Succions, maladies… La filière veaux de boucherie à l’épreuve de l’élevage en groupe
TNC le 31/03/2025 à 04:53
À l’occasion des Matinales de la recherche organisées par Interbev, Didier Bastien est revenu sur les travaux menés par le Centre d’innovation et de recherche sur le veau (Cirveau) pour répondre aux nouvelles attentes européennes en termes de bien-être animal. Des expérimentations qui montrent qu’il est difficile de répondre aux recommandations de l’Efsa en maintenant le niveau de performances zootechniques actuel.
En juin 2021, la Commission européenne répondait favorablement à la demande des ONG de restreindre l’usage des cages en élevage. Un projet qui s’inscrit dans le Green Deal défendu par Ursula Von der Leyen. Depuis lors, l’élevage des veaux laitiers est devenu un casse-tête pour toute la filière. Et si la conduite en groupe challenge les éleveurs laitiers, elle pourrait bien chambouler la filière veaux de boucherie.
Il est encore trop tôt pour savoir de quoi seront constitués les prochains textes de lois, mais les recommandations de l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) constituent une première base de travail. Au programme : élevage en groupe, agrémentation du milieu de vie, agrandissement de la taille des cases collectives ou encore travail sur les types de sols.
Des expérimentations permettent déjà d’évaluer l’impact de ces mesures sur les performances en ferme. Et le démarrage des veaux en groupe apparaît comme la plus grosse contrainte pour les engraisseurs. « Il faut bien avoir en tête que sur un site d’engraissement, on rassemble un grand nombre de veaux de deux à quatre semaines en provenance de fermes différentes. Si un éleveur a 400 places, ce sont 400 animaux qui arrivent en même temps avec un microbisme différent », alerte Didier Bastien, directeur du Centre d’innovation et de recherche sur le veau (Cirveau). À partir de là, les maladies se propagent un peu comme dans les crèches. C’est pour cela qu’actuellement, l’utilisation de séparations ajourées permet d’individualiser les soins jusqu’à 8 semaines. Une manière de faciliter le démarrage, avant le passage en case collective.
Augmentation des succions croisées en groupe
Mais assez paradoxalement, ça n’est pas le sanitaire qui a posé le plus question lors des essais. Pair housing (logement par deux), démarrage en groupe ou box individuel : « le nombre de traitements a été le même entre les lots », constate l’ingénieur d’étude.
C’est plutôt l’augmentation des phénomènes de succion de prépuce qui a entaché les performances à l’engraissement des veaux mâles. « On a eu beaucoup moins de succions de matériaux mais davantage de succions croisées », poursuit Didier Bastien. À tel point que des veaux ont dû être isolés pendant l’essai. « Nous avons fait sortir deux veaux qui avaient pris goût à l’urine, se sevraient, et dépérissaient ».
Les veaux démarrés en groupe sont 10 kg plus légers que les autres à l’abattage
Le début de l’engraissement constitue une période stressante. « On est obligés de les bloquer aux cornadis pour gérer individuellement les buvées afin d’éviter la compétition, et les veaux ont tendance à se crisper. » Si bien que tout cumulé, les animaux élevés en groupe présentaient de moins bonnes performances. « On tourne autour de – 10 kg de poids vif en fin d’engraissement, avec une conformation dégradée. On ne s’attendait pas à un tel impact. »
La diminution de la densité impacte peu les performances
Parmi les préconisations figure également l’agrandissement des cases. Plusieurs lots de veaux ont été placés sous densités différentes, allant jusqu’à 3 m² par animal. « On observe davantage de déplacements », note Didier Bastien. Les veaux avec 3 m² bougent 20 % plus que le lot témoin au démarrage, et jusqu’à 50 % plus en finition. Mais l’impact de la diminution de la densité s’arrête là. « On ne constate pas d’impact sur les activités de jeu, les comportements stéréotypés ou encore les performances zootechniques. » La pratique détériore toutefois les performances économiques, du fait de l’augmentation des surfaces nécessaires pour l’engraissement.
Les expérimentations ont également mis à l’épreuve les revêtements en caoutchouc, en opposition aux sols en bois traditionnels. Résultat, le caoutchouc favorise le déplacement des animaux : jusqu’à 35 % en plus au démarrage. Le défaut : les veaux sont plus sales. « Nous avons aussi remarqué que la viande était plus colorée », pointe Didier Bastien. S’il est difficile d’établir un lien entre le type de sol et la couleur de la viande, il propose toutefois une hypothèse. « Les veaux sales ont le réflexe de se lécher entre eux. Or les excréments contiennent du fer facilement assimilable pour les veaux. C’est peut-être ce qui fait la différence de couleur à l’abattage. »
Mais encore une fois se pose la question de l’amortissement de ce type d’équipement. Pour Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev, « ces travaux illustrent bien les interactions que peuvent avoir les recommandations bien-être et la production. Cela montre qu’il y a parfois une déconnexion entre le réglementaire et la technique ». Avant de rappeler que la filière veaux de boucherie a déjà fourni de larges efforts. « On ne peut pas dire que la filière n’a rien fait, le temps des muselières est maintenant derrière nous. »