Une combinaison de solutions pour réduire le recours aux herbicides
TNC le 13/01/2022 à 18:25
Réduire le recours aux herbicides en grandes cultures, c'est possible, affirme le réseau Dephy Hauts-de-France. Pas de solution miracle pour cela, c'est plutôt une combinaison de solutions qu'il faut arriver à construire en fonction de son système.
Réduire le recours aux herbicides, Alexis Eeckman l’a fait. Agriculteur engagé dans le réseau Dephy installé à Jeancourt dans le nord de l’Aisne, il s’intéresse d’abord à cette question dans un point de vue économique : « comme beaucoup d’agriculteurs, je cherche à diminuer mes charges », témoigne-t-il lors du colloque Dephy Hauts-de-France en ligne, diffusé le 11 janvier 2022.
Raisonner à l’échelle du système
L’agriculteur s’est notamment engagé dans une MAE (mesure agroenvironnementale) de 5 ans avec pour objectif, une réduction de 40 % des herbicides et de 50 % pour les autres produits phytosanitaires. « Je devais atteindre un IFT herbicides de 1,13 au bout de la 5e année. Objectif réussi : je suis arrivé à 0,75 ! ». Parmi les leviers mis en place, le recours au désherbage mécanique.En betteraves par exemple, Alexis Eeckman a réussi à diviser son IFT herbicides par 3,33 « en désherbant sur le rang (15 cm) et en binant l’inter-rang ».
L’allongement des rotations, et l’alternance entre cultures d’hiver et de printemps, est aussi très important, pour l’agriculteur qui compte sur 100 ha des betteraves sucrières, du lin textile, du blé (hiver et printemps), de l’avoine (hiver et printemps), de l’orge (hiver et printemps), de l’épeautre et du seigle. Alain Rodriguez, spécialiste de la flore adventice Acta le rejoint sur ce point. Pour lui, « la diversification, c’est la base. Plus on diversifie les cultures, plus on diversifie la flore et on contribue à avoir un système équilibré et donc facile à maîtriser ». C’est un moyen aussi de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », pour Grégoire Lhotte, responsable de la SCEA Fantauzzi dans l’Oise. Sur son exploitation, l’agriculteur a aussi recours au traitement bas-volume et au traitement de l’eau. « C’est une étape très importante quand on utilise des produits phytosanitaires, car la première réaction chimique qui se réalise, c’est lorsqu’on introduit la matière active dans l’eau ».
Pas de solution miracle
Attention toutefois, « il n’y a pas de solution miracle », ajoute Alexis Eeckman. Pour Jean-Marc Meynard de l’Inrae, « il faut aider les agriculteurs à inventer la combinaison de solutions qui convient à leur système, en fonction des types de sols, des cultures pour lesquelles ils ont des débouchés, du climat, etc. Cela veut dire pour construire la solution, il faut que l’ensemble des acteurs de la filière se mobilisent. […] Même si ce sont toujours les agriculteurs qui prennent leurs décisions au final, ils le font dans un cadre extrêmement contraint : les filières qui sont disponibles localement, les règlementations, les variétés qui sont disponibles, etc. Jusqu’alors, tout le monde s’est organisé autour des solutions de protection phytosanitaire, il faut que tout l’écosystème change de manière coordonnée ».
Avec les alternatives aux herbicides, il existe aussi plusieurs freins techniques. Si Alexis Eeckman est convaincu de ces nouvelles pratiques et ne compte pas faire marche arrière, il constate toutefois : « investir dans du matériel de désherbage mécanique, ça coûte cher et c’est aussi beaucoup de temps à passer ». Il note l’importance d’un appui financier par les MAE ou PCAE dans cette transition, ou le recours à la mutualisation. « Cela pose aussi la question de la disponibilité en main d’œuvre et la consommation d’énergie fossile », ajoute Jean-Marc Meynard.
Un outil pour anticiper les changements
Chargé de mission chez Agro-Transfert, Jérôme Pernel a mis en avant l’outil Odera, outil d’évaluation du risque en adventices : « il permet de faire un diagnostic du risque de développement des mauvaises herbes dans la parcelle, en faisant le lien entre les différentes pratiques culturales (dates de semis, travail du sol…) et la biologie des adventices », explique l’expert. « L’agriculteur peut ainsi faire des simulations de changement : voir quels leviers mobiliser et quels sont leurs impacts ?
L’appui des nouvelles technologies et des couverts végétaux
« La résolution des capteurs multi-spectraux de plus en plus importante et le traitement de l’image ensuite permettent aussi de développer des solutions de reconnaissance des adventices via l’intelligence artificielle », note Aymeric Lepage, conseiller agro-équipements à la chambre d’agriculture de l’Aisne. « Plusieurs constructeurs travaillent alors sur des systèmes d’injection directe, mais pour le moment, il n’existe pas encore de solution disponible ».
« Les robots vont aussi contribuer à nous aider, ajoute Mathieu Prudhomme, conseiller de la chambre d’agriculture de la Somme. Sur le territoire français, on compte aujourd’hui 10 000 robots en fonctionnement sur le territoire français, surtout dans des exploitations agricoles spécialisées type maraîchage et viticulture. En grandes cultures, ça démarre plutôt tranquillement. Plusieurs solutions arrivent sur le marché, capables de semer et biner les cultures, ou de biner et désherber… Le principal souci reste le débit de chantier assez réduit. Aujourd’hui, il y a deux clans, on peut dire, dans la robotique, les tracteurs autonomes, pour le moment freinés par la réglementation et les petites structures fonctionnelles ». Pour Mathieu Prudhomme, l’avenir sera un « mélange de ces deux types de solutions », mais avec la réglementation, « on peut encore attendre quelques années ». Le coût des robots est aussi important, entre 50 000 et 200 000 € selon le type de robots. « Là encore, le partage et le collaboratif peuvent aider, précise l’expert. Pour le moment, l’investissement est viable sur des cultures à forte plus-value et en agriculture biologique.
Autre levier d’action cité : les couverts végétaux peuvent jouer dans la lutte contre les adventices. Selon des essais réalisés, Sébastien Minette de la chambre d’agriculture régionale de Nouvelle-Aquitaine, estime « qu’il faut au moins atteindre une biomasse de 3,5-4 t MS/ha pour que le couvert soit efficace ». Attention aussi à mélanger les espèces pour « cumuler leurs différents atouts ». Pour Xavier Reboud de l’Inrae, des pistes sont aussi à creuser au niveau des plantes compagnes, de l’allélopathie et des molécules naturelles.