Le bien-être animal, un phénomène de mode ?
TNC le 29/07/2024 à 04:56
Pas pour Cécile Peudepièce, vétérinaire pour la Chambre d’agriculture. À travers 400 ans d’histoire, la scientifique met en évidence les profondes modifications que rencontre la relation homme-animal.
« Pour ceux qui pensent que c’est une passade éphémère, je pense que nous sommes sur un changement profond de société », lance la vétérinaire Cécile Peudepièce, dans le podcast bien-être animal de la Chambre d’Agriculture des Pays de la Loire. Et la scientifique ne manque pas d’arguments. Pour vous convaincre, elle a concocté une brève histoire de la relation homme-animal.
Faisons un saut dans le temps, et réveillons-nous dans la France de 1650. À l’époque, on vit à la campagne, et la nature est perçue comme hostile et dangereuse. « L’Église avait positionné la place de chacun. L’homme se positionnait entre Dieu, et les animaux. C’était clair », résume la vétérinaire. « Les bêtes étaient une source de nourriture, et un compagnon de labeur. » Et c’est toute la société qui était différente. Avoir mal, mourir faisait partie de la vie. « On arrachait les dents sans anesthésie. L’aïeul mourrait dans son lit et le cochon était tué dans la cour de la ferme ».
Bref, la considération pour l’animal était profondément différente. D’autant que 1650 n’est pas une date anodine. C’est l’année durant laquelle le célèbre philosophe et mathématicien Descartes a fermé les yeux. De son point de vue : l’animal n’était qu’une machine. « Il le décrivait comme un parfait automate, complexe, avec des sens efficaces, mais non doté de langage ni de raison. Il ne pouvait donc pas souffrir. » Penser ainsi légitimait tout ce que l’on pouvait faire à l’animal.
Au fil des siècles, ce point de vue a été remis en question. John Locke, un philosophe anglais du XVIIe siècle, a engagé un premier tournant. Pour lui, la cruauté envers les animaux n’était pas acceptable. Mais le fondement de sa pensée vous surprendra peut-être ! S’il ne faut pas battre les chiens, c’est surtout parce que cela « nuit à leurs propriétaires », décrypte Cécile Peudepièce. En bref, il pense que si l’on tape sur les animaux, on a plus de chance de taper sur les humains.
Dans la même logique, notre bien connu Jean-Jacques Rousseau, philosophe du XVIIIe siècle, se positionnera contre la violence envers les animaux. Non pas par sympathie pour eux, mais « parce qu’elle entache la morale de la personne qui le fait ».
Les premiers textes de loi
De là commenceront à naître les premiers textes de loi. En Angleterre tout d’abord, avec le Martin’s act, voté en 1822. Le texte visait à interdire le traitement cruel du bétail. En France, en 1850 est sortie la première loi de protection pénale des animaux. « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront être condamnés d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques », expliquait le texte. À noter toutefois qu’il ne concernait que le mauvais traitement public des animaux. Ce n’est qu’en 1959 que sera abrogé le texte, pour être étendu à la sphère privée.
Mais c’est peut-être Darwin, qui contribua le plus à la cause animale. « Depuis la théorie de l’évolution, la place de l’animal n’est plus définie par la religion, mais par la science. » L’homme est une espèce animale parmi les autres. Nous ne sommes plus au-dessus des animaux, mais à côté.
Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, la nature n’est plus hostile, mais bienveillante ; plus sombre, mais verdoyante. « Dans la moitié des foyers, les animaux ont totalement disparu. Dans l’autre, ils sont surtout là pour la compagnie », poursuit la vétérinaire. « Il y a des chiens, mais qui ne chassent plus, des chats qui ne courent plus après les souris et des lapins qui n’ont pas à craindre de finir à la casserole. »
Le rapport à la mort, comme à la douleur a changé. « On lutte de toutes nos forces contre eux. Il n’est donc plus question de les faire vivre aux animaux, comme aux hommes ».
Ce changement de paradigme s’est traduit par la loi. Le bien connu article L214 du code de la ruralité, marque la reconnaissance de la sensibilité animale. Et l’inscription, en 2015 de cette sensibilité animale dans le Code civil officialise l’obligation d’une conduite éthique envers les animaux.
Pour la vétérinaire, la tendance n’est pas passagère, « le bien-être animal n’est pas une mode, et ne passera pas comme une mode ».