« Les graines de la transmission se sèment dès l’installation »
TNC le 24/03/2022 à 06:02
Les partenaires de l'installation en agriculture sont unanimes : la transmission de son exploitation est un projet qui s'anticipe, et pas qu'en fin de carrière ! Autant, en effet, y penser depuis le début afin de s'y préparer, ainsi que sa ferme, et maximiser les chances de reprise.
« Semer, dès l’installation, les graines de la transmission ». Cette jolie formule de François-Étienne Mercier, vice-président du syndicat Jeunes Agriculteurs, sera encore plus vraie demain qu’aujourd’hui. « 40 % des exploitant(e)s agricoles partiront à la retraite dans les 10 ans, soit 30 % environ des surfaces exploitées à transmettre », rappelle Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer (FNSafer).
30 % des surfaces exploitées à céder.
« À peine installé sur la ferme, il faut déjà avoir en tête qu’un jour, on la transmettra, met en avant François-Étienne Mercier. Autrement dit, il faut s’assurer qu’elle reste attractive pour un repreneur et réfléchir toutes ses stratégies et décisions en ce sens. Tout en ayant conscience que le ou les successeur(s) feront évoluer l’exploitation, parfois en profondeur. » Ainsi, il importe « de faire de la pédagogie auprès des cédants » pour qu’ils anticipent au maximum la cession de leur ferme. Et « pour les rassurer » : même si leurs attentes et projets se diversifient, les jeunes qui souhaitent devenir agriculteurs sont de plus en plus des chefs d’entreprise. D’ailleurs, pour pouvoir s’installer en agriculture, ils doivent établir un business plan sur plusieurs années », poursuit le responsable « installation » de JA.
À un bout comme à l’autre de la « chaîne du renouvellement des générations agricoles », les publics changent et il n’est pas toujours simple de concilier les visions et objectifs de chacun. Sachant aussi qu’à cause de la conjoncture économique difficile, des accidents climatiques à répétition, ou d’une certaine lassitude vis-à-vis du métier, cesser son activité avant la retraite est plus courant qu’avant. De même, « les gens s’installent plus tardivement, voire tout au long de leur carrière professionnelle après une ou plusieurs reconversions ».
Transmettre sa ferme : un projet sur 18 mois
C’est pourquoi « l’anticipation de la transmission des exploitations devient essentiel, comme de se faire accompagner », insistent d’une même voix l’ensemble des partenaires. « L’enjeu pour les organisations agricoles (OPA) est de faire le lien entre les personnes qui quittent l’agriculture et ceux qui arrivent, appuie Emmanuel Hyest. L’agriculture s’est largement restructurée : la plupart des fermes sont « reprenables » et doivent donc être reprises. » Anne-Charlotte Ribault, directrice de la Safer Loire-Atlantique, cite par exemple le parcours collectif « transmission » mis en place dans le département. Pendant deux ans, les cédants réfléchissent à la cession de leur ferme avec des conseillers spécialisés de diverses OPA.
« Cela leur permet de s’engager dans un véritable projet » souligne-t-elle, qui peut mûrir tranquillement, ce qui laisse le temps aux repreneurs de monter le leur. « Je me suis installé en six mois derrière quelqu’un qui n’avait pas vraiment préparer sa transmission. C’est trop rapide ! », témoigne François-Étienne Mercier. Chambres d’agriculture et Safer conseillent, en effet, « de plutôt tabler sur 18 mois ». Comme pour la cession de l’élevage laitier (300 000 l de lait, 150 ha) de M. et Mme Ménager en Loire-Atlantique.
6 mois pour s’installer, c’est trop rapide !
« Dans les Pays de la Loire, les parcellaires sont très morcelés, avec plein de propriétaires différents : là, il y en avait une quinzaine pour 150 ha, un chiffre dans la moyenne régionale. Il a fallu tous les contacter pour les avertir du changement d’exploitant et leur expliquer le projet du jeune couple de repreneurs, détaille Anne-Charlotte Ribault. C’est un moment important dans la relation avec leur(s) fermier(s), où ils peuvent décider de continuer de louer ou de vendre. Or, maîtriser le foncier au moment de l’installation est essentiel. »
Des démarches qui peuvent durer longtemps dans des cas de multipropriété comme celui-ci. La directrice de la Safer de Loire-Atlantique précise par ailleurs que, grâce au parcours « transmission », les cédants s’y sont pris plus tôt que ce qu’ils pensaient. Ainsi, la conjointe d’un jeune éleveur voisin a pu s’installer avec, en parallèle la construction d’un bâtiment.
« Favoriser la transmission du foncier auprès des Nima »
À l’échelle de la France, en 2020, la Safer a mené 1 400 opérations foncières en faveur de l’installation (les transactions pour conforter des structures reprises récemment ne sont pas comprises dans ce chiffre) pour un total de 34 000 ha, à 68 % en hors cadre familial. Cela illustre « l’importance croissante des personnes non issues du milieu agricole (Nima) pour un renouvellement des générations qui ne peut plus s’appuyer uniquement sur les enfants d’agriculteurs », moins nombreux à reprendre la ferme familiale, fait remarquer Emmanuel Hyest. « Et au vu de la démographie agricole, même si tous prenaient la suite de leurs parents, ce ne serait pas suffisant ! »
En 2020 : 1 400 opérations foncières pour l’installation, à 68 % hors cadre familial.
« Lors d’événements tel que le salon de l’agriculture, on en voit des jeunes intéressés par le métier d’agriculteur ! Ils apportent une autre vision de l’agriculture et beaucoup s’orientent vers la transformation et la vente directe, qui nécessitent moins de surfaces. Toutefois, sans l’intervention de la Safer, ils ne pourraient pas avoir accès à la terre », souligne-t-il. « Alors nous devons favoriser les outils facilitant la transmission du foncier, en particulier auprès de ces publics », sachant que « des conventions existent déjà » dans certains départements ou régions entre les chambres d’agriculture, Jeunes Agriculteurs, les Safer, les banques, etc. mais « les porteurs de projet ne les sollicitent pas toujours ».
« Il faudrait les décliner et les rendre opérationnelles dans tous les territoires afin d’uniformiser les dispositifs au niveau national », suggère François Beaupère, président de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. « Tous les leviers doivent être actionnés pour encourager l’installation et la transmission », poursuit-il, faisant référence, entre autres, à l’intermédiation locative proposé par la Safer (accompagnement des bailleurs dans la recherche de fermiers) et aux exonérations fiscales pour les propriétaires fonciers signant des baux avec des jeunes agriculteurs. « Un coup de pouce significatif pour les bailleurs qui ne met pas en péril les comptes de l’État. »