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« Oser parler du handicap en agriculture »


TNC le 03/12/2024 à 04:48
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« Rencontrer et écouter exploitant(e)s et salarié(e)s agricoles en situation de handicap a donné au projet tout son sens. » (© Paul, Adobe Stock)

En cette journée internationale des personnes en situation de handicap, coup de projecteur sur le guide Handi-cap vers l'agriculture, à l'initiative de la chambre d'agriculture de Bretagne, sorti cette année et sur l'exposition photos itinérante inaugurée en juillet. Objectif : communiquer davantage et sensibiliser, les personnes handicapées comme valides, et leur montrer que travailler dans le secteur agricole, en tant que salarié ou exploitant, est possible.

Le guide Handi-cap vers l’agricultureet l’exposition photos sont l’aboutissement d’un projet initié en 2020, porté par la chambre d’agriculture de Bretagne, soutenu par l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) et parrainé par Jérémie Boroy, président du conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

« Nous avions déjà travaillé sur les questions d’égalité des chances et d’inclusion à travers la thématique des femmes dans le secteur agricole, cheffes d’exploitation, salariées et élues dans les instances décisionnelles des OPA », expliquait au Space 2024, sur le plateau de la Space TV par Web-agri, Marie-Christine Le Crubière, agricultrice dans les Côtes-d’Amor et présidente de la commission parité-égalité de la chambre régionale d’agriculture.

« Un sujet sensible, on touche à l’intime »

« Le prolongement de ce travail sur la différence, la manière dont on la perçoit et se la représente, et son acceptation a naturellement amené à parler du handicap en agriculture, un thème pas facile à aborder car il touche à l’intime. Il nous a fallu du temps pour l’appréhender, le décortiquer. » « Il s’agit de comprendre pourquoi quelqu’un est différent, et comment effacer cette différence », ajoute Nabila Gain-Nachi, conseillère relations humaines et chargée de mission égalité-parité au sein de l’organisme, sachant que 80 % des handicaps sont invisibles.

Se concentrer sur l’humain.

« On aurait pu écrire une bible tant il y a de choses à dire, plaisante Marie-Christine Le Crubière. Mais on a choisi de se concentrer sur l’humain, à travers des témoignages, car les personnes touchées sont les mieux placées pour raconter ce qu’elles vivent. » « Or bien souvent, elles n’osent pas le faire car le sujet est intime, sensible, avec des souffrances derrière », fait remarquer Nabila Gain-Nachi. « Les rencontrer et les écouter a apporté encore plus de sens au projet », met en avant Marie-Christine Le Crubière.

« Aller de l’avant malgré les difficultés »

Des profils avaient été identifiés au préalable avec les 23 partenaires, dont des professionnels du handicap qui pour la première fois intégraient un groupe de travail de la chambre d’agriculture. La parole a été donnée à huit agriculteurs et agricultrices – concernés par le handicap directement ou en tant qu’employeurs de main-d’œuvre – des salarié(e)s agricoles, des jeunes en formation, d’âges divers, dans plusieurs productions. Certains, comme Magali, Marion et Alexandre, étant handicapés de naissance ; d’autres, Michel et Olivier, après un accident, professionnel pour le premier ou non pour le second ; Émilie, David et Pierre-Nicolas à la suite d’une maladie.

Michel vous avait aussi partagé, il y a quelques mois, son histoire. Amputé de son avant-bras gauche, happé par la vis sans fin d’un silo, cet agriculteur du Morbihan n’envisageait pas de changer de métier, malgré un parcours long, de nombreuses difficultés à lever (administratives, financement), pour pouvoir continuer à l’exercer, des moments de doute et de découragement… Équipé d’un crochet, il a installé des boules au volant pour pouvoir manœuvrer avec un anneau les engins agricoles. Un bras articulé le soulage également pour la traite. Sa volonté « d’aller de l’avant » fait qu’il est aujourd’hui épanoui sur sa ferme qu’il réussit à la développer, ce qui le rend fier. « Il y a pire, la vie continue ! », conclut-il.

De même que Michel, David avait fait part à la rédaction de son handicap invisible, la maladie de Crohn, qu’il arrive à mieux gérer au fil des années, mais occassionne régulièrement des crises et de la fatigue. Elle ne l’a pas empêché d’être salarié dans plusieurs exploitations agricoles, lui qui en rêvait depuis l’enfance. Il n’a jamais eu de souci avec ses employeurs, compréhensifs, ni pour être embauché. Sans doute parce qu’il se montre transparent sur sa situation. Avec un bon mental et en étant bien entouré, aucune raison selon lui de ne pas y arriver.

Faire vivre ce guide de différentes manières

Des exemples prouvant qu’on peut s’installer en agriculture malgré un handicap. Puisque le guide s’adresse aux personnes en situation de handicap, chaque témoignage est résumé en écriture Falc (facile à lire et à comprendre, avec des caractères plus gros et des termes plus simples) et complété par des podcasts. Le recueil sera aussi transcrit prochainement en livre audio. « À quoi aurait servi un document qui ne soit ni accessible ni compréhensible ? », lance Nabila Gain-Nachi. La chambre d’agriculture a fait appel à une écrivaine et une photographe professionnelle pour que « le rendu soit exceptionnel », enchaîne Marie-Christine Le Crubière. 

Quelle utilité s’il reste dans un tiroir ?

En complément : des fiches pratiques réalisées avec les spécialistes des sujets évoqués (par exemple comment effectuer une RQTH ou reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), avec un lexique et les contacts utiles, une malette pédagogique avec des outils et supports à destination des formateurs et conseillers et surtout une exposition photos itinérante qui a débuté en juillet, et qui sera mise à disposition de toute entreprise, organisme, collectivité et personne souhaitant parler du handicap, et pas forcément qu’en agriculture, avec une sensibilisation autour. La photographe a fait émaner des portraits « une force et une persévérance qui imposent le respect et nous amènent à changer notre regard sur le handicap et sur l’agriculture », souligne Marie-Christine Le Crubière

« Que l’inclusion en agriculture soit une réalité »

« Quelle utilité un guide dans un tiroir ? Il faut le faire vivre », martèle-t-elle. Une première journée régionale « Handicap et travail en agriculture », entièrement traduite en langue des signes, a également eu lieu en septembre dans le Morbihan et a attiré plus de 200 participants. Y témoignaient des hommes et des femmes ayant fait le choix du secteur agricole malgré leur handicap. Des ateliers et tables rondes étaient aussi proposés tels que « comment en situation de handicap s’installer en agriculture » ou « accident de la vie : comment maintenir son activité sur l’exploitation ». 

Outre communiquer, sensibiliser, vulgariser auprès des personnes valides (employeurs, parents, jeunes, etc.) et handicapées (agriculteurs, salariés, demandeurs d’emploi…), l’objectif est que ces dernières se questionnent sur leur situation, leur poste de travail et les aménagements envisageables, les démarches possibles, l’accompagnement qu’elles peuvent solliciter et les aides mobilisables. Avec, pour finalité, le maintien dans leur emploi d’agriculteur ou de salarié agricole, voire leur arrivée dans ce domaine d’activité (salariat, installation).

« Dans nos perceptions, les métiers agricoles sont souvent envisagés comme physiques et pénibles. L’idée d’exercer une fonction de chef d’entreprise ou de salarié en situation de handicap en agriculture semble inconcevable. Ce projet est né pour briser ces idées reçues », précise Marie-Christine Le Crubière en préface du guide. « Nous souhaitons faire de l’inclusion en agriculture une réalité tangible et non un simple discours. »

Car « tout le monde peut être concerné un jour » !, pointe Nabila Gain-Nachi. D’autant plus dans l’agriculture, l’un des secteurs professionnels les plus exposés aux accidents du travail. Le but est d’ailleurs aussi de les prévenir et de contribuer, plus largement, à l’amélioration des conditions de travail.

Quelques mots sur les autres témoignages du guide

Comme pour Michel, on conseille à Olivier, pendant ses six mois de rééducation, de faire autre chose, mais qui s’y refuse. Ce serait pour lui comme être dépossédé de tout. Les séquelles de son traumatisme crânien (douleurs et fatigue extrêmes) diminuent son efficacité au travail et il ne parvient plus à réaliser certains travaux. Seul sur son exploitation laitière, il bénéficie d’un accompagnement et de soutiens financiers pour recourir au service de remplacement et compenser partiellement la baisse d’activité. Malgré cela et sa motivation, c’est très dur physiquement et il attend avec impatience sa retraite dans un an.

Nous sommes devenus salariés agricoles, et même agriculteurs.

Émilie n’a pas été victime d’un accident mais l’annonce à 40 ans de sa maladie, qui l’handicapera à vie, est tout aussi brutale. La fatigue et les douleurs sont telles qu’elle ne peut plus rien lever ni tenir. De même que Michel, elle venait d’investir dans la ferme, alors impossible financièrement d’arrêter. Être épaulée par les structures spécialisées et surtout sa famille est essentiel. Grâce aux aides, elle a pu acquérir des équipements qui lui facilitent la vie. Mais que de formalités à remplir ! 15 ans après s’être reconverti dans le salariat agricole, Pierre-Nicolas a de plus en plus de mal à porter de lourdes charges et effectuer des tâches répétitives. Le diagnostic tombe : quatre hernies discales et une discopathie dégénérative. Il craint de devoir quitter son entreprise qui, au contraire lui propose un nouveau poste.

De toute façon, en agriculture, il faut de la motivation !

Quant à Magali, Marion et Alexandre, malgré leur handicap de naissance, ils n’ont jamais renoncé à leur envie de devenir agriculteur ou agricultrice. Déficiente visuelle, après quelques expériences dans des fermes, elle est embauchée comme salariée dans celle de son conjoint, avant de s’associer avec lui. Des adaptations ont été mise en place, avec une prise en charge financière. Le plus difficile : avoir confiance en soi pour oser y aller, alors il faut prendre le temps et avancer à son rythme. Sourde comme son mari, Magali et lui sont à la tête d’un élevage laitier sur 112 ha. En agriculture, il faut être motivé, le handicap ne fait que décupler cette force de caractère d’après elle.

Recruter des personnes en situation de handicap, une richesse

Elle s’implique beaucoup pour cette cause : accueil de stagiaires porteurs de handicaps, création d’une page Facebook en langue des signes et d’une association d’agriculteurs malentendants qui organise, chaque année, une « fête de l’agriculture des sourds ». Alexandre enfin, 22 ans, souffre d’un handicap qui affecte sa mémoire, et s’accompagne de difficultés à comprendre et intégrer les consignes. Passionné par l’agriculture depuis tout petit, il cherche en vain un emploi de salarié agricole et finit par décrocher un CDD en contrait aidé, grâce à l’intervention de son conseiller Cap Emploi, qui a fait valoir ses compétences auprès d’employeurs qu’il connaît, le laissant ensuite se débrouiller seul comme tout candidat.

Quelle satisfaction devant le chemin parcouru !

S’il multiplie les expériences, c’est parce que cela améliore sa capacité de mémorisation et sa confiance en lui, alors qu’au début il notait tout sur son téléphone portable, et répétait les gestes avant et après le travail. Quelle satisfaction devant le chemin parcouru ! Recruter des personnes qui en souffrent permet « de mieux connaître le handicap », explique l’un de ses employeurs, Jean-Pierre, dans l’un des podcasts cités ci-dessous. « Nous avons rencontrés des personnes très intéressantes, qui nous ont appris beaucoup de choses, et découvert de nouvelles manières d’encadrer. Nous sommes satisfaits de voir qu’Alexandre a gagné en assurance et est maintenant autonome. Ça valait la peine de lui consacrer du temps. »