Les médecines vétérinaires alternatives, entre science et charlatanisme
TNC le 30/01/2025 à 04:59
Entre incitation à réduire la consommation d’antibiotiques, et volonté croissante de prendre en compte le bien-être animal, les médecines douces ont le vent en poupe. Mais peut-on vraiment s’y fier ? Christophe Hugnet, praticien membre du conseil national de l’ordre des vétérinaires nous aide à y voir plus clair.
Shiatsu, acupuncture, homéopathie, ostéopathie, aromathérapie, phytothérapie… La liste des formations proposée par les Chambres d’agriculture s’allonge d’années en années. Et ces médecines dites « complémentaires » ont fait plus que passer la porte des Chambres : Organismes de conseil en élevage, Groupements de défense sanitaires (GDS) et même vétérinaires proposent aujourd’hui des initiations. « On cherche simplement à répondre aux demandes que formulent les agriculteurs », tranche Laurence Fos, coordinatrice formations élevage pour la Chambre d’agriculture de Normandie.
Les soins aux animaux doivent être guidés par la biologie
Dans le même temps, l’ordre national des vétérinaires regarde ces initiatives fleurir avec méfiance. « Les médecines complémentaires, pourquoi pas, mais à condition qu’elles aient un fondement de biologie », tranche Christophe Hugnet, membre du conseil national des vétérinaires. Alors, charlatanisme ou pratiques fondées ? Difficile de trancher tant l’offre est large.
Officiellement, le Conseil national de l’ordre des vétérinaires (Cnov) ne reconnaît que peu de pratiques. Parmi elles figurent la physiothérapie (équivalent de la kinésithérapie), la phytothérapie vétérinaire (traitement par les plantes), et l’ostéopathie animale.
Pour le reste, Christophe Hugnet conseille d’être méfiant. « L’enjeu, c’est de ne pas perdre de temps dans le traitement des pathologies ». Cette injonction est avant tout une question de bien-être animal. « On associe souvent les médecines douces au bien-être, mais on peut considérer à l’inverse que donner à un bovin un traitement qui n’a aucun effet avéré revient à le laisser dans la souffrance, et différer l’attribution d’un soin éprouvé ». Mais cela peut également avoir des conséquences au niveau sanitaire. « Nous avons la MHE, plusieurs sérotypes de la FCO qui circulent en France et d’autres qui attendent à la frontière. À cela s’ajoutent des cas de fièvre aphteuse détectés en Allemagne : nous avons plus besoin d’éclairer les éleveurs sur les mécanismes biologiques et la vaccination, que de se focaliser sur des pratiques plus aléatoires », estime le vétérinaire.
La phytothérapie coincée dans un brouillard réglementaire
Il n’empêche que les médecines complémentaires ont leurs adeptes, et pour Laurence Fos, il est important de former et d’accompagner les agriculteurs. « Je peux vous citer un exemple d’éleveur qui a tué un lot de veau en utilisant mal les huiles essentielles. Ça n’est pas parce que c’est naturel que c’est inoffensif », tranche la coordinatrice.
Car si la phytothérapie peut avoir des effets notables, la pratique se situe aujourd’hui à la limite de la légalité. En cause : l’absence d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les produits utilisés. Pour qu’un médicament soit autorisé en médecine vétérinaire, il doit être associé à une limite maximale de résidus (LMR). Or la plupart des préparations à bases de plantes ou d’huiles essentielles en sont dépourvues. Ainsi, pour rentrer dans les clous, la phytothérapie doit être prescrite par un vétérinaire, et être associé à un temps d’attente. Compter 7 jours pour le lait, et 28 jours pour la viande en production conventionnelle. En agriculture biologique, les délais de retour sont doublés.
Mais cela pourrait bien évoluer. En 2022, un avis de l’Anses proposait de lever les verrous réglementaires en attribuant une LMR à de nombreuses plantes. Un classement en trois catégories était alors suggéré : les plantes non préoccupantes, ne nécessitant pas de LMR, les plantes potentiellement préoccupantes pour le consommateur, dont l’autorisation en médecine vétérinaire devra être évaluée au cas par cas, et enfin les préoccupantes, non utilisables du fait de leur toxicité avérée pour l’homme. Mais pour être appliquée, cette méthode doit être reconnue à l’échelle européenne. L’Anses a saisi l’Agence européenne du médicament à ce sujet et un nouveau cadre réglementaire est attendu à horizon 2027.
Mais attention, la légalité d’un produit n’est pas pour autant gage d’efficacité. Dans ce domaine, un large champ de connaissance reste encore à défricher. L’enjeu étant de vérifier si les propriétés conférées aux plantes sont réelles ou supposées.
L’homéopathie de plus en plus acculée par la science
D’autres pratiques suscitent encore plus de débats. « L’homéopathie est sûrement la plus décriée », lance Laurence Fos, elle-même adepte. « Nous n’avons qu’une seule formation à l’échelle régionale, et je ne sais pas si nous aurons assez de participants pour la maintenir. Depuis le déremboursement de l’homéopathie en médecine humaine, les formations sont moins demandées ».
Si ses partisans évoquent « une médecine qui ne raisonne pas par pathologie, mais considère l’animal dans sa globalité », la pratique peine à faire valoir son efficacité aux yeux des scientifiques. Parmi les travaux les plus impactant figurent ceux de Peter Lees. Membre du Royal Veterinary College de Londres, il a publié une « comparaison des médicaments vétérinaires et de l’homéopathie vétérinaire » (partie 1 et partie 2), ou il compile nombre d’expérimentations sur la question. Pour le vétérinaire, « bien que les homéopathes rapportent que leurs remèdes sont efficaces lorsqu’ils sont utilisés dans leur pratique, l’efficacité au-delà du placebo n’est pas apparente dans les essais cliniques bien contrôlés ».
Et pour Christophe Hugnet, l’effet placebo n’est pas un gros mot, même chez les animaux. « Le fait de porter de l’attention à l’animal, de le soigner joue sur les hormones, ce qui peut stimuler le système immunitaire ».
Pourtant, nombre de témoignages de guérison plaident en faveur de la pratique. Pour le chercheur, « si un vétérinaire administre un traitement et que l’animal va mieux, il existe un fort biais cognitif qui nous amène à croire que le traitement en est responsable, mais cette hypothèse pourrait être erronée ». En bref, il est possible que certaines pathologies se résorbent d’elles-mêmes. Christophe Hugnet abonde dans ce sens. « Quand on donne dans anti-inflammatoires pour combattre une maladie virale, on fait en sorte que l’animal souffre moins, mais on ne traite pas la pathologie directement, ça n’est jamais que le système immunitaire qui fait son œuvre. Il peut en être de même lorsqu’un animal guérit avec un traitement homéopathique ».
Les adeptes de l’homéopathie reprochent toutefois à ces études de ne pas prendre en compte le fondement de la pratique. « L’homéopathie suppose d’adapter le traitement spécifiquement à l’animal. C’est difficile de reproduire cela en situation expérimentale. Lorsqu’une vache à une mammite, on la traite différemment selon les symptômes qu’elle présente, selon son humeur, que le quartier soit chaud ou non », répond Laurence Fos. Mais pour le vétérinaire, cet argument ne vaut pas « même si l’approche est différente, les animaux restent régis par la biologie. Si cela fonctionne, on doit être capable de l’expliquer, la magie n’existe pas ».
Démêler le vrai du faux en ostéopathie
Les médecines alternatives proposent également de travailler sur la santé via la manipulation des animaux. Le praticien invite encore une fois à dissocier ce qui relève du scientifique de l’ésotérique. « Si l’animal à des problèmes articulaires, cela peut s’entendre. Si l’on part de quelque chose de plus exotique, autour de l’énergie ou des aspects vibratoires, l’on s’éloigne encore une fois du champ scientifique ».
En bref, il convient de faire attention aux praticiens intervenant. D’autant que les intitulés sont nombreux : ostéopathie, shiatsu… Toutes les pratiques et tous les praticiens ne sont pas reconnus par l’ordre des vétérinaires. Seuls les vétérinaires peuvent pratiquer l’ostéopathie animale, ainsi que des non-vétérinaires formés à l’ostéopathie et inscrits auprès du conseil national de l’ordre des vétérinaires (CNOV).
La fédération française de shiatsu (pratique japonaise reposant sur l’utilisation de pression) regrette par exemple les attaques du CNOV, qui estime que la pratique s’apparente à de l’ostéopathie animalière déguisée sans que les praticiens soient forcément habilités.
Des éleveurs en quête de nouvelles approches de leur métier
De son côté, la Chambre d’agriculture de Normandie se défend de ne faire intervenir que des vétérinaires lors des formations. « Nous faisons bénéficier aux agriculteurs du fond Vivea. Dans ce cadre, on ne peut pas faire intervenir n’importe qui », précise Laurence Fos.
Mais la coordinatrice des formations interroge également sur les motivations des éleveurs, qui voient en ces pratiques une alternative. « Les injonctions à réduire les antibiotiques ou à proposer davantage de bien-être animal font que les éleveurs prennent du recul sur leur métier. Ils sont à la recherche de quelque chose de plus vertueux, plus confortable pour leurs animaux ». « Le développement de l’agriculture biologique a incité à ces pratiques complémentaires, avec parfois l’erreur de faire croire que ça pouvait se substituer à la science », conclut Christophe Hugnet.