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Viande bovine bio : booster la consommation pour pérenniser la filière


TNC le 12/12/2024 à 05:00
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Le cheptel de bovins allaitants élevés en bio a baissé de 1,4 % entre 2022 et 2023. (© scpictures, AdobeStock)

La production de viande bovine bio a encore décliné en 2023, accompagnant la tendance à la baisse de la consommation. Pour se redynamiser et offrir des perspectives aux jeunes éleveurs, la filière mise sur la sensibilisation des consommateurs, sur le renforcement des partenariats avec la distribution et la restauration collective, et sur l’innovation.

Dans son Observatoire des viandes bio récemment paru, Interbev souligne la nouvelle baisse de production enregistrée pour la viande bovine l’an passé : 26 149 téc de gros bovins ont été abattues en 2023 pour le marché bio, soit un repli de 14 % par rapport à 2022, contre déjà – 10 % entre 2021 et 2022.

Ce repli « s’explique en partie par une contraction du cheptel total de bovins bio et des réaffectations d’animaux vers le conventionnel ». Le cheptel de bovins élevés en bio accuse pour la première fois une légère baisse : – 1,4 % pour les vaches allaitantes entre 2022 et 2023, et – 3,2 % pour les vaches laitières.

Plus en détail, le recul des abattages atteint 18 % entre 2022 et 2023 pour les gros bovins bio allaitants, en raison de « la compression du marché, des prix de vente élevés en conventionnel, et une stagnation du nombre de producteurs engagés en bio ainsi que du cheptel allaitant bio. »

La baisse est moindre pour les bovins laitiers et mixtes : seulement – 7 % sur un an, en lien avec « l’écart de prix plus important entre bio et conventionnel, ce qui a permis de mieux alimenter le marché du steak haché ». En 2023, les abattages de veaux bio ont quant à eux baissé de 12 % en volume.

Dégringolade des ventes en GMS

De fait, la France continue de réduire sa production face à la faiblesse de la demande. Entre 2021 et 2023, les achats de viande bovine bio ont ainsi baissé de 22 %, note Interbev.

Si les ventes réalisées en restauration hors-domicile et en vente directe se maintiennent, elles ne rattrapent pas la dégringolade des ventes en GMS, le principal débouché de la viande bio, où la baisse atteint 37 % en volume sur deux ans.

En 2023, les GMS représentaient 52 % des ventes de viande bovine bio, contre environ 56 % en 2021. La RHD atteignait 15 % des parts de marché, et les magasins spécialisés, les bouchers et la viande directe environ 10 % chacun. (© Commission bio Interbev )

Pour Philippe Sellier, président de la commission bio d’Interbev et éleveur de Charolaises en Normandie, cette déconsommation est bien sûr liée à la hausse des prix constatée ces deux dernières années, mais aussi à « l’ambiance inflationniste » entretenue dans les médias depuis le début de la guerre en Ukraine.

« On a dit que tout augmentait, ça a donné l’impression que ça augmentait plus qu’en réalité […] Donc on serre les budgets, et comme dans la tête des gens l’AB est chère, on arrête d’acheter des produits bio », résume-t-il.

En parallèle, alors qu’ils avaient amplifié la consommation entre 2015 et 2020, les rayons bio en grandes surfaces ont accéléré la déconsommation depuis 2022 en déréférençant : « les distributeurs ont vu que les consommateurs achetaient moins, donc ils ont réduit les linéaires. Et moins c’est visible, moins on achète ».

Campagne de communication

Dans ce contexte, la filière bio entend se donner des perspectives pour assurer sa pérennité et sa croissance, notamment « pour offrir des débouchés aux jeunes éleveurs souhaitant s’installer en bio ».

« La production, elle est là, il n’y a pas de soucis ! Il n’y a pas eu de vague de déconversions, reprend Philippe Sellier. Quand on choisit d’être éleveur en agriculture bio, on le fait avec une vraie réflexion sur le long cours […] et les éleveurs ne remettent pas en cause tout leur système du jour au lendemain. » Pour autant, « c’est clair que la déconsommation a freiné les envies de conversion ».

L’idée est donc de relancer la consommation, en appuyant sur divers leviers. D’abord ceux de la sensibilisation et de l’information autour des produits bio, via une campagne de communication qui sera orchestrée en 2025 par l’Agence bio.

« On doit retravailler les aspects positifs de la bio auprès du consommateur, rappeler ce qui découle d’un acte d’achat bio, expliquer pourquoi on est un peu plus chers », abonde Philippe Sellier.

Autre piste : renforcer les partenariats avec les distributeurs, c’est-à-dire les convaincre de remettre des références bio en rayons face aux consommateurs. « La grande distribution est autour de la table des interprofessions et on discute avec eux », précise le responsable professionnel.

Cibler la restauration collective

La filière prévoit aussi d’intensifier ses efforts dans le secteur de la restauration collective, d’autant plus que la loi Egalim impose d’y proposer 20 % de viande bio et la loi Climat et résilience, 60 % de viande durable.

Or « si vous prenez de la viande bio, vous répondrez aux deux lois : double effet Kiss cool ! C’est l’argumentaire que je travaille auprès des gens qui font de la restauration collective ». Avec une difficulté : leur besoin d’un approvisionnement régulier.

Mais « ça se travaille, on a du potentiel en termes de production : beaucoup de bovins bio ne sont pas valorisés dans la filière bio. […] En bio on est sur des sorties liées à la saison parce qu’on est sur des systèmes herbagers, il faut anticiper les périodes creuses. Il suffit de se mettre autour de la table, de faire de la contractualisation, de discuter avec les besoins des uns et des autres. Ça se fait dans certains départements ».

La filière entend aussi tabler sur l’innovation, notamment pour s’adapter aux nouvelles tendances de consommation. « Les pièces nobles ont du mal à être valorisées en viande bio, car aujourd’hui les gens ne vont plus faire le rosbeef du dimanche en famille, on est sur des générations qui consomment de la viande en burger, en kebab, dans les pizzas », rappelle Philippe Sellier.

« Il y a tout un travail de recherche et développement à faire là-dessus, ajoute-t-il : travailler avec les acteurs de l’aval pour voir comment on peut, nous, répondre aux besoins, et eux développer de nouvelles façons d’approcher la viande. On va être sur du haché ou de l’élaboré, mais peut-être retravailler la façon dont on approche une carcasse.

« On reprend des couleurs »

Pour l’heure, les perspectives semblent déjà se radoucir. Côté consommation, les opérateurs ont fait remonter « une petite stabilisation de la baisse au troisième trimestre » de 2024. « Et pour la fin d’année, il n’y a pas d’explosion des demandes, mais on va peut-être arriver au plancher de la baisse. […] On est un peu plus optimistes ! », sourit l’éleveur.

Quant aux prix, « le marché s’est retourné depuis septembre 2021 et ça commence à faire long ! ». Mais tandis que le différentiel avec le prix des bovins en conventionnel oscille entre quatre et soixante centimes selon les catégories, « c’est en train de repartir en ce moment, grâce à la demande qui repart en restauration collective. On reprend des couleurs, c’est positif. »

À la question des perspectives à plus long terme pour la filière bovine bio, il répond en insistant sur l’importance de la volonté politique. Volonté politique qui, pour l’instant, conduirait plutôt à favoriser l’élevage bio et ses importantes surfaces fourragères, rien que pour « atteindre les objectifs de passer à 15 % de SAU bio en France et 25 % en Europe d’ici à 2030 ».

Face à cela, « les aménités positives de la bio (notamment en termes de qualité de l’eau, NDLR) doivent être prises en compte et rémunérées auprès des éleveurs », plaide-t-il, selon un système approchant celui des aides Pac pour éviter au consommateur de devoir absorber les différences de prix.

Aux jeunes qui veulent s’installer en bio, « il faut leur dire de n’y aller que si le marché est là, et les politiques doivent prendre leurs responsabilités là-dessus, conclut-il. Pour que tous ces jeunes puissent gagner leur vie, il faut une rémunération en phase avec les marchés, ou contourner les marchés et rémunérer autrement ».