Marine : « Maîtriser les machines pour ne dépendre de personne »
TNC le 08/03/2025 à 05:26
La reprise de l’élevage bovin viande familial n’a pas été un long fleuve tranquille pour Marine Boyer. La jeune femme s’est d’abord heurtée à l’animosité du voisinage, puis à la frilosité de son entourage. Mais elle a tenu bon et est parvenue à s’intégrer dans le microcosme agricole local en s’investissant au sein de la Cuma. « La machine, de même que réaliser tous les travaux sur la ferme, sont les clés de l’indépendance des agricultrices », estime-t-elle.
« Chaotique » : Marine Boyer, jeune éleveuse de Limousines, définit comme tel son parcours d’installation en élevage. Informaticienne à Toulouse, elle ne se destine pas de prime abord à reprendre la ferme familiale à La Bastique-l’Évêque dans l’Aveyron. Mais au bout de quatre ans, « j’ai commencé à me poser des questions, quelque chose n’allait pas, je ne me sentais pas épanouie dans mon métier, ma vie », confie-t-elle.
« Des doutes sur ma capacité à reprendre la structure »
Elle et son conjoint, Loïc Pomiès, décident de faire un break d’un an au Canada, où ils alternent petits boulots, dans l’événementiel notamment, et découvertes du pays et des États-Unis. Une pause magique, hors du temps, qui favorise un déclic : l’envie de revenir en France sur l’exploitation auprès de sa famille. Justement son père aspire à la retraite. Même chose du côté de Loïc, parti travailler hors du monde agricole, en ville. Le jeune couple envisage donc la reprise des deux structures.
Les parents de Marine sont d’abord surpris. « Des interrogations sur ma capacité à reprendre le flambeau, s’installer sur l’élevage, que l’entreprise puisse être rentable surtout, ont vite été soulevées », se souvient-elle. Alors la future éleveuse réfléchit à une stratégie de diversification. Mais finalement, une opportunité foncière se présente : les deux jeunes choisissent de s’associer en Gaec en reprenant les deux fermes parentales, ainsi qu’une autre à proximité.
« Selon les voisins, la ferme ne perdurerait pas »
« Là ont débuté des difficultés avec le voisinage, qui s’est servi du fait que je sois une femme pour nous mettre des bâtons dans les roues, en particulier pour accéder aux terres que nous avions repérées, prétextant que nous n’étions pas capables de gérer une exploitation et que celle-ci ne perdurerait pas », raconte la jeune femme, âgée comme son compagnon de 35 ans.
Des propos durs – d’autant qu’assortis de paroles et attitudes sexistes – bien que cette dernière ait bien conscience qu’elle et Loïc, pourtant issus du milieu agricole, devaient se former, ne s’y étant pas intéressés de trop près auparavant. « Fille et fils d’agriculteurs, il nous manquait cependant des connaissances et de l’expérience terrain », détaille la jeune productrice. En plus d’acquérir la capacité professionnelle agricole nécessaire pour bénéficier de la DJA (dotation jeune agriculteur), cette formation de huit mois leur a permis de mûrir leur projet.
Mon entourage me conseillait de laisser mon conjoint s’installer seul.
« Plus ce dernier avançait, plus les questionnements et réserves s’intensifiaient, relate-t-elle, y compris de la part de l’entourage qui essayait de me dissuader, disant de peut-être faire un pas en arrière, travailler à l’extérieur et laisser mon conjoint seul aux manettes. » Marine a persévéré, « gardé le cap » et ils se sont installés ensemble le 1er avril 2017, sur une structure de 135 ha et 90 mères allaitantes, en bio « par conviction, même si la filière connaît actuellement une période un peu compliquée ».
« Via la Cuma, j’ai réussi à prouver ma légitimité »
Pour faciliter son intégration dans le microcosme agricole local, en même temps que la ferme, elle prend le relais de son père au sein de la Cuma du village. Aujourd’hui, elle est administratrice de sa Cuma locale, trésorière de l’InterCuma du Villefranchois et secrétaire générale de la FDCuma de l’Aveyron. « J’ai pu m’intégrer au sein de ce collectif et plus facilement ensuite dans l’écosystème professionnel environnant. J’ai rencontré des gens que je côtoyais depuis toute petite, que je ne connaissais pas tant que ça finalement. »
J’ai pu montrer que tout se passait bien sur l’élevage.
« C’est un peu dommage d’en arriver là, mais j’ai réussi de cette manière à prouver ma légitimité, à montrer que tout se passe bien sur l’élevage et qu’on va pouvoir travailler ensemble entre voisins. » Dommage également selon la jeune installée qu’il y ait des freins à l’engagement des agricultrices dans les Cuma: « Beaucoup sont réticentes craignant de ne parler que machines et de ne pas maîtriser le sujet. »

« Le matériel aide à prendre, plus facilement, notre place de cheffe d’exploitation »
« En fait, la mutualisation du matériel est un prétexte qui nous réunit. Être en Cuma va au-delà des aspects d’équipement, nous travaillons ensemble, partageons nos savoir-faire, les bonnes pratiques sur nos exploitations. Et parce qu’elles ne mutualisent pas que des engins et des outils, mais de plus en plus des hommes et des femmes, nous recrutons et gérons souvent des salariés. Nous développons nos compétences techniques et humaines. »
Sans oublier « tous les moments conviviaux et les projets qui vont permettre de fédérer les équipes, le métier d’agriculteur pouvant vite conduire à l’isolement. La Cuma assure ce lien social indispensable aux exploitants ». Désormais, Marine discute « machine » avec assurance. Elle se rappelle les premières fois qu’elle est allée chercher des pièces chez le concessionnaire : « Les gens étaient étonnés de me voir, certains estimaient que je n’avais rien à faire là. »
« Il est essentiel, pour nous les femmes, de maîtriser ce sujet-là, du machinisme, exhorte-t-elle. Elles doivent savoir et pouvoir réaliser toutes les tâches sur la ferme, conduire le tracteur, effectuer les travaux des champs, pas seulement la paperasse, la traite et les soins aux animaux. Ainsi, elles ne dépendent de personne et peuvent prendre complètement leur place de cheffe d’exploitation, et peuvent être même le seul pilote à bord. Elles se demanderont moins pourquoi elles sont agricultrices, déplorant de ne pas parvenir à faire ceci ou cela. Tout le monde est alors sur un pied d’égalité. »

« Pas de travaux attirés aux hommes et aux femmes »
Sur son élevage, pas de travaux attitrés à elle ou son compagnon : « Un jour, l’un va faucher, le lendemain, l’autre. L’agriculture exige d’être polyvalent. » « Rien de limitant dans notre organisation, qui nous ancre dans un schéma, poursuit l’éleveuse. Au contraire, elle amène de l’ouverture et du potentiel, et aide à avoir confiance en soi. » La jeune femme reconnaît qu’aujourd’hui, la conduite du tracteur est plutôt facile – « il suffit d’appuyer sur des boutons » – et la cabine confortable.
Cela donne confiance en soi.
Le seul bémol : le siège trop large par rapport à la morphologie féminine, pouvant entraîner des douleurs dans le dos. Le gros problème, pour les hommes aussi d’ailleurs qui « galèrent autant » : l’attelage de matériels de plus en plus lourds et imposants. « Les fabricants doivent se pencher là-dessus. En 2025, on doit pouvoir atteler plus facilement et rapidement les outils. Je me tiens à leur disposition s’ils veulent mon avis d’utilisatrice. »
Autre souci : la force physique. Il peut être contourné par le choix des équipements, via l’automatisation entre autres. Marine, par exemple, ne voulait pas porter de seaux. « Il est important de se préserver pour ne pas être tout cassé à 50 ans. Comment on sera plus tard physiquement, ça fait peur quand on s’installe en élevage. » Une crainte qui ne devrait plus avoir lieu d’être selon elle : « Aujourd’hui, on doit pouvoir exercer cette profession en se disant que la pénibilité est moindre et qu’on va pouvoir durer dans le temps. »