Les chocolatiers face à un amer dilemme pour Pâques
AFP le 26/03/2024 à 07:05
Les chocolatiers suisses se retrouvent face à un amer dilemme pour Pâques : augmenter leurs prix face à la flambée des cours du cacao au risque de couper l'appétit des consommateurs déjà assommés par l'inflation ou laisser fondre leurs marges ? La semaine passée, le cacao a battu de nouveaux records, frôlant les 9 000 dollars la tonne à New York et dépassant les 7 000 livres sterling à Londres, ce qui va forcer les chocolatiers à augmenter encore leurs prix, même si leur marge de manoeuvre est limitée avec la baisse de moral des ménages.
Début mars déjà, Lindt & Sprüngli avait averti que ses prix vont de nouveau augmenter en 2024 et 2025 après avoir été déjà relevés de 10,1 % en moyenne en 2023, le groupe misant sur ses produits à plus forte marge, comme les pralines ou lapins de Pâques, pour absorber le choc.
L’envolée du cacao, qui s’ajoute aux prix élevés du sucre, « accentue les défis pour le chocolat suisse », a indiqué à l’AFP, Thomas Juch, le directeur des affaires publiques de Chocosuisse, la fédération patronale du secteur.
Cette flambée du cacao intervient dans un « contexte de sensibilité accrue aux prix » de la part des consommateurs et se fait pour l’instant en partie « à la charge des fabricants » qui ne « peuvent pas répercuter intégralement cette hausse sur les prix de vente au détail », puisqu’ils sont ajustés à certains intervalles lors des négociations avec les supermarchés, « et non en continu », souligne-t-il.
En 2023, l’inflation des prix alimentaires a déjà pesé sur les volumes d’exportations de chocolat suisse, qui ont reculé de 0,2 % à 150.516 tonnes, selon Chocosuisse. Et la consommation par habitant en Suisse, le premier pays consommateur de chocolat au monde, a diminué de 1 %, à 10,9 kg.
Pourtant, les cours du cacao ont encore doublé depuis janvier après une hausse de près de 70 % à New York et de près de 90% à Londres en 2023 suite à de mauvaises récoltes en Côte d’Ivoire et au Ghana, les premiers producteurs de fèves au monde, en raison de fortes pluies et d’une maladie des cabosses, puis d’un épisode de sécheresse.
Ne pas changer les recettes
Une des solutions dans l’industrie agroalimentaire quand les coûts des matières premières explosent consiste à reformuler les recettes.
Mais « rafistoler les recettes et profils de goût maintenant, juste parce que les coûts du cacao ont augmenté, serait à mon avis une erreur », a déclaré le patron de Nestlé, Mark Schneider, lors des résultats annuels du groupe (propriétaire notamment de la marque de pralines Cailler), les consommateurs ayant des attentes très précises pour leurs produits préférés, a-t-il rappelé.
« Les recettes sont sacrées », a aussi insisté Jessica Herschkowitz, responsable de communication chez Camille Bloch, le fabricant des barres de praliné Ragusa.
L’autre solution consiste plutôt à créer de nouveaux produits, Ragusa étant un exemple historique bien connu en Suisse. En 1942, Camille Bloch, qui peinait à importer des fèves en Suisse face à la perturbation des échanges internationaux durant la seconde guerre mondiale, avait inventé cette barre de praliné aux noisettes, dont il disposait en abondance, créant ce qui est devenu depuis une marque culte.
Pas d’autres options
Mais dans l’immédiat, « nous allons devoir passer par la case augmentation des prix comme tous les autres chocolatiers », reconnaît Mme Herschkowitz.
Cette entreprise familiale a « tout fait pour éviter des augmentations de prix », a-t-elle indiqué à l’AFP, notamment en attendant autant que possible « avant de placer nos nouvelles commandes ». Mais la hausse du cacao est telle que « nous n’avons pas d’autres options », explique-t-elle.
Selon Jean-Philippe Bertschy, analyste chez Vontobel, « même si certains groupes étrangers sont moins regardants », les chocolatiers suisses ne peuvent pas transiger avec la qualité. Lindt, par exemple « ne fait aucun compromis » car « la qualité est la base de son succès », a-t-il indiqué à l’AFP.
Pour Adalbert Lechner, le patron de Lindt & Sprûngli, la solution est plutôt de veiller à ce que la gamme de prix soit suffisamment large pour que ses produits soient accessibles « à tous les budgets », à l’image de son lapin de Pâques, disponible en six tailles, allant de 10 grammes à 1 kilo, a-t-il pris en exemple lors des résultats annuels du groupe.