Dans la Manche, des poissons suivis à la trace… acoustique
AFP le 06/05/2023 à 10:04
Toutes les trois minutes, le petit émetteur envoie un signal sonore : des centaines de poissons sont ainsi suivis à la trace dans la Manche, grâce à un marquage acoustique, pour mieux identifier leurs habitats, gérer les ressources et comprendre l'impact des parcs éoliens en mer.
Depuis l’été 2022, ce sont près de 1 000 poissons et crustacés qui ont été équipés, par chirurgie et sous anesthésie, de ces petits émetteurs oblongs qui émettent chacun un signal unique. Parallèlement, 190 récepteurs capables de les détecter ont été placés le long des côtes françaises, anglaises et belges, dans le cadre d’un projet scientifique baptisé Fish Intel.
Quand un poisson marqué nage à quelques centaines de mètres du récepteur, l’heure et la date de son passage sont enregistrées par l’hydrophone. « L’idée c’est d’identifier les habitats essentiels dans le cycle de vie des poissons : où sont-ils? Quelles zones fréquentent-ils? », explique Mathieu Woillez, chercheur en écologie marine à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) à Brest.
Mené par une douzaine d’instituts de recherche, d’organisations professionnelles ou d’ONG des deux côtés de la Manche, dont l’Université de Plymouth, le projet doit permettre de mieux comprendre le comportement d’espèces de grande valeur commerciale comme le bar, le lieu jaune, le thon rouge, la dorade grise et la langouste, afin de mieux gérer leurs stocks.
Les pêcheurs bretons ont participé au programme en aidant au marquage des poissons et au placement des récepteurs. Car depuis quelques années, ils sont « plus qu’alarmistes sur l’état du stock de lieus jaunes et ils aimeraient bien savoir comment se comporte ce poisson » et « avoir une véritable évaluation du stock », explique Erwan Quemeneur, coordinateur adjoint du comité départemental des pêches du Finistère. « Pour bien gérer une espèce, il faut vraiment la connaître », assure-t-il.
Le lieu jaune figure en effet dans les espèces « non classifiées » par l’Ifremer, faute de connaissances. « On ne connaît pas trop les zones de reproduction », reconnaît M. Woillez.
Bar pisté d’un bout à l’autre de la Bretagne
Avec moins d’un an de recul, les capteurs de Fish Intel ont déjà livré leurs premières données, détectant au moins une fois plus de la moitié (52 %) des poissons marqués. Un bar a par exemple été pisté d’un bout à l’autre de la Bretagne, de l’archipel des Sept-Îles (Côtes-d’Armor) au parc éolien de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).
« Le réseau est opérationnel (…) Il fonctionnera probablement pendant une décennie ou plus. C’est un ouvrage vraiment passionnant pour l’avenir ! », s’est réjouie Lucy Hawkes, chercheuse à l’Université d’Exeter, lors de la conférence de fin du projet Fish Intel à Plymouth.
D’autant que les poissons marqués pour Fish Intel peuvent être détectés par d’autres réseaux similaires en Europe. C’est notamment le cas des récepteurs mis en place dans les parcs éoliens en mer par l’institut France Énergies Marines (FEM, financé en partie par les industriels du secteur).
« On a très peu de savoirs sur comment les animaux occupent leur espace. L’objectif, c’est d’apporter des connaissances écologiques de base pour évaluer l’effet des parcs éoliens en mer », déclare Lydie Couturier, chercheuse en écologie marine à FEM.
Dans le projet Fishowf, 160 raies brunettes ou bouclées, roussettes et autres requins-taupes ont été marqués « pour savoir comment cette augmentation de câbles sous-marins peut affecter les espèces sensibles aux champs électromagnétiques », ajoute la chercheuse. Ces espèces repèrent en effet certaines proies grâce aux champs électromagnétiques.
Un réseau très dense de 14 capteurs a récemment été installé pour retracer le mouvement de ces poissons en 3 dimensions le long du tracé du futur câble de raccordement du parc éolien de Saint-Brieuc. Si la technique est jugée concluante, elle pourrait être réitérée une fois le parc achevé et raccordé au réseau électrique.
« Le développement des parcs éoliens nous permet de mettre une batterie de moyens à la mer pour acquérir des connaissances », vante Lydie Couturier, tout en admettant que « ça aurait pu se passer avant ».