Journées WHFF

Prim’holstein : « On va tuer la race si on n’y prend pas garde »


TNC le 14/12/2023 à 05:01
primholstein

« Il est possible, pour un même niveau de sélection, d’avoir de la diversité génétique. La race Prim'holstein a besoin que des mesures soient prises sur le plan mondial. » (© Emmanuelle Bordon)

Pascal Croiseau, chercheur à l’Inrae, a exposé ses derniers travaux sur la consanguinité en race Prim’holstein au cours des journées du WHFF (l’association mondiale de la Prim’holstein), qui ont eu lieu au Puy du Fou les 21 et 22 novembre dernier. Un état des lieux préoccupant.

La consanguinité signera-t-elle la perte de la Prim’holstein ? La question choque mais elle doit être posée sérieusement. L’arrivée de la génomique a en effet entraîné une accélération du renouvellement des générations bovines. En race Prim’holstein, une des conséquences est la perte préoccupante de diversité génétique. Avec des risques concrets : de la consanguinité en plus, c’est moins de lait, une perte de fertilité des taureaux, des risques de tares augmentés. 

À l’occasion des journées du WHFF (l’association mondiale de la prim’holstein), qui ont eu lieu au Puy du Fou les 21 et 22 novembre dernier, Pascal Croiseau, chercheur à l’Inrae, a exposé les travaux de recherche menés par Anna-Charlotte Doublet et lui sur ce sujet.

L’intervalle des générations divisé par deux

Les objectifs de la génomique étaient clairs : accélérer et perfectionner les progrès génétiques. Là où il fallait autrefois attendre six ans pour inscrire un taureau au catalogue, deux ans suffisent désormais. « On a divisé par deux l’intervalle des générations », pointe Pascal Croiseau. Ce raccourcissement des délais a donné le jour à de nouveaux schémas de sélection. Il n’y a plus de testage, la rotation des animaux est plus rapide.

Dans sa thèse de doctorat, Anna-Charlotte Doublet s’est demandé si la génomique était ou pas responsable de la perte de diversité génétique observée en race prim’holstein. Elle a comparé l’évolution génétique des animaux avant l’usage de la génomique (avant 2010), en phase de transition (entre 2010 et 2012) et après sa généralisation (après 2012).

Plus de 1 % de consanguinité par génération

Les résultats obtenus par Anna-Charlotte Doublet confirment l’accroissement de la consanguinité chez les prim’holstein : les chiffres montrent une augmentation de 1,39 % par génération. Ils dépassent donc de loin les recommandations, qui sont de 1% par génération au maximum. Pascal Croiseau les qualifie de « gigantesques ».

En outre, les génomes étudiés sur les cinq dernières générations montrent qu’il s’agit d’une consanguinité récente. La génomique est donc bien la responsable de cette accélération.

La comparaison avec la Normande et la Montbéliarde montre une évolution différente pour ces deux races. L’augmentation de la consanguinité n’est que de 0,15 % par génération en Normande. Mieux encore, en Montbéliarde, elle baisse de 0,49 % par génération. C’est donc la preuve que la génomique n’entraîne pas automatiquement un accroissement de la consanguinité. Cela dépend de l’utilisation qui en est faite.

La concurrence internationale en cause

La différence de situation avec les Normandes et les Montbéliardes s’explique par le fait que ce sont des races nationales. Elles ne subissent donc pas la pression de la concurrence avec les organismes de sélection des autres pays. « S’il n’y a pas de stratégie globale de gestion de la consanguinité en Prim’holstein, c’est parce que c’est une race internationale. Le premier pays qui introduirait de la diversité risquerait de perdre la bataille », explique Pascal Croiseau.

Le chercheur met en garde les éleveurs et les sélectionneurs : « Actuellement, on ne prête pas attention à cette évolution. Mais si l’on n’y prend pas garde, on peut casser la diversité assez rapidement. » Le problème majeur, ce sont les anomalies génétiques récessives, qui sont invisibles parce qu’elles sont sur un seul des deux chromosomes d’une paire. Plus la consanguinité augmente, plus il y a de risque que ces anomalies se retrouvent sur les deux chromosomes d’une paire. Cela provoque alors des tares responsables de mortalités et de baisses de rendement.

« On va tuer la race si on n’y prend pas garde », prévient Pascal Croiseau. Si on va trop loin, il est toujours possible de réintroduire de la diversité en faisant des croisements avec d’autres races. Mais cela mettrait un coup de frein à la progression de la Prim’holstein et il faut ensuite beaucoup de temps pour rattraper un niveau génétique équivalent.

Des mesures à prendre au niveau mondial

Pascal Croiseau préconise avant tout d’augmenter le nombre de mâles au catalogue. « Et de les utiliser », insiste-t-il. Il met les éleveurs en garde contre la tentation de « stariser » des taureaux, qui sont alors employés tout le temps. Il faut en outre veiller à la diversité génétique des reproducteurs présents au catalogue.

« Il faut utiliser les mâles jeunes et ne pas attendre qu’ils soient confirmés, insiste Pascal Croiseau. Il faut qu’ils changent tout le temps. À terme, on pourrait même imaginer des index qui introduisent une pondération sur la diversité. »

Persuadé qu’il est possible de proposer des schémas plus vertueux, le chercheur affirme « qu’on peut, pour un même niveau de sélection, avoir de la diversité génétique ». « Il faut prendre des mesures sur le plan mondial, c’est un problème de conscience. Et il faut le faire maintenant », affirme-t-il