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Physiologie de la fertilité chez les bovins, l’espèce de ferme la moins fertile


Marc-Antoine DRIANCOURT, membre de l'AAF - Fabrice BIDAN, IDELE - Pascal SALVETTI, ELIANCE le 30/09/2024 à 12:20

(©Getty Images)

La fertilité – associée à une insémination artificielle (IA) ou produite par une saillie naturelle – est un des facteurs clés de la performance économique des élevages. En effet, dans les troupeaux bovins allaitants et ovins herbagers, la naissance d'un jeune chaque année est le prérequis de la survie économique des éleveurs. Dans les troupeaux bovins, ovins et caprins laitiers, c'est la mise bas qui permet l'initiation d'une nouvelle lactation. Dans les troupeaux naisseurs porcins, l'enchaînement des mises bas est également la base d'une productivité satisfaisante des élevages ; elle est habituellement visualisée par la naissance d'une portée d'une taille variable (un jeune chez les bovins et équins ; un, deux ou trois petits chez les caprins et les ovins ; jusqu'à 20 chez les porcins). La synthèse ci-dessous définit la fertilité comme le taux de femelles saillies ou inséminées mettant bas. Il existe de très fortes différences entre espèces de la fertilité à la mise bas : la fertilité des truies s'approche ou dépasse 90 %, celle des caprins, ovins et vaches allaitantes atteint 55-65 %, mais celle des vaches laitières est plus réduite (30-50 % après IA) et atteint seulement 30 % chez les hautes productrices. Sur la base de ces observations, cette fiche est consacrée à l'analyse de la fertilité bovine.

Fertilité : variabilité liée à l’espèce, l’individu et aux mécanismes physiologiques sous-jacents

La fertilité intra-espèce à la mise bas est très variable. Dépendante du potentiel génétique de chaque race et individu, elle traduit également différents modes de gestion de la reproduction – usage de la saillie naturelle ou de l’insémination artificielle (IA) – et des pratiques d’élevage affectant la cyclicité des femelles ou modulant l’efficacité de la détection des chaleurs. Elle est aussi modulée par l’âge des génisses lors de leur mise à la reproduction et par la durée du temps d’attente volontaire post-partum chez les vaches. Chez le mâle, elle est modulée par de nombreux facteurs liés à la semence (motilité, conditions de conservation, technologies appliquées à la semence telles que congélation ou sexage).

L’obtention d’une bonne fertilité à la mise bas représente bien l’objectif de chaque éleveur. Cependant, ce paramètre global est délicat à analyser, car il prend en compte une séquence d’événements permettant la conception puis le développement de la gestation jusqu’à son terme. En plus de l’embryon lui-même, ils impliquent bon nombre d’organes (ovaire, oviducte, utérus) et l’interaction de ceux-ci avec l’environnement de la femelle (alimentation, santé, température extérieure). La cascade aboutissant à une naissance débute par une bonne conservation et capacitation de la semence, puis par la fertilisation de l’ovocyte, le développement de l’embryon au cours de sa migration à travers l’oviducte puis son implantation dans l’utérus, la libération du signal embryonnaire permettant le maintien du corps jaune, l’activation correcte des mécanismes contrôlant le développement des différents tissus du jeune embryon, enfin son développement ultérieur harmonieux permettant une organogénèse correcte.

Le développement de diagnostics de non-gestation (dosage de la progestérone ou échographie doppler du corps jaune dès 19-20 jours après IA) ou de gestation (échographie ou dosage des protéines associées à la gestation dans le sang ou le lait dès 28 jours après l’IA) chez les bovins a permis d’évaluer avec précision les pertes embryonnaires se produisant à ces différentes étapes (mortalité embryonnaire précoce, tardive, mortalité fœtale). En l’absence de problèmes pathologiques, ces différentes mortalités varient entre 45% et 60 %, avec une grande proportion de mortalités embryonnaires précoces (avant 28 jours de gestation) malgré un taux de fécondation relativement important de l’ordre de 90 %. La fertilité discutée dans cette fiche représente donc le taux de conception auquel sont soustraites les fréquences des différents types de mortalité in utero, du fait de la difficulté à évaluer en routine ces dernières.

Chez la vache laitière, la fertilité ne dépend pas que de la sphère génitale

Interface fertilité-métabolisme : En début de lactation (et parfois jusqu’à 60 jours post-partum), l’ingestion des vaches hautes productrices ne couvre pas totalement leurs besoins en énergie ; elles sont donc en balance énergétique négative, et mobilisent leur gras corporel, produisant une élévation des concentrations de beta-hydroxybutyrate (BHB) et d’acides gras non estérifiés (AGNE). La production d’insulin-like growth factor (IGF1) par le foie est également réduite. Ces trois médiateurs métaboliques touchent un grand nombre de cibles (follicule, ovocyte, oviducte, utérus, corps jaune). La croissance folliculaire est freinée par les fortes concentrations de BHB, la maturation folliculaire limitée par les faibles concentrations d’IGF1 (qui ne stimulent pas pleinement la stéroïdogenèse de la granulosa et de la thèque). Les maturations nucléaire et cytoplasmique de l’ovocyte sont limitées par les fortes concentrations de BHB. La production de progestérone par le corps jaune est limitée par les faibles concentrations circulantes d’IGF1. De plus, les fortes concentrations d’AGNE freinent l’involution utérine et sensibilisent l’utérus au risque d’endométrites. La combinaison de ces interactions réduit le nombre d’embryons atteignant le stade blastocyste. Enfin, ceux-ci doivent alors se développer dans un environnement limité en progestérone, un vrai défi pour produire suffisamment de signal embryonnaire (interféron) avant que la lutéolyse ne démarre !

Interface fertilité-stress thermique : Avec le réchauffement climatique, le nombre de jours où les bovins peuvent être exposés à un stress thermique est susceptible de s’accroître régulièrement. Or de telles périodes de chaleur et d’humidité élevées réduisent fortement la fertilité, qui ne dépasse parfois pas la moitié de celle observée lors des mois frais. L’impact négatif de la chaleur sur la fertilité est particulièrement marqué quand le pic de chaleur coïncide avec les jours précédant ou suivant l’ovulation. En effet, trois sites sont particulièrement sensibles : d’abord, le follicule dominant dont la croissance et la production d’estradiol sont réduites par le stress thermique ; ensuite, l’ovocyte dont la maturation nucléaire (donc la reprise de la méiose jusqu’au stade métaphase 2) est perturbée par des altérations du fuseau de division et de la fonction des mitochondries ; enfin, le très jeune embryon qui est extrêmement sensible aux effets du stress thermique entre les stades 2 et 8 cellules (où le génome embryonnaire – relativement inactif – ne peut réagir par la production de composés protecteurs). C’est la combinaison des effets négatifs de la chaleur sur ces trois cibles (follicule, ovocyte et très jeune embryon) qui explique la faible fertilité lors de stress thermique. Des adaptations des bâtiments existent, mais elles ne sont que partiellement efficaces. L’utilisation de races thermotolérantes (à poil court et de couleur claire), tout comme la systématisation du transfert d’embryons pendant l’été (les blastocystes sont assez résistants au stress thermique), ont été proposés pour maintenir une fertilité correcte dans ces conditions. C’est d’autant plus important que les effets négatifs du stress thermique sur la sphère génitale persistent plusieurs semaines après la fin de celui-ci (carry-over effect).

La fertilité dépend de la décision de l’éleveur

La fertilité dépend du mode de fécondation (IA ou monte naturelle). Quand la monte naturelle est pratiquée (22 % de veaux laitiers et 87 % des veaux allaitants), le taureau détecte généralement très bien les chaleurs des femelles et permet donc une insémination au bon moment avec une quantité importante de spermatozoïdes (un éjaculat entier contenant 10 milliards de spermatozoïdes) sous réserve que sa qualité de semence (fertilité, sanitaire) ait été vérifiée pour éviter des déconvenues importantes. Le recours à l’IA (78 % de veaux laitiers et 13 % des veaux allaitants nés d’IA) permet l’utilisation de doses de semence moins concentrées, mais dont la qualité est certifiée et les performances sont alors largement dépendantes des pratiques de détection de l’éleveur et de sa réactivité pour appeler l’inséminateur.

Dans le cadre de l’insémination, elle dépend également du type de semence utilisée pour l’IA. Avec l’avènement des techniques de tri de spermatozoïdes aux fins de sexage (~ 9 % du total des inséminations bovines en France actuellement, avec une efficacité du sexage de l’ordre de 90 %), l’impact de cette biotechnologie sur la fertilité a également pu être chiffré. L’usage de semence sexée est associé à une diminution des performances de reproduction d’environ 10 %. Cette technologie est préférentiellement utilisée sur les génisses qui sont naturellement plus fertiles que les vaches et sont la cible pour accélérer le progrès génétique. Enfin, il existe aujourd’hui des développements technologiques visant à optimiser la fertilité (insémination profonde, utilisation de doses de semence permettant un relargage progressif des spermatozoïdes et donc une durée de fécondance allongée…) dont les résultats nécessitent d’être confirmés. La gestion de la reproduction est pilotée par les pratiques d’élevage mises en œuvre par les éleveurs pour répondre à des objectifs de production. En filière allaitante, le groupage de la reproduction sur une période (qui facilite la surveillance des vêlages et permet l’alimentation d’animaux homogènes) est majoritaire, alors qu’inversement les trois quarts des vêlages laitiers sont étalés sur l’année (pour lisser la livraison de lait et optimiser la place dans les bâtiments). L’âge à la mise à la première reproduction (pour les génisses) ou à un stade post-partum (pour les vaches) est décidé par les éleveurs et a des répercussions sur la fertilité. La conduite des animaux précédant la mise à la reproduction est évidemment essentielle pour optimiser cette fertilité : disponibilité alimentaire, statut sanitaire du troupeau, production laitière sont autant d’éléments à suivre et à prendre en compte. Ainsi, la décision des éleveurs sera souvent un compromis entre la fertilité (réussite d’une mise à la reproduction) et la fécondité (réussite de la reproduction dans un intervalle de temps), tout en adaptant la conduite au potentiel de leur exploitation. Par exemple, l’âge à la première mise à la reproduction varie entre 14-15 mois et 25-30 mois dans les troupeaux bovins laitiers, et permet d’obtenir des résultats satisfaisants quel que soit l’âge de la mise à la reproduction si les pratiques d’élevages sont adaptées. De même, la mise à la reproduction après un vêlage pourra être retardée pour favoriser la fertilité dans la limite des objectifs de production et de fécondité attendus pour l’élevage. Dans certaines situations, le recours à la maîtrise des cycles sexuels pourra permettre d’obtenir une reproduction à un moment spécifique. Cependant, celle-ci ne corrigera pas une mauvaise fertilité aux causes non diagnostiquées.

Comment optimiser la fertilité ?

En optimisant le pourcentage de femelles allaitantes ovulant lors de la mise à la reproduction. En élevage allaitant, lors de la mise à la reproduction, une proportion variable de femelles a des cycles et des chaleurs (ces femelles sont alors normalement fertiles) alors que le reste du troupeau est en anoestrus post-partum. Pour une bonne maîtrise de la fécondité (c’est-à-dire de l’intervalle vêlage-vêlage) et aussi pour obtenir le groupage des mises bas choisi, une maîtrise de la conduite alimentaire est essentielle pour permettre une reprise précoce des cycles après la mise bas, en minimisant la durée et la profondeur de la balance énergétique négative. Une autre approche possible est d’identifier les femelles non cyclées, et d’induire et synchroniser leur ovulation avec un traitement combinant progestérone vaginale et eCG (hormone gonadotrope équine). Dans les deux cas, l’usage presque généralisé de monte naturelle (taureaux) nécessite une vérification régulière de leur fertilité avant leur campagne de monte.

En s’assurant de la proximité de l’ovulation et de l’insémination. En élevage laitier, la fertilité peut être optimisée à deux niveaux par les éleveurs. Chez la femelle individuelle, la réalisation d’une détection rigoureuse des chaleurs permet de minimiser l’intervalle IA-ovulation et donc de maximiser la fertilité. Pour la faciliter, une innovation technologique (détection automatisée des chaleurs par la mesure de l’activité locomotrice) est apparue en 2010, et actuellement, la moitié des élevages a adopté cette technologie (un quart supplémentaire a l’intention de s’équiper à moyen terme). Cette avancée optimise la gestion de la fertilité, surtout dans les élevages où le temps est limité pour observer les animaux. Au-delà de l’amélioration des performances de fécondité, ces outils diminuent la charge mentale des éleveurs dans la prise de décision de la mise à la reproduction des animaux. Dans les troupeaux de grande taille et ceux où la constitution de lots de production est souhaitée par l’éleveur, des traitements de synchronisation des cycles peuvent être réalisés. Ils impliquent souvent une séquence GnRH, prostaglandines, GnRH (Ovsynch) qui permet une insémination à un moment prédéterminé de tout le lot. Si cette approche permet de se passer de la détection des chaleurs (100 % des femelles sont inséminées), la fertilité associée est relativement médiocre. Ces traitements ont été améliorés par injections en amont (Presynch-Ovsynch, G6G), permettant alors d’obtenir des fertilités acceptables ; ces injections multiples sont cependant chronophages, coûteuses, posent des questions de bien-être animal, et donc souvent mal perçues par les consommateurs européens.

En s’assurant que la fertilité du sperme utilisé est validée. Un des avantages majeurs de l’IA réside dans l’utilisation de doses de semence dont la qualité a été validée. En dehors du niveau génétique (améliorateur) et du statut sanitaire irréprochable des taureaux prélevés, le sperme collecté fait l’objet de tout un panel de contrôles qualité avant et après le processus de production des doses d’IA. Après collecte du mâle (2 à 3 fois par semaine), la mesure du volume de l’éjaculat, de sa concentration en spermatozoïdes et de la motilité massale permet d’écarter les éjaculats suboptimaux. Le sperme est ensuite dilué (10 à 125 millions de spermatozoïdes/ml), conditionné en paillettes (80 à 600 doses de semence contenant 2 à 25 millions de spermatozoïdes) congelées et stockées dans l’azote liquide (-196 °C). Une autre série de contrôles qualité est opérée sur la semence décongelée comprenant des examens visuels, mais également des mesures utilisant des appareils de plus en plus perfectionnés : système CASA (Computer Assisted Semen Analysis) évaluant le pourcentage de spermatozoïdes motiles, leur vitesse de déplacement, leurs types de mouvement, leurs anomalies morphologiques, puis, plus récemment, la cytométrie en flux (estimant viabilité, intégrité de l’acrosome, développement énergétique, niveau d’oxydation cellulaire, fragmentation ou décondensation de l’ADN, anomalies morphologiques). Seulement 40 % de la variabilité de fertilité observée sur le terrain est expliquée par l’ensemble des paramètres fonctionnels mesurés aujourd’hui sur la semence. Des progrès pourraient être associés aux nouvelles approches moléculaires récentes, à l’étude de différents omiques, particulièrement les marques épigénétiques telles que la méthylation de l’ADN, les modifications post-traductionnelles des histones ou les petits ARN non codants.

En utilisant les avancées de la génomique fonctionnelle. Depuis l’avènement de la sélection génomique en 2010, et face à la dégradation simultanée de la fertilité des vaches laitières, des caractères de reproduction ont été intégrés aux objectifs de sélection des animaux grâce à la mesure de phénotypes simples comme l’intervalle vêlage-1ière IA ou les taux de gestation, taux de non-retour ou taux de vêlage. Ce phénotypage « grossier » de la fertilité a permis de stopper la dégradation des performances de reproduction dans les élevages sans pour autant déterminer avec précision les mécanismes physiologiques sous-jacents. La sélection des animaux sur plusieurs caractères élémentaires de reproduction (cyclicité et expression des chaleurs, qualité des ovocytes, sélection et conservation des spermatozoïdes in utero, environnement oviductal et développement embryonnaire, environnement utérin et implantation) permettrait de gagner en efficacité (héritabilité de 3 % du caractère et précision d’indexation de l’ordre de 60 %). Compte tenu des progrès récents réalisés dans les analyses moléculaires, la recherche tente d’ouvrir cette boîte noire et d’affiner le phénotypage de la fertilité en identifiant, pour chaque étape du processus de reproduction, les acteurs moléculaires de la réussite ou de l’échec de l’insémination. Ces projets de génomique fonctionnelle pourraient conduire à l’identification de biomarqueurs ensuite utilisés à des fins de conseil à l’éleveur (diagnostic, pronostic) ou pour développer de nouveaux index génomiques de reproduction.

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