Financer son installation agricole avec l’agrivoltaïsme
TNC le 18/04/2024 à 05:03
C’est pour répondre à un double enjeu qu’a été lancée la société Terravene, il y a un an et demi, au Sommet de l’élevage : « s’assurer que l’agrivoltaïsme réponde à une réelle problématique agricole et favoriser la transmission des exploitations, en facilitant l’accès au foncier pour les futurs agriculteurs, l’une des principales barrières à leur installation », explique Matthieu Poupard, son directeur. Le principe repose sur du portage foncier, un dispositif en plein développement. L’originalité : celui-ci est associé à la mise en place d’un parc agrivoltaïque.
Alors qu’un décret encadrant l’agrivoltaïsme a été publié mardi 9 avril au Journal officiel, et a suscité de nombreuses réactions au sein de la profession agricole et au-delà, relançant les débats sur la légitimité de ce mode de production d’énergies renouvelables, la toute jeune société Terravene propose un portage foncier adossé à un parc agrivoltaïque.
Le but est de « faciliter les transmissions d’exploitations compliquées, et en particulier l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs, l’un des premiers freins à l’installation en agriculture », met en avant son directeur, Matthieu Poupard.
Pourquoi la création de Terravene ?
À l’origine, un double constat et objectif : « faire en sorte que l’agrivoltaïsme bénéficie réellement à l’agriculture, et notamment que l’énergie puisse contribuer au renouvellement des générations d’agriculteurs, en même temps que celui-ci participe à la transition énergétique », argumente-t-il.
Cette contribution, pour relever ces deux grands enjeux auxquels fait face le secteur, doit permettre de « trouver un équilibre » entre le développement du photovoltaïque et le maintien d’une activité agricole performante, espère Terravene. Voir cette « relation gagnant-gagnant » pourrait aider à légitimer cette façon de produire des énergies renouvelables.
L’énergie bénéficie au renouvellement des générations,
et celui-ci à la transition énergétique.
En termes de transmission, cette intervention extérieure vise à simplifier les cas difficiles. « Les repreneurs n’ont souvent pas les moyens de financer l’acquisition de terres, appuie Matthieu Poupard. Terravene les accompagne afin qu’ils développent leur modèle économique, pour des installations sereines sur le long terme et un financement envisageable à terme. » Le lancement de l’entreprise remonte au Sommet de l’élevage 2022.
De quelle manière favorisez-vous la transmission et l’installation ?
Terravene s’appuie sur le portage foncier via un bail long terme de 25 ans, sans frais, avec préavis long de quatre ans prévu par le code rural et option d’achat (hors surface équipée), sans obligation donc, à un prix garanti, « le moins cher possible » pour que les repreneurs soient en mesure d’acheter, qui tient compte du prix auquel elle a acheté le bien, des investissements réalisés et de l’indexation annuelle du prix de revente pour rester en corrélation avec le marché. Jusque-là, rien de très nouveau : des dispositifs similaires existent déjà depuis quelques années, pilotés par la Safer, les Régions…
Un achat différé de terres, financé par l’agrivoltaïsme.
Le mode de financement, lui en revanche, est original : il repose sur l’implantation d’un parc agrivoltaïque, sur une partie du terrain (moins de 30 % de la SAU), par la société Voltalia, dont Terravene est une filiale. « L’option d’achat pourra être saisie, à tout moment dès la mise en place de l’installation agrivoltaïque et pendant toute la durée restante du bail rural », note le directeur.
Concrètement, comment vous procédez ?
La marche à suivre comporte 9 étapes :
1- Identification d’une propriété à la vente, pour l’installation d’un agriculteur, par les moyens classiques (Safer, RDI, annonces légales…).
2- Étude du bien (terres, bâtiments d’exploitation et d’habitation) et du dossier du candidat, qui passera devant le Comité technique départemental (CTD), pour vérifier leur viabilité, puis la pertinence du portage foncier et de l’activité agrivoltaïque.
3- Attribution ou non par la Safer à Terravene, propriétaire-bailleur.
4- Acquisition par acte notarié, sans condition suspensive.
5- Signature d’un bail rural long terme entre la société et l’exploitant agricole, qui verse un fermage annuel.
6- Signature d’une promesse de bail emphytéotique entre Terravene, Voltalia (locataire des volumes correspondant aux ancrages et panneaux) et l’agriculteur. Une convention d’interface est également conclue entre Voltalia et l’agriculteur pour encadrer et valoriser les services rendus par ce dernier à l’installation agrivoltaïque.
7- Obtention ou non des autorisations nécessaires, par Voltalia, pour sa construction et son exploitation.
8- Possibilité d’achat par l’agriculteur (cf. ci-dessus).
9- Démantèlement du parc, par Voltalia, en fin d’exploitation pour éviter toute sanctuarisation, avec levée (ou non) de l’option d’achat sur la surface correspondante par l’exploitant agricole.
« Pour le repérage des exploitations à céder, nous travaillons avec les Safer, les chambres d’agriculture et des agences immobilières », tient à préciser Matthieu Poupard. Il s’agit, en effet, de collaborer et non concurrencer les acteurs agricoles historiques. Les porteurs de projets peuvent aussi contacter directement l’entreprise sur son site internet www.terravene.fr. Toute demande est étudiée.
En collaboration, et non concurrence, avec les Safer, chambres d’agriculture…
Autrement dit : « le système d’exploitation est analysé afin de s’assurer que la mise en place d’un parc agrivoltaïque est possible et répond au besoin du producteur agricole. Mais aussi que la ferme constitue un bon support pour une installation de ce genre. » « Celle-ci sera conçue et développée, avec le repreneur, puis exploitée par notre maison-mère, la société productrice d’énergies renouvelables Voltalia », ajoute le dirigeant. L’ensemble des solutions techniques existantes sont disponibles : ombrières, trackers… Et même des systèmes de solarisation de toitures, pour financer des hangars agricoles ou rénover du bâti.
Critères d’éligibilité et engagements réciproques
La condition essentielle à respecter pour les futurs installés : vouloir devenir propriétaire de la ferme. « On ne cherche pas des fermiers, qui vont louer toute leur vie. Nous voulons être des « passeurs de terres », c’est-à-dire acheter du foncier pour le compte d’un agriculteur qui accédera à la propriété, mais à son rythme, illustre-t-il. Ensuite seulement, nous vérifions la nécessité du portage et la faisabilité du projet agrivoltaïque » : topographie, distance par rapport au poste de raccordement, absence de contraintes culturales (plantes héliophiles par exemple), environnementales (de type Natura 2000) ou patrimoniales, etc.
Troisième exigence : une surface suffisante pour la cohabitation autonome d’une exploitation agricole et d’une centrale agrivoltaïque. La quatrième, rappelle Matthieu Poupard : la validation de la Safer et la chambre d’agriculture.
De son côté, Terravene a des engagements à respecter : préservation de la vocation agricole (garantie par un cahier des charges), assurance d’une haute performance économique, humaine et environnementale des activités liée à l’agriculture et à l’agrivoltaïsme, « acquisition de la propriété au juste prix du marché (avec possibilité de renégociation avec le vendeur dans le cas contraire, sans spéculation ni surenchère), transparence et partenariats avec les instances agricoles et les élus locaux pour un partage des richesses sur le territoire ».
Et doit apporter des garanties : conformité avec la réglementation agrivoltaïque, compensation des répercussions économiques et financières potentielles sur la ferme durant le chantier, « respect ducalendrier agricole pour l’exploitation et la maintenance de la centrale, participation au financement des politiques agricoles territoriales ».
Des projets déjà en cours ?
« Nous avons été choisis pour deux dossiers au comité technique départemental », annonçait fièrement Matthieu Poupard en octobre 2023 :la ferme de Tartifume Mayreville (Aude) et la ferme de la Corbaillerie (àSury-es-Bois dans le Cher), toutes deux en polyculture et vaches allaitantes (avec ovins, circuits courts et conversion bio pour l’une, canards pour l’autre).
La première – 115 ha d’un seul tenant en zone sinistrée (perte de l’ICHN) – était en vente depuis neuf ans. Terravene a engagé la rénovation du bâti d’exploitation, et développe avec Voltalia un projet agrivoltaïque de 20 MWc sur 23 ha à laquelle s’ajoutent des panneaux solaires sur 2 000 m2 de toitures. Ainsi, deux exploitants ont pu s’installer sur cette structure, dont un jeune agriculteur. Le second projet — 180 ha en trois lots principalement, dont 120 ha d’un seul tenant – repose sur une centrale de 28 MWc sur 39 ha, la solarisation de 3 000 m2 de toits et la construction de deux futurs bâtiments photovoltaïques. À la clé : l’installation du fils de l’agricultrice en place.
« Ces parcs sont adaptés à l’élevage bovin avec des panneaux surélevés pour que les animaux et les éleveurs puissent circuler facilement, y compris avec des machines », indique le directeur de Terravene. Autre exemple : les volières agrivoltaïques pour les canards qui, en plus de produire de l’énergie, leur fournissent de l’ombre, et les protéger de la prédation et de la grippe aviaire.
Fin 2023, une trentaine projets, d’une SAU moyenne de 130 ha et dont la faisabilité a été démontrée, étaient en cours dans 17 départements. Et Matthieu Poupard de conclure : « S’il rend les transmissions et installations en agriculture plus faciles, ce dispositif peut inciter à anticiper davantage pour envisager plus sereinement, sur le plan financier, son début ou sa fin de carrière, et préparer sa retraite. Entre autres, il permet aux cédants d’identifier plus tôt des repreneurs et à ces derniers de trouver plus aisément une exploitation à reprendre. »
« Mais, il n’est pas exclusivement réservé à ces situations et peut être sollicité pour résoudre des difficultés financières. La vente de la structure à Terravenne, pour un portage foncier temporaire et son rachat ultérieur, peut apporter de l’air et des liquidités, donc redonner des capacités financières. »