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Blé russe

« La production pourrait atteindre 100 Mt d’ici 7-8 ans »


TNC le 07/01/2020 à 09:02
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Une augmentation de 20 % de la production de blé russe d'ici 5 ans, apparaît comme étant le scénario le plus probable pour Michel Portier. (©Pixabay)

Concernant sa production de blé, la Russie a un potentiel énorme et dispose encore d'une grande marge de progression. Jean-Jacques Hervé, ancien attaché agricole à Moscou, affirmait récemment que « les productions russes et ukrainiennes de grains pourraient doubler d’ici cinq ans ». Mais Michel Portier, président d'Agritel, se montre moins optimiste et table sur une progression de 20 %.

Terre-net relayait mi-décembre l’avis de Jean-Jacques Hervé, ancien attaché agricole à Moscou et ancien conseiller du gouvernement ukrainien. Selon lui, « les productions russes et ukrainiennes de grains pourraient doubler d’ici cinq ans ». Michel Portier, directeur d’Agritel, n’y croit pas. Il s’exprimait à l’occasion d’une table ronde qui s’est tenue pendant une journée dédiée à la géopolitique mondiale et aux marchés agricoles organisée par des étudiants d’UniLaSalle à Beauvais (Oise).

La production de blé a encore une grande marge de progression en Russie, certes, mais l’agriculture russe doit faire face à de nombreux freins. « Si la production monte de 20 % d’ici 5 ans, ça serait déjà vraiment pas mal », explique l’expert, qui table sur une production qui atteindrait les 100 Mt d’ici 7 – 8 ans.

« Avant, on regardait Chicago, mais maintenant, on regarde surtout les prix du blé mer Noire pour faire les prix européens » selon Michel Portier, directeur d’Agritel. (©TNC)

« La réussite de la Russie est une volonté politique. Le pays a « une vraie » politique agricole. Il veut jouer un rôle important sur la scène internationale et accroître son influence géopolitique à travers l’agriculture », avance l’expert. « Peut-être qu’un jour (…) le blé remplacera les hydrocarbures en tant que source principale de revenus de la Russie », avait déclaré Vladimir Poutine en 2017. L’année suivante, il a affirmé durant un discours devant des agriculteurs à Krasnodar que « le secteur agricole russe a changé de manière radicale ces dernières années (…), se transformant en une locomotive de l’économie russe ».

Depuis 2014, le pays est frappé par des sanctions économiques européennes et américaines à la suite de l’annexion de la Crimée. En réaction, la Russie avait mis en place un embargo sur les produits alimentaires européens. La situation a boosté l’ambition russe pour son agriculture, afin d’accroître l’autonomie alimentaire du pays. Les Européens et les Américains, « avec leurs sanctions, nous ont donné l’occasion d’aider nos producteurs agricoles », avait ajouté Vladimir Poutine à Krasnodar.

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En 2017/18, la Russie avait connu une année exceptionnelle et la production de blé avait atteint 85,2 Mt. Pour la campagne 2019/20, la production devrait se situer aux alentours de 74,5 Mt, d’après les chiffres de l’USDA. Depuis 2017, le pays est devenu le premier exportateur de blé dans le monde, et présente encore un potentiel de progression non négligeable, selon le spécialiste.

La production russe de blé en 2019, avec 74,5 Mt, est la deuxième meilleure récolte, après celle de 2017. (©Agritel)

Climat, sols, surfaces disponibles, progrès variétal : le cocktail idéal

Alors que le réchauffement climatique est problématique dans la plupart des parties du monde, il semble au contraire bénéfique à l’agriculture russe. « Les blés gèlent beaucoup moins qu’avant et le pays peut cultiver davantage de blé d’hiver. On estime que les surfaces ont augmenté de 400 à 500 000 ha ». Comparé aux cultures de printemps, les variétés d’hiver présentent un potentiel de production plus élevé.

Par ailleurs, le pays possède des tchernoziom (une terre noire particulièrement riche en matière organique et jugée comme la meilleure terre du monde pour les grandes cultures), ce qui offre un potentiel agronomique particulièrement élevé.

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Le territoire russe est immense et de nombreux hectares de terres cultivables sont encore disponibles. Toutefois, le climat dont bénéficie la grande majorité des terres situées dans le nord du pays rend l’agriculture productive impossible. Mais avec le réchauffement climatique, ces terres deviendront peu à peu exploitables, augmentant encore davantage les surfaces disponibles. Au regard du potentiel de surfaces encore non exploitées et de l’ambition portée par les autorités, l’augmentation des surfaces continuera indéniablement dans les années à venir. Le progrès technique et variétal jouera lui aussi un rôle dans la progression de la production, en permettant une hausse des rendements.

Toutefois, « depuis 2012, il n’y a pas eu d’incident climatique majeur en Russie et en Ukraine, mais ça arrivera bien un à un moment ou un autre », expliquait Michel Portier. Que ce soit la Russie ou l’Ukraine, ça reste des pays à climat continental rigoureux, avec des aléas climatiques fréquents qui peuvent faire fluctuer les rendements de façon conséquente. « Même si le réchauffement climatique peut aider, la production pourrait être fortement impactée en cas de problème climatique ». L’avantage de la France, c’est que la volatilité sur les rendements est globalement assez faible.

« La mer Noire prend une part de plus en plus importante sur le marché mondial, ce qui signifie qu’en cas d’incident climatique, et si un problème intervient conjointement en Chine, en Inde, en Russie, ce qui n’est pas impossible, ça serait explosif ! », avance le spécialiste.

Les rendements ont en moyenne progressé, que ce soit pour les variétés d’hiver ou pour celles de printemps, mais avec de fortes fluctuations selon les années. (©Agritel)

Des facteurs limitants… pour le moment

Le climat encore très rude dans le nord du pays reste un frein, bien que le réchauffement climatique améliore peu à peu la situation. Mais la Russie est immense et pour acheminer le blé des fermes jusqu’aux ports, la distance peut être très grande. Les coûts de logistique intérieure peuvent vite grimper et rendre le blé rendu au port beaucoup moins compétitif. Les axes routiers sont insuffisants et les ports sont fréquemment engorgés. Michel Portier raconte : « il y a souvent une longue queue pour vider les camions transportant les céréales dans les ports ». Par ailleurs, les infrastructures du pays sont vieillissantes. Plus de la moitié des silos ne sont plus aux normes. Il y a même des vieux trains qui sont utilisés pour stocker les céréales.

Pour fluidifier la situation et baisser les coûts, la Russie devra améliorer sa logistique. Mais « ils mettent déjà les moyens », affirme le directeur d’Agritel, et connaissant l’ambition de Poutine, nul doute que le pays fera tout son possible pour relever rapidement ce challenge. Pour atteindre le niveau de la logistique de la France, l’expert estime qu’il faudra à la Russie tout de même 15 – 20 ans.

Et les prix dans tout ça ?

On pourrait croire à première vue que si la production augmente sensiblement en mer Noire, le trop plein de blé sur le marché pourrait mener à une baisse des prix conséquente. Eh bien non, ce n’est pas nécessairement le cas. La production plus élevée sera très certainement absorbée par la hausse continue de la demande mondiale, compte tenu de l’augmentation de la population et du progression du niveau de vie dans certains pays. Et quoi qu’il en soit, « le marché se régule par lui-même, s’il n’est pas trop interventionné par l’État. En cas de sur ou sous-production, il s’adaptera ». Si la production va trop vite par rapport à la demande, les prix plus bas dégraderont l’intention de semer et l’intensification des cultures, ce qui mènera à un ajustement. C’est la loi de King. Il suffit d’un tout petit différentiel de surproduction pour que les prix baissent, et inversement pour que les prix montent. Une très faible distorsion de l’équilibre entre l’offre et la demande est susceptible d’entraîner une forte variation du prix.

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