Productivité, efficience, dette : quel impact sur le revenu laitier ?
TNC le 26/12/2024 à 05:00
Dans son récent article, « Le revenu agricole des agriculteurs et des éleveurs en France : une forte variabilité interannuelle (2010-2022) et de grandes disparités », l’économiste Vincent Chatellier met en avant la grande dispersion des revenus des exploitations agricoles. Cette disparité s’observe non seulement entre productions, mais également au sein d’une même Otex (Orientation technico économique des exploitations), en lien avec trois indicateurs clés : la productivité du travail, l’efficience, et la capacité à faire face aux dettes.
Cette dispersion s’avère cependant moins marquée au sein des exploitations d’élevage herbivore, où « les exploitations les plus rentables dégagent des revenus plus modestes » que dans d’autres filières, comme les exploitations spécialisées en viticulture, grandes cultures ou porcins. Ainsi, les 10 % d’exploitations au RCAI (revenu courant avant impôt) par UTANS (unité de travail non salarié) le plus élevé plafonnent en effet à 43 100 € en bovins-viande, et à 57 800 € en bovins-lait, contre 145 500 € en viticulture, et 84 900 € toutes OTEX confondues.
En moyenne annuelle sur les 13 années de 2010-2022 (en euros constants de 2022), les exploitations d’élevage herbivore sont celles qui enregistrent les revenus les plus faibles, avec 29 500 euros pour les exploitations bovins-lait, 21 700 euros pour celles d’ovins-caprins et 20 200 euros pour celles de bovins-viande (RCAI par UTANS). Les plus élevés sont obtenus par les exploitations spécialisées en grandes cultures (56 100 euros), en viticulture (52 000 euros) et en production porcine (47 200 euros).
L’influence des trois indicateurs
La dispersion des revenus s’explique par trois indicateurs : la productivité du travail (rapport entre la valeur cumulée de la production agricole et des subventions d’exploitation, et la main-d’œuvre totale d’une exploitation), l’efficience productive (rapport entre la valeur cumulée de la production agricole et des subventions d’exploitation, et le montant des consommations intermédiaires, la capacité d’une exploitation à faire face à la dette. En calculant les valeurs médianes de ces indicateurs pour l’année 2022, pour les 37 970 exploitations françaises spécialisées en bovins lait, huit classes de performance économique peuvent être déterminées, témoignant d’une « forte hétérogénéité de situations économiques ».
Ces valeurs médianes s’élèvent ainsi, pour la productivité du travail, à 177 500 €, pour l’efficience, à 1,89, et pour la capacité à faire face à la dette (EBE/Annuités), à 3,16.
La faible productivité du travail pénalise fortement les 5 190 exploitations de la classe 1, qui sont les plus fragiles, avec un RCAI par UTANS de 10 200 €, contre 75 000 € pour les 5 420 unités de la classe 8. Ces exploitations comptent en moyenne 2 UTA, 88 hectares, 56 vaches laitières et un faible niveau d’intensification à 1,29 UGB herbivore par hectare, et la productivité du travail s’élève à 111 100 € contre 210 400 € pour la classe 8. Pour cette dernière, en revanche, les exploitations comptent en moyenne 114 hectares, 75 vaches laitières et un niveau d’intensification proche de la moyenne de l’OTEX.
La productivité du travail n’est pas le seul déterminant du revenu, puisque malgré une productivité nettement inférieure (107 000 € contre 219 300 €), les exploitations de la classe 4 ont un RCAI supérieur à celui de la classe 5 (38 100 € contre 36 800 €). L’efficacité et le faible endettement expliquent ces résultats, par exemple pour les exploitations de montagne, en système herbager et « bénéficiant de modèles techniques économes », souligne Vincent Chatellier. Les aides directes élevées (ICHN) contribuent également à cette situation.
Les exploitations bovins-lait de la classe 2, faiblement productives, faiblement efficaces et peu endettées « sont parfois détenues par des actifs en fin de carrière qui ont de réelles difficultés à séduire des repreneurs », précise par ailleurs l’économiste. « En effet, pour des raisons sociales et économiques, les jeunes préfèrent souvent s’installer dans des structures sociétaires plus productives, plus modernes (présence de robotisation) et ayant démontré une plus grande efficacité technique », ajoute Vincent Chatellier.
Elargir la réflexion
Ce travail a été réalisé pour toutes les Otex, et permet de constater notamment que lorsque les exploitations agricoles ont une faible productivité du travail inférieur à la médiane, « elles ne peuvent parvenir à dégager un revenu « convenable » que lorsque le positionnement est bon sur les deux autres indicateurs », indique l’auteur. Cette grille permet ainsi de discuter de l’hétérogénéité des performances, « mais elle peut aussi être utilisée par un agriculteur pour réfléchir à son propre chemin de progrès », ajoute-t-il. Dans un contexte où la crise agricole met en avant les difficultés liées aux revenus, ce travail ouvre également la réflexion sur les leviers d’action et d’amélioration possibles.