L’épigénétique, ou comment transformer une fille de championne en génisse ordinaire
TNC le 24/10/2024 à 08:09
Les gènes conditionnent les performances des animaux, mais pas tout seuls ! Certains phénotypes ont besoin d'un épigénome favorable pour apparaître. Sur le plateau de la Space TV, Yann Martinot, directeur technique d'Elvup, décrypte les contours de cette science délicate.
Épigénétique. Ce nom barbare ravive chez certains de douloureux souvenirs de cours de SVT. Et pourtant, cette petite révolution dans le monde de la génétique explique comment la meilleure des vaches peut donner une génisse quelconque sous l’influence de l’environnement.
Comme souvent en science, tournons-nous vers les souris de laboratoire pour mieux comprendre. Parmi les nombreux gènes qui déterminent la couleur de leur pelage, l’un d’entre eux se prénomme « Agouti ». Et autant dire qu’il a donné du fil à retordre aux chercheurs ! Des souris, présentant la même version du gène étaient tantôt brunes, tantôt blondes, sans qu’aucune mutation ne se laisse observer. C’est là l’œuvre de l’épigénétique. Selon les conditions du milieu, des marqueurs chimiques (ici des groupes méthyles) viennent s’accoler à l’ADN, modifiant ainsi son expression.
Si les gènes sont bel et bien figés dans le marbre, « des mécanismes biologiques, liés à l’environnement de l’animal, viennent moduler leur expression », résume Yann Martinot, directeur technique chez Elvup sur le plateau de la Space TV.
Concrètement, cela veut dire que si l’on a une vache de concours, sa descendance héritera d’une génétique confortable. Mais encore faut-il la bichonner pour qu’elle bénéficie d’un épigénome à la hauteur de ses gènes, sinon place à la déception. Et les facteurs de modulation de l’épigénome ne manquent pas !
L’épigénétique, ou l’art d’éviter le stress
La signature épigénétique de l’animal commence lors de la fabrication des gamètes, jusqu’aux six mois du veau. Cela revient à dire que l’animal n’est pas encore conçu, que son épigénome est déjà en jeu au sein des gonades des parents. « Si un taureau allaitant connaît un stress thermique important en pâture, des micro-ARN vont transmettre une information comme quoi l’environnement est défavorable lors de la maturation des spermatozoïdes dans l’épididyme. Cela donnera des animaux moins performants, et le phénomène est irréversible », tranche Yann Martinot. Même constat sur les gamètes femelles issus d’animaux en stress.
Le développement de l’épigénome se poursuit ensuite durant la gestation. Et encore une fois, mieux vaut éviter les stress. « Lors du développement de l’embryon, les fibres musculaires se développent. Si la mère connaît des stress pendant le premier tiers de la gestation, ce nombre de fibres sera limité », explique Yann. « Sur le deuxième tiers, on sait que c’est la taille de ces fibres qui entre en jeu. » L’impact sur la production est irréversible. « On pourra faire tout ce qu’on veut à l’engraissement, s’il y a moins de fibres, il y aura un petit peu moins de viande. » C’est ce que montrent des essais menés au Japon sur les célèbres vaches Wagyu.
L’impact de l’environnement sur la gestation des vaches laitières est encore plus documenté. « On sait qu’une vache tarie, qui connaît un stress thermique important, aura une fille moins performante de l’ordre de 1 000 à 1 500 l de lait par lactation adulte, car tout ce qui ne se développe pas à ce moment-là n’est jamais rattrapé. » En bref, toutes les fonctions biologiques de l’animal sont impactées par l’épigénétique.
La construction de l’épigénome continue à la naissance de l’animal. « On associe souvent la prise colostrale à la transmission de l’immunité, mais son rôle ne s’arrête pas là », met en garde Yann Martinot. Dans le premier lait produit par la vache, il y a de l’énergie, de l’azote, des immunoglobulines… Mais aussi une grande quantité de molécules bioactives en tout genre qui ont un impact sur l’épigénome.
Et plus largement, mieux vaut rester vigilent tant que l’animal est en croissance. « Sur le zéro/deux mois, le train ne passe qu’une fois », avertit le directeur technique. Le développement de la mamelle est isométrique, c’est-à-dire qu’elle grandit à la même vitesse que le reste du corps. Si bien que si le poids du veau ne double pas dans les deux mois suivant la naissance, ce qui ne sera pas développé ne sera jamais rattrapé. En Prim’Holstein, « il y a encore 1 000 1 de lait qui se jouent sur cette période », insiste le conseiller.
Un épigénome façonné par l’hérédité et les conditions du milieu
D’autant que l’épigénome se transmet pour partie. « C’est ainsi qu’un stress thermique en fin de gestation peut avoir des conséquences sur plusieurs générations. Car si la vache transmet le gène, elle transmet aussi une partie de son épigénome dont l’expression sera modulée selon les conditions du milieu. »
Dans ce contexte, les conséquences de l’épigénétique semblent énormes. Elles font qu’un stress thermique en fin de gestation peut impacter jusqu’à plusieurs générations d’animaux. « On retrouve un impact jusqu’au F2 », détaille Yann Martinot.
Mais le conseiller rassure les éleveurs. « La plus grande préconisation qu’on puisse faire pour favoriser le développement d’un épigénome favorable, c’est de limiter les stress. La science vient en quelque sorte formaliser ce que l’on savait déjà, et que les éleveurs pratiquent. »
Stress thermique, alimentaire, carences en minéraux, facteurs anti-nutritionnels, maladies… Pour offrir le meilleur écrin possible au potentiel génétique des animaux, l’essentiel reste de leur offrir un environnement favorable à leur développement, sans faire d’impasse. « Une vache, ça se construit. On a parfois tendance à favoriser les vaches en lactation dans les soins qu’on accorde, mais il ne faut pas négliger les futures générations de reproducteurs. En lait comme en viande, il y a des stades clés dans le développement de l’animal à ne pas négliger, et il est rarement possible de les rattraper. »