À Cognac, la réalité virtuelle au service de la taille des vignes
AFP le 20/02/2025 à 10:55
« Fais comme dans un rang » : casque immersif sur la tête et manette-sécateur en main, l'apprentie vigneronne élague le cep virtuel grâce à une simulation conçue en Charente pour former les futurs tailleurs de vigne et « décomplexifier » ce geste ancestral, « fondamental » en viticulture.
Dans une salle de classe de l’Institut de Richemont, près de Cognac, l’étudiante en BTS manie les boutons avec doigté pour tailler un pied parfaitement modélisé, écourtant un sarment, comptant le nombre d’« yeux » (bourgeons) nécessaires.
« Essaie de tailler en respectant les trajets de sève », conseille son formateur Laurent Mabille, ingénieur agronome. « Fais comme si tu étais dans un rang. » Un écran de contrôle permet d’observer l’opération, avec le droit à l’erreur permis par ce logiciel baptisé Ampelos, du nom d’un personnage de la mythologie grecque proche de Dionysos, dieu du vin.
« C’est la même sensation » que dans les vignes, témoigne Lola Billy, 20 ans, qui aspire à devenir vigneronne comme ses oncles. Et en cas de mauvaise coupe, « on peut revenir en arrière pour comprendre les erreurs qu’on fait, donc c’est assez impressionnant ».
Dans la foulée, exercice appliqué dans des vignes de la maison de cognac Martell, mises à la disposition des étudiants : sous un soleil d’hiver, ces derniers jouent du sécateur sur de vrais ceps. « Grâce à la réalité virtuelle », se réjouit Laurent Mabille, « on peut permettre à des apprenants débutants, à tout type de public même, d’apprendre à tailler ».
« Décomplexifier un geste technique difficile »
La simulation permet d’esquiver la saisonnalité et l’aléa météorologique : on peut enseigner toute l’année, alors que cette manipulation est en principe cantonnée aux mois d’hiver.
« Et puis ça permet de décomplexifier ce geste technique qui peut être appréhendé comme difficile », dit le formateur, rappelant qu’il faut en principe « plusieurs années » pour exercer un bon tailleur. Pour lui, « ce n’est pas gadget : c’est comme les simulations pour les pilotes de ligne, cela valide des compétences ».
Ampelos pousse notamment à corriger les postures inadéquates sources de douleurs pour le tailleur, à visualiser la circulation de la sève dans le cep et, à terme, donnera un aperçu de son évolution d’une année sur l’autre en fonction de la taille virtuelle, explique Romain Soulié, cofondateur du studio Nyx, près d’Angoulême.
Dans le cadre d’un consortium baptisé Vinum et doté d’un budget de 2,4 millions d’euros, incluant aussi le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou encore la maison de cognac Hennessy (groupe LVMH), ce studio informatique a lancé Ampelos en 2024, puisant dans des innovations issues du jeu vidéo.
Des technologies qui sont « dans l’ADN » des aspirants vignerons, se félicite Yannick Laurent, directeur de l’Institut de Richemont, qui accueille plus de 300 étudiants et a investi « quelques milliers d’euros » pour la licence logicielle et le matériel.
Applicable à d’autres vignobles
« C’est complémentaire d’avoir cet outil virtuel et puis d’aller sur le terrain », estime-t-il, décrivant la viticulture comme une culture « ancestrale » capable de « s’adapter ».
Pour Mathilde Boisseau, directrice vigne et vin d’Hennessy, la taille est une « opération fondamentale », notamment pour allonger la durée de vie des vignes et pour « ralentir l’arrivée des maladies du bois », qui représentent environ 5 à 10 % des ceps improductifs.
Le géant du cognac, qui a fourni une parcelle à numériser, pourrait recourir au logiciel dans le cadre des ateliers destinés à ses 1 600 viticulteurs partenaires.
D’autres vignobles pourraient en bénéficier, précise de son côté Romain Soulié : outre des vignes de Cognac et de Bourgogne déjà modélisées avec un grand souci du détail (un million de polygones par cep), la Champagne et l’Alsace vont suivre. Et le changement climatique, en étendant la viticulture à des régions nouvelles, va susciter un important besoin de formation.
« On va commencer à planter des vignes ailleurs que les vignobles traditionnels, et il va falloir former les gens (de ces) terroirs », souligne Romain Soulié, qui présentera le logiciel au Salon de l’Agriculture débutant samedi à Paris. « C’est une innovation applicable au monde entier », résume Mathilde Boisseau.