« La pression sociétale, grande responsable de la dépression du monde agricole »
TNC le 26/02/2020 à 10:06
Agribashing, intrusions dans les exploitations, burn-out et mal-être des agriculteurs, faiblesse des retraites : Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la MSA et polyculteur-éleveur en Touraine, revient sur son entrevue avec Emmanuel Macron lors de la visite inaugurale de ce dernier du Salon de l’agriculture. Selon le premier représentant de la protection sociale agricole, la dépression générale agricole et le mal-être grandissant des agriculteurs ne sont plus liés seulement aux difficultés économiques, mais avant tout à la pression sociétale.
TNC : Lors de sa visite, Emmanuel Macron s’est arrêté sur le stand de la MSA pour évoquer le mal-être des agriculteurs et a annoncé le lancement d’une mission parlementaire sur le sujet. Qu’en attendez-vous ?
Pascal Cormery : Cette mission parlementaire doit aboutir à des actions concrètes pour une meilleure coordination des services concernés pour la détection et la considération des agriculteurs, et salariés agricoles – ne les oublions pas – en situation de détresse.
Malgré tous les dispositifs mis en place par la MSA, notamment la cellule d’écoute téléphonique 24/24, l’aide au répit ou les cellules pluridisciplinaires d’accompagnement, nous avons toujours un problème de détection des agriculteurs en burn-out. Tant que les gens ne se déclarent pas en difficulté, ils continuent de recevoir leurs feuilles d’impôt, leurs taxes foncières, etc. Cette pression administrative qui aggrave la situation de détresse de l’agriculture doit être évitée. Pour cela, il faut une plus grande coordination interministérielle.
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Dans le livre blanc que nous avons présenté lundi 24 février sur la cohésion des territoires, nous demandions la création d’une commission interministérielle pour mieux prendre en charge ces agriculteurs ou ces salariés agricoles en grande difficulté. L’annonce de cette mission parlementaire répond à notre demande. Nous allons maintenant travailler avec Olivier Damaisin, député du Lot-et-Garonne à qui le Gouvernement a confié cette mission de six mois, pour que la MSA soit au cœur du dispositif.
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TNC : Cette coordination n’existe-t-elle pas déjà sur le terrain ?
Pascal Cormery : Si, elle existe déjà localement. Nous n’allons pas réinventer l’eau chaude. Mais il faut orchestrer tout cela au niveau national pour que tous les agriculteurs en détresse soient mieux pris en charge et leur situation davantage prise en compte. Quand, malgré lui, un éleveur en situation de burn-out ne s’occupe plus assez de ses animaux voire les délaisse, il faut que, avec les services vétérinaires, on ait cette cohésion pour ne pas accentuer sa situation.
Aujourd’hui, le syndicat des vétérinaires nous demande comment mieux détecter les agriculteurs en détresse sociale et psychologique.
TNC : Quelle analyse faites-vous de l’agribashing croissant dont se disent victimes de très nombreux agriculteurs ?
Pascal Cormery : L’agribashing et les intrusions dans les exploitations accentuent la problématique du burn-out chez les agriculteurs. Il n’y a plus un matin sans une stigmatisation ou une fakenews sur l’agriculture. Les agriculteurs n’en peuvent plus. Je l’ai dit au chef de l’État. Il n’y a aucune autre profession qui, matin, midi et soir, se fait ainsi taper dessus.
Prenons l’exemple de l’agriculteur marnais qui a tiré en direction des voleurs sur son exploitation fin janvier dernier. Il s’est fait cambriolé 40 fois en une seule année – 40 fois ! – et s’est fait dérobé 7 000 litres de carburant en 4 ans. Dans une telle situation, je comprends qu’on puisse perdre son sang-froid. À un certain moment, les gens finissent par péter une durite. Je le comprends.
Autour de chez moi, sept agriculteurs de moins de 50 ans sont en train de jeter l’éponge. Ils arrêtent le métier. Ce sont des agriculteurs qui n’ont pas de problème économique. Ils arrêtent parce qu’ils en ont marre. Ils ne veulent plus supporter cette pression médiatique et ce dénigrement permanent. Ils veulent faire autre chose et ne plus être sous cette pression.
La dépression du monde agricole n’est plus liée aux difficultés économiques, mais à la pression sociétale.
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TNC : Le Gouvernement n’a-t-il pas aussi une part de responsabilité dans ce climat actuel ?
Pascal Cormery : Oui c’est certain. Je pense notamment au dossier des produits phytosanitaires. On sent qu’Emmanuel Macron rétropédale sur l’interdiction du glyphosate car il se rend compte que les solutions alternatives n’existent pas pour tout le monde. Sur ce dossier des phytosanitaires, je l’ai d’ailleurs rappelé aux parlementaires : les produits que nous utilisons ont une autorisation de mise sur le marché. Soit vous considérez que les produits sont dangereux et vous les retirez du marché, soit ils ne sont pas dangereux et les agriculteurs peuvent les utiliser. Mais surtout, ne mettez pas de ZNT ! Instaurer des ZNT, c’est créer une suspicion supplémentaire sur l’utilisation des produits autorisés. Que vont penser les riverains quand ils vont voir que l’agriculteur applique une zone de non-traitement sur le champ d’à-côté ? C’est une mesure de plus susceptible d’amplifier le dénigrement des pratiques agricoles.
TNC : Que pensez-vous de la réforme des retraites actuellement en débat ?
Pascal Cormery : On peut mettre n’importe quel système de retraite en place. S’il n’y a pas de revenus en agriculture, les agriculteurs n’auront pas de meilleure retraite. Je l’ai rappelé à Emmanuel Macron samedi dernier.
C’est depuis des années la faiblesse des revenus qui empêche les agriculteurs de cotiser suffisamment, et donc d’avoir des retraites plus décentes. C’est une bonne chose que de vouloir simplifier le système. Mais, même avec un système simplifié, c’est bien le niveau de revenu sur une carrière qui détermine le niveau de pensions.
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Ceci dit, reconnaissons-le, il y a une responsabilité collective au faible niveau de retraites agricoles. Je le dis en tant qu’ancien président d’un centre de gestion : quand les centres de gestion sont face à une exploitation aux revenus importants, ils ne dressent pas suffisamment le bilan social de ces revenus, avec les conséquences positives sur le niveau de pensions.
Certaines mentalités changent tout doucement. De plus en plus d’exploitants créent des structures juridiques pour y être salariés avec statut cadre afin de payer plus de cotisations. Mais à côté de cette nouvelle tendance, il y a des jeunes installés qui estiment que la retraite est encore trop lointaine pour s’en préoccuper. C’est une erreur de leur part. D’ailleurs, il faudrait faire évoluer les programmes de formation initiale pour y intégrer des informations sur la protection sociale agricole.