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Franchir le pas de l’agriculture biologique de conservation ?


TNC le 14/02/2025 à 18:02
FrEdEricThomas

« En ABC comme en ACS, il ne faut pas être dogmatique », soutient Frédéric Thomas. (© Elodie Horn)

Comment passer de l’agriculture de conservation des sols (ACS) à l’agriculture biologique de conservation (ABC) ? Agriculteur en Sologne et pionnier de l’ACS, Frédéric Thomas expose les points clés, selon lui, de cette transition et son point de vue sur la question, à l’occasion des dernières Rencontres nationales de l’ABC, organisées cette année à Calais.

Installé dans le Loir-et-Cher, Frédéric Thomas est passé en agriculture de conservation des sols depuis une trentaine d’années. « En Sologne, on travaille des sables montés sur des argiles imperméables, les terres sont très humides et très sèches en été, explique le producteur. Le changement de pratiques s’est opéré d’abord pour des raisons économiques, l’objectif était de réduire les coûts de production et de garder une viabilité économique dans un contexte incertain ». « Le taux de matière organique était compris entre 0,6 et 1,2 %. On a travaillé sur les couverts végétaux multi-espèces et les apports réguliers de compost, jusqu’à lancer même une plateforme de compostage. »

Parmi les principaux changements, il observe aujourd’hui « une meilleure infiltration de l’eau et une plus forte profondeur d’enracinement. On a 150 à 250 mm de réserve facilement utilisable, cela représente 5 à 6 semaines d’eau pour faire vivre un maïs l’été, au lieu d’une semaine auparavant. En 2022, l’année la plus chaude de ma carrière, on a obtenu 65 q/ha en maïs non irrigué, alors que mes voisins avaient utilisé jusqu’à 14 tours d’eau et les couverts semés ont donné des biomasses exceptionnelles (10 t MS/ha), après le pâturage des moutons ».

« Des sols performants »

« Entre ACS et agriculture biologique, on a des entrées qui peuvent paraître différentes, mais on se retrouve sur un schéma global : si on veut réussir, il faut des sols performants ! » L’agriculture biologique de conservation (ABC) repose sur trois piliers, empruntés à l’ACS et adaptés à la bio, à savoir le travail minimal du sol, une couverture végétale la plus permanente possible et une diversité d’espèces dans le temps et dans l’espace. L’idée est bien de maximiser la vie biologique dans le sol.

Entre ACS et ABC, « on va donc se retrouver sur l’optimisation des couverts végétaux ou sur l’élevage aussi, indique Frédéric Thomas. De notre côté, on a réintroduit l’élevage et cela fait vraiment partie des sources de fertilité importantes. Il faut, en effet, trouver des leviers pour maintenir des flux de fertilité corrects ».

Pour se lancer en ABC, « il convient également de partir sur des terres qui drainent bien, avec si possible, la capacité d’irriguer. Et s’orienter davantage sur les cultures de printemps : cela permet de faire des gros couverts avant et les cultures sont mieux calées sur le cycle de minéralisation. On peut également développer les associations de cultures et les stratégies opportunistes (jusqu’à 32 q/ha avec un colza opportuniste) ».

L’agriculteur recommande aussi le roulage de couverts de graminées, efficace sur la gestion de l’eau et des adventices. La maîtrise de l’enherbement des parcelles reste l’un des freins majeurs à la généralisation de l’ABC. Après, « comme en ACS, il ne faut pas être dogmatique, soutient Frédéric Thomas. S’il y a besoin d’un peu de travail du sol, on peut y recourir, tout en essayant d’en faire le minimum et d’avoir des périodes de repos. » « Ça a été notre cas en 2022. On avait démarré avec un stock semencier conséquent, puis les cultures peu denses et les importants dégâts causés par les sangliers n’ont pas aidé. On a donc choisi de reniveler les sols avec une fraise au printemps et la stratégie s’est avérée payante techniquement et économiquement. »

Comme on entend pour l’ACS, peut-on dire qu’il y ait besoin d’un temps de transition pour aller vers l’ABC ? « Ça fait 30 ans que je suis en transition en ACS. Et je pense que si la vie est sympa avec moi, je pourrais encore être en transition dans 30 ans. On est rentré dans un système où on devient gourmand, on a vu qu’il y a la possibilité de faire autrement et que les bénéfices pouvaient être conséquents (minimisation de la consommation de fioul, du temps de traction, de l’usure du matériel…). Et les sols fonctionnent mieux, meilleure gestion de l’eau, des potentiels de rendements qui peuvent augmenter, augmentation du taux de MO, séquestration de carbone, etc. »

« En fait, on coche quand même beaucoup de cases et on voit qu’on peut toujours pousser plus loin, avec de nouvelles idées qui arrivent. Ça donne envie de rester agriculteur pour explorer le champ des possibles. » Et donc, non, il n’y a pas de temps de transition à proprement parler : « on est en transition perpétuelle ».

« Prôner la diversité des idées et des façons de faire »

Sur la question de franchir le pas vers l’ABC, Frédéric Thomas veut rester prudent aujourd’hui : « il faudrait être certain d’avoir un marché sécurisé et solvable et de pouvoir se dégager du temps pour se concentrer sur ce projet », explique-t-il, alors qu’il tient, en parallèle, la gestion de la revue TCS (Techniques culturales simplifiées) et réalise de nombreuses interventions et formations auprès des agriculteurs.

« Je me sens bien aussi dans l’entre deux aujourd’hui, car j’utilise relativement peu de phytos, très peu d’insecticides voire aucun, très peu de fongicides, mais encore des herbicides. C’est ce qui me permet d’aller très loin dans la limitation du travail du sol. Je préfère aujourd’hui encore continuer de faire progresser mon système dans ce schéma-là, avec une utilisation modérée d’herbicides et le recours possible au travail du sol si nécessaire (strip-till, mulchage…), plutôt que de tout abandonner ».

« Des journées comme les Rencontres nationales de l’ABC sont vraiment nécessaires, il faut qu’on évite de créer des chapelles et que les gens qui sont dans des approches alternatives de l’agriculture puissent se parler, même s’ils utilisent des outils très différents. Il y a énormément à apprendre en échangeant ensemble et ces réseaux sont aussi les laboratoires pour les autres agriculteurs conventionnels. Il ne faut pas s’opposer, on peut être des testeurs d’approches qui pourront ensuite être transférées dans d’autres modèles. Je pense notamment au colza associé, qui a été mis en place au départ dans les réseaux en ACS. Aujourd’hui, on peut en bénéficier qu’on soit en conventionnel ou en agriculture biologique, c’est très simple et c’est validé ! »

« On prône la diversité dans les champs et il faut aussi qu’on arrive à conserver et prôner la diversité des idées et des façons de faire en agriculture. »