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Le prix amer du café, dans la nasse d’enjeux globaux


AFP le 21/01/2025 à 10:13

Entre aléas climatiques, incertitudes politiques et enjeux financiers, le café affiche des prix record. Si les cours pourraient se calmer, leur volatilité devrait rester de mise, préviennent les experts.

Flambée des prix

En hausse de 90 % sur 2024, le cours de l’arabica, coté à New York, a battu le 10 décembre son record de 1977, à 3,48 dollars la livre. Le robusta est lui aussi élevé.

À l’origine de cette flambée, accentuée par la spéculation, la crainte de mauvaises récoltes au Brésil et au Vietnam, 1er et 2e producteurs mondiaux, frappés par la sécheresse, après plusieurs années de demande dépassant l’offre.

Se sont ajoutés « les perturbations en mer Rouge qui allongent le transport d’Asie en Europe, les retards dans certains ports », complète Carlos Mera, analyste chez Rabobank.

Enfin les acheteurs ont anticipé l’application d’une réglementation européenne sur la déforestation – in fine repoussée – et le potentiel relèvement de droits douaniers par Donald Trump.

Désormais « les prix devraient baisser plutôt qu’augmenter », estime M. Mera. Mais les stocks de café étant bas, « nous devons nous attendre à de la volatilité ».

Climat menaçant

Le climat, notamment pour l’arabica, cultivé en altitude, est source d’incertitudes. Le robusta est plus résistant, mais moins prisé.

Environ 175 millions de sacs (de 60 kilos) de café devraient être produits sur l’année 2024-25 : à 56 % de l’arabica, 44 % du robusta, selon le ministère américain de l’agriculture.

Installées en zones intertropicales, les deux variétés sont exposées, décrit Guillaume David, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad) : gel tardif sur les fleurs, pluies au mauvais moment, moussons trop intenses, coléoptères…

« Cette année on a vu des aléas au Brésil ET au Vietnam, avant c’était l’un ou l’autre, » relève le chercheur.

Nouveaux consommateurs

Dans le même temps, la demande se maintient pour ce petit grain né en Afrique et largement globalisé.

2024 a « vu une petite baisse de demande dans des marchés matures », précise M. Mera, qui voit en Europe un effet de « la crise du coût de la vie » et aux États-Unis « peut-être » de l’essor des traitements pour perdre du poids, ennemis des cafés latte.

En revanche elle est « en forte hausse en Chine » : sur l’année 2023-2024, le pays a importé 4,3 millions de sacs, contre 1,5 million quatre ans avant, selon l’expert. La Chine est parallèlement le 13e producteur mondial, avec environ 2 millions de sacs par an.

Nouvelles géographies ?

Le Brésil fournit environ 40 % de la production, devant Vietnam (17 %), Colombie (7 %), Indonésie (6 %), Éthiopie (5 %), Ouganda, Inde, Honduras, Pérou, Mexique…

Quelques pays pourront monter en altitude, comme le Brésil qui y a même de grands espaces plats permettant de mécaniser la culture. Mais pour l’Équateur, le Burundi ou même la Colombie, ce sera difficile.

L’Afrique pourrait jouer un rôle clé avec par exemple le Togo ou la Côte d’Ivoire, qui ont pu abandonner le café au profit du cacao, ou le Kenya, qui l’a parfois remplacé par l’avocat, suggère M. David, évoquant aussi l’Indonésie, qui en dix ans a multiplié les origines de qualité.

Des travaux sont en cours sur les variétés, la valorisation du robusta… Les agronomes appellent avant tout à adapter les pratiques culturales pour ce qui est à l’origine une plante de forêt : implanter du couvert végétal pour la protéger du soleil comme des intempéries, sortir de la monoculture pour mieux lutter contre les ravageurs, limiter les pesticides et diversifier les revenus (bois d’œuvre, de chauffe, poivre etc).

Petits producteurs, gros opérateurs

Comment accompagner les petits paysans, qui assurent les deux tiers de la production mondiale (avec moins d’un hectare) et restent nombreux sous le seuil de pauvreté ? En octobre, le G7 a acté la création d’un Fonds mondial pour la résilience du café, impulsé par l’Organisation internationale du café (OCI, les pays producteurs) et des entreprises. Objectif, trouver des financements public-privé pour soutenir innovation et adaptation.

Nombre d’experts soulignent aussi le besoin d’une plus juste rémunération des agriculteurs, sur fond d’oscillations massives des cours du café ces dernières années.

Le commerce équitable, qui garantit un prix minimum, couvre 5 % de la production. Pour le reste, plus de 80 % du café est collecté par quelques géants du négoce, pour des transformateurs internationaux eux aussi très concentrés.

Si en cours élevé les producteurs peuvent profiter de prix améliorés, la chute est sévère en prix bas, les contraignant souvent à ne plus entretenir les plants, alimentant le cycle infernal, explique Nicolas Eberhart, de la coopérative française Ethicable.