L’angoisse des petits éleveurs face aux abattages massifs
AFP le 01/04/2022 à 13:05
Farouchement attachés au bien-être animal, des petits éleveurs du Gers souffrent de voir leurs volailles enfermées ou tuées pour « prévenir » la grippe aviaire et accusent l'élevage industriel d'être le « vrai » responsable de la diffusion de la maladie.
Alors que l’épidémie atteint des proportions inédites et que dix millions de volailles ont déjà été abattues en France, certains fermiers « pètent un câble », se retrouvant parfois au bord du suicide.
« Je me suis fait interner volontairement » en hôpital psychiatrique car « j’aurais pu me faire très, très mal », explique ainsi Pierre*, peu après le « dépeuplement » total de son petit élevage de canards en plein air, proche d’un foyer de grippe aviaire.
Fin février, un exploitant excédé s’était attaqué avec un tuyau en PVC à la voiture de deux agents des services vétérinaires, venus dans son élevage pour vérifier que ses animaux étaient bien enfermés.
Début novembre, avant la découverte d’un premier cas de grippe aviaire dans un élevage industriel, les autorités avaient notamment demandé aux producteurs plein air et bio de confiner leurs volailles pour éviter d’éventuelles contagions par des oiseaux migrateurs.
Plein air malmené
Certains petits producteurs ont pourtant laissé leurs animaux en plein air. Anne-Catherine et Nicolas Petit, éleveurs bio à Auch sont allés plus loin : ils ont exprimé publiquement leur refus de confiner. Mis en demeure par les autorités peu après, ils ont dû enfermer leurs volailles dans des enclos en moyenne dix fois plus petits qu’avant.
« Regardez où ils sont, alors que tout autour c’est Byzance ! », indique Anne-Catherine Petit, montrant des dizaines de coqs et de pintades dans un enclos au sol boueux, à force d’être piétiné. Tout autour s’étend une herbe bien verte que les animaux convoitent en vain.
L’éleveuse arrache des brins d’herbe et les lance vers les animaux qui se jettent dessus, se disputant cette denrée devenue rare. « C’est ça qu’on veut ? C’est de la maltraitance ! », s’emporte-t-elle, rappelant l’importance du plein air pour la « qualité » de la viande obtenue.
Un point de vue partagé par Marie*, éleveuse bio dans une autre partie du Gers. Ses poussins, trop jeunes pour pouvoir se protéger des attaques des buses (un rapace, ndlr), sont encore dans une cabane. Dès que la porte s’ouvre, ils tentent de sortir pour manger de l’herbe bien verte.
Marie veut les faire sortir dès que possible : « Si je les laissais enfermés, ils deviendraient agressifs et commenceraient à se piquer entre eux. Ils pourraient aussi attraper d’autres maladies ».
« Boule au ventre »
L’éleveuse raconte aussi ses « nuits d’insomnie », ses « colères » et « cette boule au ventre qui ne (la) quitte plus ». Dès qu’elle entend un bruit de voiture, son visage se tend car elle vit dans la crainte permanente d’un contrôle.
Son regard s’éclaire en revanche quand elle montre ses poules pondeuses cherchant la lumière pour prendre « un bain de soleil » ou grattant le sol pour prendre « un bain de poussière ». Certes, « un oiseau sauvage pourrait les contaminer », mais la grippe aviaire n’a été constatée que chez une quarantaine d’oiseaux sauvages, alors qu’il y a plus de mille foyers en France, insiste-t-elle.
Comme plusieurs autres petits éleveurs contactés par l’AFP, elle désigne « le vrai problème : la diffusion dans les élevages industriels ».
Sans aller jusque-là, la chambre d’agriculture juge nécessaire, entre autres, de réduire à l’avenir la production dans des zones trop denses et de limiter le transport des animaux, très fréquent au sein du secteur industriel.
Elle défend toutefois « la mise à l’abri » des volailles pour « éviter de faire entrer le virus » dans les exploitations, rappelant qu’elle découle d’« avis scientifiques ».
Le virus a été identifié une première fois en élevage le 26 novembre à Warhem (Nord), dans une exploitation de 160 000 poules pondeuses élevées en intérieur. Et, d’une manière générale, les cas suivants ont été détectés dans des élevages en bâtiment.
Dans ce contexte, une pétition lancée par les syndicats agricoles Confédération paysanne et Modef qui demande notamment le rétablissement de l’élevage en plein air pour les petits producteurs, a recueilli plus de 85 000 signatures.
(*) Des personnes interviewées ont demandé à ce que leur nom soit modifié