« Pas de recette miracle : il faut trouver des marchés, semer après »
TNC le 25/10/2019 à 18:02
Les céréales bio ont la cote. En France, les surfaces ont bondi et la demande ne fléchit pas. Sans surprise, c’est sur le blé que la demande est la plus forte, mais de nouvelles filières émergent, notamment les légumineuses conso. Si une vraie opportunité semble se dessiner, collecteurs et meuniers estiment que le marché a encore besoin de se structurer. Rotation et fertilité des sols restent également des défis à relever.
Le marché veut du bio, davantage de bio. Du blé meunier, avant tout, mais aussi des céréales destinées à l’alimentation animale. Surfant sur les changements d’habitudes alimentaires, la demande en céréales, légumineuses et produits associés AB est également en constante augmentation. « Il y a en effet des filières émergentes pour certaines cultures », confirme Philippe Lefebvre, directeur des métiers du grain du groupe coopératif la Dauphinoise et chargé de commercialisation pour l’Union Bio sud-est. Le groupement collecte ainsi depuis trois ans des lentilles et des pois chiches bio à la demande d’industriels, ainsi que de l’orge de brasserie. « Mais attention, tempère-t-il. Il faut d’abord répondre aux attentes existantes des transformateurs. La demande porte en priorité sur le blé meunier et la nutrition animale ».
« L’offre ne doit pas dépasser la demande »
Un constat confirmé par Claude Choux, directeur de Probiolor et chargé de la commercialisation pour Fermes Bios (Probiolor-Cocebi-Biocer). « Nous sommes dans un changement d’alimentation générale mais le blé reste une pièce maîtresse de la rotation. En revanche, il ne pourra perdurer et rester à la part qui lui revient qui si le reste fonctionne, et là il y a du travail ! Il y a beaucoup de choses à faire dans nos régions en s’inspirant de ce qui est fait ailleurs. L’agriculture bio a fait partie des mouvements qui ont fait comprendre au monde conventionnel qu’on pouvait faire des lentilles ailleurs qu’au Puy. » Le groupement met en marché pas moins de 65 produits graines différents.
Pour autant, Claude Choux se refuse à donner la « recette miracle » et insiste avant tout sur le besoin de réguler les marchés : « L’offre ne doit pas dépasser la demande. Les lentilles, c’est bien à condition que tout le monde ne se mette pas en faire. Allons-y mais arrêtons de produire lorsqu’il y en a assez ».
« Notre démarche c’est « trouver des marchés, semer après ». On ne doit pas laisser croire aux producteurs qu’ils peuvent mettre en place des cultures si les débouchés sont hypothétiques ». Et de pointer la « nécessaire lenteur de l’agriculture » : « On travaille avec le sol, avec des semences, et quand on a identifié une production, on n’appuie pas sur un bouton pour la voir ! Ça prend du temps. Le marché a du mal à comprendre que pour un obtenir un produit conforme aux attentes, c’est forcément long. Une mise en production, c’est trois ans en moyenne. »
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« Aucune application ne renseigne sur la provenance de ce que les animaux ont mangé »
Si les professionnels du secteur s’accordent sur l’essor des protéines végétales, le secteur grandes cultures bio reste également confronté à un ensemble de problématiques techniques, dont celui de la fertilité des sols. « En agriculture biologique, on doit faire très attention à cet aspect, reprend le directeur de Probiolor. S’adapter à la demande, c’est bien, mais les producteurs doivent s’assurer que ce qu’ils produisent aujourd’hui reste reproductible dans le temps. L’enjeu est de mettre en place des cultures qui répondent aux souhaits des consommateurs, tout en permettant un assolement durable et rentable ».
À ce jeu, les légumineuses de printemps et leur aptitude à fixer l’azote de l’air apparaissent comme incontournables dans la rotation. Mais ce modèle, en apparence vertueux, trouve parfois ses limites. Car si le consommateur de protéines végétales AB souhaite également consommer français, l’origine des protéines utilisées pour l’alimentation animale est souvent moins lisible : « 90 % du soja bio est importé, relève Philippe Lefebvre. On pourrait produire du soja bio français, mais il faudrait que les consommateurs s’intéressent à ce qu’ont mangé les animaux, si c’est de la protéine française ou d’importation. Sans cela, les éleveurs ne trouveront pas d’intérêt à s’approvisionner français, il n’y aura pas de relocalisation possible. Il y a des applications sur smartphone qui mettent en avant la qualité nutritionnelle des produits, mais aucune qui renseigne sur la provenance de ce que les animaux ont mangé ».
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En matière de céréales, le « produit en France » est pourtant une demande forte des meuniers. Blés panifiables, biscuitiers… « on prendra le maximum de marchandises françaises car la demande est là, affirme Olivier Deseine, directeur du moulin de Brasseuil et représentant de la branche bio d’Intercéréales. Dans les boulangeries, les consommateurs veulent du local. Même si on consomme aujourd’hui moins de pain, le principal marché pour le blé bio français reste la meunerie ». Un débouché rémunérateur : 530 €/t en bio au moulin, contre 180 €/t en conventionnel. Quant aux vieilles variétés, épeautre, khorasan ou blés population, il s’agit surtout selon le meunier d’un argument marketing pour faire valoir la filière. « Ce sont des niches pour lesquelles l’offre ne doit pas dépasser la demande. Pour autant, le bio est un domaine qui cherche en permanence. À nous de faire travailler nos équipes R&D pour valoriser au mieux les nouveautés ». Le secteur grandes cultures bio compte aujourd’hui aux alentours de 513 738 ha labellisés, dont 194 211 en conversion, preuve de son dynamisme (données FranceAgrimer).
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