Vers un décrochage des prix du lait et de la viande ?
TNC le 19/03/2020 à 08:03
Pour lutter contre la propagation du coronavirus, de nombreux pays ont pris des mesures radicales qui pourraient bien peser sur les marchés des produits laitiers et de la viande bovine. Moins d'échanges internationaux, fabrication au ralenti, confinement : les prix du lait et de la viande pourraient bien virer à la baisse.
Tandis que l’Europe et plus largement le monde entier fait face à l’épidémie de coronavirus, faut-il s’inquiéter d’une possible pénurie d’aliments dans les magasin ? Non, assure le gouvernement français. Le ministre de l’agriculture a même assuré que l’agriculture reste un secteur prioritaire à accompagner en cette période de crise. Pour autant, il ne s’est pas exprimé sur l’impact économique du Covid-19 qui, selon les experts de l’Institut de l’élevage pourrait bien « bouleverser les marchés de la viande bovine et du lait de vache ».
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En lait, la tendance haussière du début d’année ne devrait pas durer longtemps
Les produits laitiers avaient démarré l’année 2020 du bon pied, dans un contexte plutôt haussier pour les prix, affirmait en janvier Benoît Rouyer, économiste au Cniel. Le déséquilibre entre l’offre et la demande devait même « soutenir les cours au cours des prochains mois ». Mais dès février, le coronavirus a bouleversé la bonne dynamique en place et menace à présent l’équilibre des marchés.
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Alors que la production laitière européenne était repartie en hausse depuis le second semestre 2019, elle devrait progresser modérément en 2020. Mais l’évolution de la collecte dépendra pour beaucoup de « la conjoncture des marchés laitiers, et donc des signaux (prix et volumes) envoyés par les collecteurs ».
« Nous faisons l’hypothèse d’une demande européenne et internationale très modérée », affirme l’Idele. La crise économique mondiale engendrée par le coronavirus « pourrait dégrader la solvabilité des principaux pays importateurs, notamment les producteurs de pétrole, et par voie de conséquence l’équilibre des marchés mondiaux des produits laitiers ». Qui dit moins d’argent disponible, dit moins d’achats de produits laitiers et donc un surplus d’offre par rapport à la demande.
– Les ingrédients laitiers déjà impactés :
Les marchés des ingrédients laitiers évoluent déjà à la baisse, et la situation pourrait se prolonger, compte tenu du ralentissement des sites de fabrication. Les mesures (et leur durée) prises par les différents pays dans la lutte contre la propagation du virus seront déterminantes, tout comme « la réaction des acheteurs sur le marché mondial », qui se font d’ailleurs « attentistes et tablent sur un excès de disponibilités dans les prochains mois ».
– Moins d’échanges internationaux :
La situation devrait également entraîner une réduction des échanges internationaux. Les exportations de produits laitiers devraient se maintenir à 20,2 millions de TEL en 2020, estime l’Idele. En cas de conjoncture défavorable au second semestre, les stocks de produits de report (beurre, poudre maigre) « pourraient rapidement s’étoffer aux dépens des exportations sur pays tiers ».
Le ralentissement pourrait avoir lieu « dès ce printemps , dont l’ampleur est impossible à prévoir à ce stade ». Un « nouvel effondrement des marchés des ingrédients laitiers, puis du prix du lait », qui en découlerait, n’est donc pas à exclure, prévient l’Idele.
– Baisse de la poudre maigre, des poudres grasses et des fromages
Au cours des prochaines semaines, « la baisse des cours de la poudre maigre devrait se prolonger, à un rythme difficile à prévoir tant les inconnues sont nombreuses, et s’étendre aux cours des poudres grasses puis des fromages ».
Bien que pour le moment, les marchés semblent encore « plutôt équilibrés », les acheteurs risquent de « reporter leurs achats », provoquant une accélération de la tendance baissière. L’Idele redoute à présent « des décrochages de prix sans commune mesure avec la situation réelle des marchés ».
Le marché des viandes bovines chamboulé par les mesures drastiques
Avec les mesures de confinement mises en places dans de nombreux pays de l’Union Européenne, la consommation en restauration hors domicile (RHD) est littéralement en train de chuter et se reporte sur la consommation des ménages. Cela devrait perturber les marchés puisqu’« on ne consomme pas la même viande en RHD et à la maison », expliquait Caroline Monniot (chef de projet conjoncture viande bovine) dans sa note de conjoncture du 13 mars :
Cliquez sur la vidéo pour lancer la note de conjoncture de Caroline Monniot (Idele)
S’il y a des chances pour que les consommateurs français se tournent davantage vers de la viande française à domicile (ce qui pourrait permettre de soutenir les prix) les marchés devraient quand même être tous perturbés. Autre aspect soulevé : « Si on va vers une crise économique globale, on pourrait avoir une baisse assez forte du pouvoir d’achat des ménages et donc par la suite une baisse de consommation de la viande bovine. »
Détails des marchés pour la viande bovine filière par filière :
– Jeunes bovins : les cours restent très bas :
La situation en Italie se répercute sur l’ensemble du marché européen. Avec des cours du JB déjà très bas, les débouchés devraient être difficiles à trouver pour la viande française qui, en plus, voit son offre en légère hausse par rapport à l’an dernier. « En Italie, les commandes de la RHD sont à l’arrêt et la réouverture prévue pour le 25 mars pourrait être encore retardée », explique l’experte.
La situation est d’autant plus critique pour la Pologne qui exporte 85 % de la viande bovine qu’elle produit, notamment vers l’Italie (21 % des volumes) et surtout dans le circuit de la RHD, ce qui devrait être très compliqué pour la filière polonaise avec sûrement beaucoup de retard d’abattage et de congélation.
– Femelles : des prix qui remontent doucement :
Avec une offre limitée et une demande plus soutenue, les prix des réformes remontent en France, en Allemagne, en Irlande et au Royaume-Uni. Comme expliqué pour les JB, le constat est plus mitigé pour la Pologne. Et le ton pourrait changer pour les autres pays selon l’évolution de l’épidémie.
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– Gros bovins maigres : peu de changement malgré l’offre limitée :
Les experts affichent des incertitudes pour les prochaines semaines sur les demandes italienne et algérienne. En attendant, « les prix des gros bovins maigres connaissent une hausse saisonnière limitée du fait d’un marché du JB européen morose. »
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– Veaux : marchés stables mais jusque quand ?
En veaux de boucherie comme en nourrissons, les incertitudes sont là aussi. Si les cotations restent stables pour les veaux de boucherie, la réduction des besoins en RHD pourrait bien encombrer le marché. Même chose pour les veaux nourrissons où l’embellie se fait toujours attendre.