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« Transmettre, s’associer : se comprendre entre générations et s’adapter à l’autre »


TNC le 29/01/2025 à 04:46
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« Les jeunes peuvent apprendre des aînés et inversement ! », met en avant Louise Maurice, de l'Anefa Bretagne. (© Countrypixel, Adobe Stock)

Priorités, organisation du travail, communication : comment concilier des attentes et des façons de fonctionner différentes entre générations et éviter les tensions ? Là est tout l’enjeu d’une transmission ou d’une association réussie. L’essentiel, semble-t-il, savoir écouter l’autre et s’adapter.

Dans une transmission d’exploitation agricole, difficile souvent de se comprendre entre générations, entre un cédant et un repreneur hors cadre familial, et même entre parents et enfants. Ce qui peut être source de tensions, et risque de freiner voire bloquer certaines étapes de ce long processus, puis de poser problème s’il faut travailler ensemble sur la ferme pendant une période de tuilage, même courte, voire davantage en cas de cession à plus long terme.

Attentes et rapport au travail différents

« Nous devons prendre en compte les attentes et le rapport au travail différents de cette nouvelle génération Z. À l’horizon 2030, elle représentera 25 % des salariés agricoles en activité », exhorte Louise Maurice, chargée de mission emploi/formation pour le réseau breton des Anefa (1), selon une étude par l’Anefa Finistère auprès de 840 étudiants en formation agricole nés après 1995.

(1) Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture.
Présente dans les régions et départements, sa mission est de mettre en avant et faire découvrir des métiers du salariat dans le secteur agricole, et de mettre en relation les employeurs qui cherchent à recruter et les personnes intéressées par ce domaine d’activité. En Bretagne, plus de 2 200 offres sont à pourvoir, principalement en production laitière, porcine, machinisme et maraîchage.

Relation d’égal à égal, empreinte d’écoute et bienveillance.

« Ces derniers recherchent avant tout un métier « passion » ayant du sens. Une chance, l’agriculture répond à ce besoin puisqu’elle nourrit la population, entretient les paysages », détaillait-elle au Space 2024 lors de la conférence « Se comprendre entre générations pour travailler ensemble ». Parmi leurs autres priorités : une relation d’égal à égal avec la hiérarchie, empreinte d’écoute, compréhension, bienveillance, transparence, et de l’autonomie, la liberté de choix principalement.

Immédiateté et flexibilité.

« Hyperconnectés – ils sont nés avec le smartphone –, ils n’ont pas la même perception du temps : ils vivent dans l’immédiateté, l’instant présent, poursuit Louise Maurice. Ils ne veulent pas forcément le CDI auquel tenaient tant leurs aînés dès la fin de leurs études, et sont plutôt flexibles. Ils n’ont pas peur de changer d’entreprises, et préfèrent des CDD, passant facilement d’un contrat à un autre. »

Principales sources de tensions : l’organisation, l’équilibre vie pro/perso

Sachant que 20 % d’entre eux ont déjà connu une situation compliquée dans leur emploi, ou durant leur apprentissage ou leurs stages, à 80 % pour cause de mésentente avec leur patron, parce que « les deux générations ne se comprennent pas ». La question derrière selon la chargée de mission : « comment les employeurs, agriculteurs notamment, doivent s’adapter, en termes de management entre autres, pour que jeunes et plus anciens parviennent à travailler ensemble ?

Le travail, plus une finalité.

Dans les exploitations, l’équilibre vie pro/vie perso est souvent source de frictions entre générations, constate Véronique Vannier, conseillère entreprise en charge des relations humaines et de l’organisation du travail à la chambre d’agriculture de Bretagne.

Pour les jeunes, il est de plus en plus essentiel. « Or leurs aînés ont comme principale valeur, parfois même comme seule finalité, le travail », pointe-t-elle. Autrement dit : les jeunes travaillent pour vivre et ne vivent plus pour travailler. D’où des désaccords au niveau des astreintes, des horaires et de leur amplitude, etc.

L’opportunité de repenser les conditions de travail

Plutôt qu’une contrainte, « les exploitants devraient y voir l’opportunité de revoir l’organisation, le volume et le confort de travail sur la ferme », suggère la conseillère. C’est ce qu’ont fait Paul-Étienne Denais et ses parents, en train de lui passer le relais pour une transmission progressive d’ici un an et demi, après une phase de salariat.

D’autant qu’il va reprendre l’exploitation seul alors qu’eux étaient associés, et qu’il est porteur d’un handicap : il a été amputé de son bras gauche suite à un accident, en 2018. Passionnés par les vaches laitières, pas question cependant d’abandonner l’atelier lait : il va repenser la stabulation et robotiser certaines tâches, dont la traite, pour simplifier les manipulations au maximum.

Que ce soit pour accueillir un successeur, un associé ou un salarié, les divers intervenants sont unanimes : il convient d’aménager la structure en conséquence, aussi bien au niveau du matériel et des bâtiments agricoles, que du bureau, des vestiaires, des salles de réunion et de pause, etc. Paul-Étienne Denais invite la production laitière, « en retard dans ce domaine, à prendre exemple sur le porc ».

Véronique Vannier va plus loin, faisant allusion à l’état de la cour de ferme et de l’ensemble des locaux et équipements à disposition, donc à leur entretien. « Ils doivent être fonctionnels, propres et suffisamment équipés : toilettes, évier, machine à café, etc. Il faut que tout le personnel soit incité à les utiliser et s’y sente bien. »

D’abord l’ambiance, puis le salaire

Autre levier majeur, cité en premier dans l’enquête, pour transmettre, ou recruter et fidéliser plus facilement : l’ambiance, avant la confiance entre salariés et employeurs, le sens du travail et, en quatrième position seulement, le salaire. « Les jeunes aimeraient qu’il soit indiqué dans les offres d’emploi, observe Louise Maurice. Or, les agriculteurs n’ont pas l’habitude de mentionner même un montant prévisionnel, ou une fourchette. »

Dès l’offre d’emploi ou de reprise :
évoquer la rémunération, les atouts/contraintes.

Et d’insister : « Plus vous serez transparent sur ce point, comme sur les conditions de travail, les atouts et faiblesses de l’entreprise, ses projets, plus vous attirer de postulants. N’hésitez pas à préciser tous ces éléments, « votre marque employeur » en quelque sorte, les candidats doivent savoir pourquoi postuler. »

Surtout que cela peut aider à lever les préjugés sur les niveaux de rémunération, certains étant très corrects. « Le salaire est rarement évoqué dans les conflits entre salariés et employeurs, contrairement à l’organisation du travail », appuie Véronique Vannier. Ou encore, la communication, pourtant déterminante lorsqu’on travaille en équipe, multi-générationnelle qui plus est.

Communication transparente

Des propos pas assez clairs, des consignes mal transmises, trop peu de retours d’un côté comme de l’autre, positifs comme négatifs… il faut communiquer de manière explicite et non implicite ! « Les exploitants ont, en effet, du mal à expliquer comment faire telle ou telle chose », illustre-t-elle, en particulier, les plus de 50 ans. « Et à déléguer », enchaîne Paul-Étienne Denais.

Impliquer dans les décisions, les projets.

Au contraire, donner des responsabilités permet de mieux intégrer les nouvelles recrues, de même que solliciter leur avis, les impliquer dans les décisions et les projets. À condition de les rémunérer en contrepartie, les situations étant très contrastées sur le terrain, juge néanmoins le futur agriculteur. « Aucune revalorisation parfois au fil des années alors que les producteurs leur confient leur exploitation », déplore-t-il, encourageant à « parler salaire », car beaucoup de salariés et d’employeurs n’osent pas.

Partager des points de vue même divergents

Au-delà, il s’agit d’échanger des points de vue même divergents. « Nous ne sommes pas toujours d’accord avec mes parents, sur les choix de modernisation par exemple », témoigne Paul-Étienne. Mais aussi de comprendre la personnalité et les besoins de chacun. « Une richesse, les jeunes peuvent apprendre des aînés et inversement ! », lance Louise Maurice. Un facteur clé également d’une bonne intégration dans l’entreprise, et fidélisation ensuite.

D’où l’intérêt de rendez-vous réguliers, trimestriels ou a minima annuels, pour dresser le bilan de ce qui va, ou fonctionne moins. Il faut d’ailleurs savoir recadrer si nécessaire. Véronique Vannier revient sur l’importance de la communication. « Les agriculteurs ne se rendent pas toujours compte de son impact et il est souvent difficile de les convaincre de se former. Il y a pourtant des méthodes et des outils pour progresser. » L’Anefa joue un rôle d’accompagnement sur tous ces aspects, en commençant par l’offre d’emploi.

Louise Maurice met malgré tout en garde : « Attention à ne pas être trop exigeant, le mouton à cinq pattes n’existe pas. » Véronique Vannier rebondit : « Il faut vouloir transmettre à un repreneur, ou travailler avec des salariés. » Et Paul-Étienne de conclure : « Le salariat n’est pas uniquement une source de main-d’œuvre, il doit être considéré plus comme de l’entraide. À nous, agriculteurs, d’accueillir, expliquer, communiquer. »

« De valoriser les avantages, sans cacher les inconvénients, dès l’entretien d’embauche », estime-t-il encore, ayant l’intention de prendre régulièrement des stagiaires, comme Roger Violant, l’un des exploitants présents. Lui n’a « jamais trouvé son métier pénible », mais a bien conscience qu’il ne faut pas « vendre du rêve non plus ». Un travail est à faire à ce sujet, en particulier auprès des Nima. Sachant qu’il faut « donner envie, accepter de partager son expérience, de faire évoluer ses pratiques, et de se faire accompagner si l’on n’y arrive pas en s’appuyant sur les organismes compétents qui nous entourent », souligne-t-il.