À la lutte biologique : le défi immense de l’innovation et de la formation
TNC le 09/03/2021 à 18:02
Le biocontrôle poursuit son inexorable progression en dépassant la barre symbolique de 10 % de la valeur du marché de la protection phytosanitaire. En définissant une stratégie nationale, la France soutient ce développement en accord avec la transition agroécologique. La formation et l’accompagnement des agriculteurs doivent désormais se structurer dans un contexte nouveau de séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires.
« La lutte chimique ne sera plus la solution majoritaire, elle va s’éteindre. Le biocontrôle est une formidable espérance, un outil de réconciliation entre l’agriculture et la société. Les agriculteurs et les consommateurs n’attendent que ça, et la puissance publique doit tout faire pour accélérer. » Ainsi s’enthousiasmait Dominique Potier, agriculteur bio et député de Meurthe-et-Moselle, lors des 7es Rencontres annuelles du biocontrôle le 26 janvier dernier. Quelques jours plus tôt, l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) annonçait une baisse de 24 % des ventes de produits phytosanitaires en 2019 (en tonnage). Bien que celle-ci s’explique en partie par des achats anticipés en 2018, la décrue de l’usage des produits phytos s’inscrit néanmoins dans une tendance à long terme. La part de produits de biocontrôle représente 36 % des substances actives vendues dans le pays en 2019 (24 % en 2018) pour 11 % du chiffre d’affaires de la protection des plantes (8 % en 2018).
Passer de 40 % à 60 % d’usages couverts par du biocontrôle en 2025
Au sein de l’Europe, la France est pionnière en matière de biocontrôle. La notion est définie dans le Code rural. L’Hexagone a en outre l’ambition d’aboutir à une meilleure reconnaissance à l’échelle européenne, au plus tard lors de sa présidence du Conseil européen le premier semestre 2022. Une reconnaissance qui serait en cohérence avec les orientations du Pacte vert pour l’Europe (ou Green Deal). C’est l’un des quatre axes de la stratégie nationale française publiée en novembre 2020 dans le prolongement des États généraux de l’alimentation (Égalim).
À l’horizon 2022, nous attendons 71 nouvelles préparations, et nos adhérents déclarent travailler sur des projets de recherche en grandes cultures et en pommes de terre notamment. Céline Barthet, IBMA France.
Deux autres axes consistent à soutenir la recherche et l’innovation et à simplifier la réglementation pour l’obtention des autorisations de mise en marché (AMM) notamment. Ainsi, l’État annonce que les projets relatifs au biocontrôle seront prioritaires dans les dispositifs de R&D où des financements sont apportés. « Le développement des solutions et les délais d’homologation sont longs, reconnaît Céline Barthet, présidente d’IBMA France (association des fabricants de produits de biocontrôle). Les secteurs de la vigne, de l’arboriculture et du maraîchage sont pour le moment mieux lotis que celui des grandes cultures. À l’horizon 2022, nous attendons 71 nouvelles préparations, et nos adhérents déclarent travailler sur des projets de recherche en grandes cultures et en pommes de terre notamment. »
Le pourcentage d’usages actuellement couverts par des produits de biocontrôle est estimé à 40 % avec plus de 500 produits disponibles, auxquels il faut ajouter 380 macroorganismes (trichogrammes, acariens, nématodes, coccinelles…). L’objectif français est d’atteindre 60 % d’usages couverts en 2025.
Séparation vente/conseil : contexte incertain
Si la mise en marché de nouvelles solutions est le point de départ pour une transition de masse vers le biocontrôle, préparer en parallèle le déploiement sur le terrain et l’appropriation de ces solutions par les agriculteurs est indispensable. C’est le quatrième axe de la stratégie nationale française. « Passer de l’application de produits phytosanitaires à une stratégie multiple basée sur le biocontrôle associé à davantage d’anticipation, à des changements de pratiques agronomiques et à la contribution de la biodiversité constitue un changement profond, souligne Philippe Noyau, président de la commission productions végétales des Chambres d’agriculture. Il y a une prise de risque pour les agriculteurs. Il faut leur montrer que ça fonctionne via des fermes de référence. Ils ont besoin d’une vision globale et de temps. »
Ingénieur agronome de formation, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation Julien Denormandie, invité aux Rencontres annuelles du 26 janvier, affirme « croire profondément au biocontrôle. Ce sont des pratiques pertinentes mais dont l’application peut parfois être compliquée quand elles consistent, par exemple, à gérer des équilibres de populations de ravageurs plutôt que leur éradication. Nous devons être aux côtés des agriculteurs, et nous appuyer sur les Chambres d’agriculture et les coopératives pour l’accompagnement au jour le jour ». Cependant, cette exigence émerge dans un contexte incertain lié à l’entrée en vigueur depuis le 1er janvier de l’ordonnance sur la séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires, elle aussi issue de la loi Égalim de 2018. Les produits de biocontrôle sont concernés par cette ordonnance, à l’exception de la catégorie des macroorganismes.
« 95 % des 500 entreprises concernées ont fait le choix de l’activité vente, constate Olivier Ruck, en charge de ce dossier à la DGAL. Il y a donc un besoin important pour l’activité de conseil. Un modèle économique et de nouvelles entreprises vont se créer. » Ronan Goff, vice-président d’IBMA France, déclare : « Certes, de nouveaux conseils vont voir le jour, les Chambres d’agriculture vont y contribuer, mais nous sommes quand même un peu inquiets. Que va devenir le capital de connaissances des milliers de conseillers de terrain dans les sociétés ayant choisi l’activité de vente ? »
Développer la formation
L’ordonnance en question vise à garantir l’indépendance du conseil aux agriculteurs, dans l’objectif de réduire l’utilisation et les impacts des produits phytosanitaires, et de respecter les principes de la protection intégrée des cultures. Les producteurs pourront faire appel à deux types de conseils : stratégique et spécifique (formulé par écrit en réponse à un besoin ponctuel). Le conseil stratégique sera obligatoire, à deux reprises par période de cinq ans, pour obtenir le renouvellement du Certiphyto. Toutefois, les exploitations utilisant 100 % de produits de biocontrôle en seront exemptées, au même titre que celles en agriculture biologique ou certifiées Haute valeur environnementale (HVE). « Le conseil stratégique devra promouvoir les solutions de biocontrôle, indique Olivier Ruck. Par ailleurs, les entreprises ayant choisi l’activité de vente pourront continuer à développer les actions bénéficiant d’un CEPP [NDLR : certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques.] »
Valoriser le biocontrôle auprès des consommateurs […] viendra plus tard. La priorité est de convaincre les agriculteurs et les filières de production, estime Hugo Bony, vice-président d’IBMA France.
À ce jour, on dénombre 86 actions reconnues par un CEPP, dont 25 % environ relèvent de l’usage de produits de biocontrôle. Il s’agit par exemple de l’utilisation de spécialités à base de soufre ou de phosphate ferrique contre les limaces. Les dispositions prévues dans le cadre de l’ordonnance sur la séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires sont donc de nature à favoriser le développement du biocontrôle. La priorité est désormais de développer la formation des conseillers à l’usage de ces produits, mais aussi celle des agriculteurs. C’est dans ce but qu’IBMA France a favorisé la création de l’Académie du biocontrôle, proposant un programme de formations clefs en main ou à la carte, à destination des techniciens et conseillers. IBMA France et l’Académie du biocontrôle se sont également rapprochées de My green training box afin d’apporter des contenus numériques à cette plateforme de formations en ligne gratuites sur le développement durable. Des modules sont déjà disponibles et l’année 2021 verra l’enrichissement en programmes de plus en plus experts, par filière et à destination des agriculteurs. Des sessions de formations en régions sont également en préparation.