.

Moins de huit heures après son arrivée – pour préserver son taux de protéines – la plante est déshydratée dans un four chauffé à 250°C, explique Etienne Planck, le directeur du site de Luzéal, une coopérative qui produit un tiers de la luzerne déshydratée en France.

Il désigne les copeaux de bois qu’avale l’énorme four : « Avant, on utilisait du charbon venu d’Afrique du Sud ou du Chili. On est passé aux plaquettes forestières ». Résultat : les émissions de gaz à effet de serre de la production de luzerne déshydratée « ont été divisés par 2,3 en dix ans », entre 2006-2009 et 2016-2019, selon une étude publiée en septembre par l’Institut national de recherche Inrae et l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

La dynamique s’est encore accélérée depuis, avec des émissions évaluées à « 25 kg de CO2 par tonne de produit fini aujourd’hui, soit une baisse de 93 % depuis 2005 », selon Yann Martinet.

À 40 km au sud de Pontfaverger, l’usine Luzéal de Recy promet d’améliorer encore cette trajectoire. A côté du four désormais classique à biomasse a été mise en fonction une nouvelle ligne mi-2023 : la luzerne met 20 minutes à sécher dans un caisson où l’air est chauffé à « seulement 95°C ».

« On utilise la chaleur produite par un incinérateur d’ordures ménagères de (la ville voisine de) Châlons-en-Champagne : l’hiver cela permet de chauffer les bâtiments publics de la ville et l’été de déshydrater la luzerne », explique le directeur du site Yves Ancelin. C’est cette usine qu’a visitée la délégation chinoise mi-juin.