Malgré les secousses, la production laitière est restée « plutôt attractive » en 2024


TNC le 08/04/2025 à 05:02
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Les prix du lait payés aux producteurs en 2024 sont restés en-deça des prix allemands et de la moyenne européenne. (© Jean-Luc, AdobeStock)

Dans un contexte mondial secoué par la flambée des prix du beurre, des épizooties et des tensions commerciales, l’année laitière 2024 a été rythmée en France par une collecte et des prix à la hausse, par un repli du cheptel et par des fabrications de fromages accrus. 2025 s’annonce pleine d’incertitudes, aussi bien géopolitiques et économiques que sanitaires et climatiques.

2024 aura été marquée par l’envolée des cours du beurre et une instabilité croissante liée aux épizooties et aux tensions commerciales. C’est ce qui ressort du panorama économique laitier que l’Idele a dressé le 3 avril, lors de son Grand angle lait.

Face à une demande mondiale stable, les États-Unis ont « affolé le marché » du beurre en étant très actifs au premier trimestre, provoquant une envolée des cours : + 38 % à l’échelle mondiale entre 2023 et 2024. En Europe aussi, les prix sont restés fermes, accentués par les inquiétudes autour de la FCO : « Certains acteurs ont été plus actifs par peur de manquer de produits », explique l’agroéconomiste Baptiste Buczinski.

Outre la FCO en Europe, c’est l’influenza aviaire qui a durement frappé le troupeau laitier californien, entraînant une baisse de la production américaine au troisième trimestre.

Autre fait marquant : la plupart des grands pays exportateurs ont vu leurs marges brutes progresser grâce à des prix du lait plutôt soutenus et des prix des intrants « globalement en baisse, ce qui a permis un meilleur retour sur investissements ». La production est ainsi restée « plutôt attractive » aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Europe.

À une échelle plus locale, favorisée par les « fourrages lactogènes et de bonne qualité » récoltés en 2023, la collecte en France a progressé de 1 % en 2024, à 23,7 Mt, ce qui reste 7 % sous le niveau du pic de 2014. Et la FCO a provoqué un tassement de la production en fin d’année, surtout dans le nord et l’est du pays, et le phénomène continue début 2025.

Le cheptel laitier français a encore fondu en 2024 : – 2 % sur un an, et – 14 % en dix ans, avec une accélération de la décapitalisation en fin d’année. À l’échelle européenne, le cheptel a aussi reculé (- 3 %), et la collecte n’a augmenté que de 0,5 %, avec de fortes disparités : hausse en Pologne, Espagne, Italie, mais baisse en Allemagne et aux Pays-Bas.

« Bonne nouvelle », pointe néanmoins Baptiste Buczinski : la progression des prix payés aux producteurs au second trimestre en France (481 €/1 000 l toutes qualités en décembre), dans le sillage du beurre, et qui continue début 2025. Les prix restent sous la moyenne de l’UE et de l’Allemagne, où les prix sont « beaucoup plus volatils car très directement lié aux cours des commodités ». L’indice Ipampa lait, qui couvre environ la moitié des charges, s’est repliée de 4 % en France en 2024.

Le fromage, atout stratégique pour l’UE

Du côté des fabrications, une « tendance de fond » s’est confirmée en 2024, aussi bien en France qu’en Europe : davantage de fromages, de crème, d’ultrafrais et de lactosérum et moins d’ingrédients laitiers (beurre et poudres).

« On est plutôt proactifs sur cette transformation fromagère », souligne l’économiste : les investissements en ce sens ont continué de se multiplier en Espagne, Italie et en France. Le groupe Lincet a par exemple investi 25 millions d’euros pour agrandir sa fromagerie bourguignonne Gaugry.

De fait, « la hausse des fabrications fromagères est stratégique pour beaucoup d’opérateurs : le fromage reste un intérêt offensif pour l’UE, qui cherche à ouvrir des marchés ». Notamment dans le cadre du Ceta, l’accord de libre-échange avec le Canada, pour lequel le contingent de fromages européens ouvert en 2017 est « rempli tous les ans ».

En ce qui concerne la consommation, l’inflation modérée a permis un petit progrès des ventes de produits laitiers en magasins en France (+ 0,5 % en volume, + 1 % en valeur). Mais au global, la consommation nationale a reculé de 2 %, en partie car les opérateurs ont saisi les opportunités à l’export qu’offrait la conjoncture mondiale du beurre, entre « demande assez forte et prix intéressants ».

Les exportations françaises de beurre ont ainsi bondi de 15 % en volume et de 22 % en valeur entre 2023 et 2024. Crème, fromages et yaourts ont aussi été davantage exportés. En parallèle, les importations de produits laitiers ont augmenté elles aussi, ce qui a dégradé leur balance commerciale de 3,5 %.

Pour l’UE, les exportations ont reculé de 2 % en volume en 2024. Notamment « parce que la hausse des fabrications a surtout nourri la consommation intérieure européenne, qui a progressé de plus de 1 % 2023 et 2024. »

Quels impacts de la politique commerciale de Trump ?

En matière de commerce extérieur, la politique commerciale menée par Donald Trump génère beaucoup de questions pour les mois qui viennent.

Les États-Unis ont été particulièrement dynamiques dans leurs achats de fromages et de beurre européen en 2024, sera-ce encore le cas à l’avenir, avec l’entrée en vigueur de la surtaxe de 20 % au 9 avril sur tous les produits de l’UE ? Les consommateurs américains accepteront-ils de payer le fromage 20 % plus cher ? Et alors que le pays dispose aujourd’hui d’un surplus de matière grasse, le contexte de guerre commerciale va-t-elle limiter ses exports ? Quel impact sur les cours mondiaux du beurre ? 

Côté géopolitique, le yoyo des relations diplomatiques avec l’Algérie apporte aussi son lot d’incertitudes quant aux exportations de produits laitiers français en 2025.

Côté sanitaire, la FCO pourrait continuer à perturber la production et le renouvellement des cheptels. Des cas récents de fièvre aphteuse en Hongrie et en Slovaquie inquiètent aussi, tout comme le risque que l’influenza aviaire touche le cheptel européen – un cas a récemment été détecté sur un troupeau ovin en Grande-Bretagne.

Côté météo, rien n’est sûr non plus : l’année climatique 2025 s’annonce « plus chaude, mais avec des doutes sur l’humidité ».

Seule certitude pour les mois qui viennent : la baisse du cheptel laitier français, « dont le rythme dépendra de la pression des épizooties et des risques du marché », conclut Baptiste Buczinski.