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L’envolée du prix du broutard va-t-elle durer ? Un exportateur décrypte la tendance


TNC le 28/03/2025 à 05:39
Jeunesbroutards

Le manque d'offre, couplé à une demande ferme sur le marché européen a conduit à une importante hausse du cours du broutard sur le début de l'année 2025. (© TNC)

À la mi-mars, les cotations du broutard approchaient les 5 €/kg vif. Un niveau de prix inédit porté par la décapitalisation, mais également par les exports espagnols à destination du Maghreb. La fin du Ramadan pourrait toutefois restreindre la demande des pays musulmans, pour l’instant enclins à payer cher une « viande de fête ».

« Si l’on m’avait dit il y a un an qu’il s’achèterait des broutards à presque 5 € le kilo, je n’y aurais pas cru », lance un exportateur de bovins. À la mi-mars, la cote du broutard limousin de 350 kg avoisinait les 4,95 €/kg de poids vif. « C’est inédit » tranche le marchand de bestiaux. Le broutard charolais a presque gagné un euro en deux mois et demi ! Mais jusqu’où ira la flambée des cours ?

Malgré un léger ralentissement, les cours du broutard continuent leur hausse pour la plupart des catégories. (© Tendance lait et viande)

Les Espagnols tirent le marché à la hausse

Des aspects conjoncturels ont contribué à la hausse brutale des cotations en ce début d’année. Les Espagnols ont débarqué en force sur le marché français. En janvier, les exportations mâles de plus de 300 kg à destination de la péninsule ibérique ont bondi de plus de 200 %. Plutôt coutumière d’animaux légers et d’export de maigre vers l’Afrique du Nord, l’Espagne a revu son carnet de commandes. « Les très bons cours de la viande les incitent à prendre des animaux plus âgés et nécessitant une durée d’engraissement inférieure », note l’Institut de l’élevage dans ses Tendances mensuelles. Si bien que les Espagnols marchent aujourd’hui sur les plates-bandes des importateurs italiens. En janvier, les exports de mâles de 300 kg étaient en baisse de 20 % vers la botte transalpine.

La demande espagnole s’est maintenue pendant les mois de mars et février, au détriment des marchés italiens. (© Tendance lait et viande)

Difficile de savoir si ce débouché va se maintenir. En février comme durant la première quinzaine de mars, les envois de bovins de l’autre côté des Pyrénées sont restés dynamiques. Mais l’Afrique du Nord reste un partenaire privilégié de l’Espagne et la fin du Ramadan, le 30 mars, pourrait tarir les échanges.

Le Maghreb n’hésite plus à acheter du broutard brésilien

La baisse du cheptel de vaches allaitantes chamboule le marché au-delà des frontières de l’Europe. « Avant, l’Espagne — et même la France – vendait du maigre Afrique du Nord. Avec la hausse des cours, les pays du Maghreb n’hésitent plus à faire venir des broutards sud-américains », tranche l’exportateur. La hausse du prix du maigre en Europe a eu pour effet collatéral de rendre rentables les importations de vif au long cours. « Rendu Casablanca, il est possible de trouver des broutards brésiliens moins chers que des broutards européens ». D’après l’Institut de l’élevage, un delta de 1 $/kg existe en faveur du vif sud-américain par rapport au marché européen.

Un peu plus de 40 000 têtes ont ainsi transité entre le Brésil et le Maroc en 2024. C’est cinq fois plus que l’année précédente. L’Algérie pourrait également se positionner sur ce marché, avec l’arrivée de 2 000 têtes en janvier 2025 pendant que la Turquie poursuit ses échanges avec pas moins de 510 000 bovins vifs importés du Brésil et d’Uruguay en 2024. « Il y a quelques années, on s’interrogeait sur le bien-fondé de faire croiser des bovins sur la Méditerranée pendant deux jours. Aujourd’hui, on se retrouve avec des animaux qui traversent l’Atlantique pendant trois semaines », constate amèrement le marchand de bestiaux.

De moins en moins de broutards partout en Europe

Difficile pour autant d’imaginer un retournement brutal du marché. La hausse des prix reste portée par la décapitalisation. « Les naissances de veaux allaitants sur l’ensemble de la France auraient reculé de 5 % à 6 % au total sur l’année 2024 », explique l’Idele dans ses Tendances.

Difficile ensuite de démêler ce qui relève de la baisse du cheptel des effets de la FCO. « La forte baisse des vêlages à l’automne (- 8 % en septembre, – 12 % en octobre, – 7 % en novembre) a été concomitante à l’arrivée de la FCO-3 sur le territoire français, alors que la FCO-8 circulait également, et après un printemps déjà en recul », remarque l’Idele. Quoi qu’il en soit, le recul des naissances affectera la disponibilité en broutards dans les mois à venir, et le contexte est le même chez nos voisins européens.

L’Allemagne, deuxième cheptel en Europe après la France, a perdu 2 % de ses vaches en 2024. Si bien qu’au global, le cheptel européen est en retrait de 3 % par rapport à 2023. « Il faudra apprendre à conjuguer avec une disponibilité en maigre plus faible », tranche le commerçant. Difficile d’imaginer des broutards brésiliens débarquer sur notre sol. Au-delà des problématiques sanitaires et commerciales, ce type d’échanges apparaît en l’état difficilement acceptable en termes d’image et de bien-être animal.

« Les engraisseurs italiens tirent la langue »

Pendant ce temps, les engraisseurs du bassin méditerranéen boivent la soupe froide. « Les Italiens à la tête de grosses structures tirent un peu la langue. Avec des ateliers à plus de 1 000 places, il faut un réseau d’approvisionnement solide pour les remplir mais aussi des partenaires financiers qui jouent le jeu ». La trésorerie devient une problématique pour les engraisseurs.

Si bien que peu à peu, le modèle change. De plus en plus de structures sont gérées par des abattoirs. « Les abatteurs n’ont pas le choix. Soit ils sécurisent leur approvisionnement, soit ils disparaissent », décrypte le marchand. Comme en France, la mise en place de contrat, voire l’intégration, permet de garantir un delta entre le prix le maigre et le produit fini.

Au-delà de la restructuration du secteur, les engraisseurs italiens connaissent les mêmes problématiques de renouvellement des générations. La filière comptait dans les 74 000 ateliers en 2020, contre 89 000 en 2009.

Difficile pour autant d’imaginer la fin du partenariat historique entre la France et l’Italie. « L’export de broutards, c’est en partie ce qui a permis à la France de passer de 2 à 4 millions de têtes de vaches allaitantes en 30 ans, pendant que les quotas laitiers encadraient le cheptel de vaches laitières », rappelle l’expert. « Même en engraissant davantage en France, je ne pense pas que nous puissions nous passer des Italiens ». La baisse de disponibilité devrait donc contribuer à concentrer le marché vers nos partenaires historiques, alors que les pays tiers viendraient ponctuellement stimuler les marchés européens.

Pour l’exportateur, relocalisation de l’engraissement est une fausse solution. « On peut toujours développer l’engraissement en France, mais le nœud du problème n’est pas là. Nous avons un problème européen de diminution du cheptel naisseur, peu importe où l’on engraisse. Il y a de moins en moins de broutards en Europe, et c’est surtout ça qui est inquiétant ».