Être salarié d’élevage : « un confort de vie et financier »
TNC le 25/04/2025 à 07:42
C’est ce que mettent en avant Julia et Julien, respectivement salariés en élevage bovin lait et viande. Ainsi que l’autonomie dont ils bénéficient et la relation de confiance qu’ils entretiennent avec leurs employeurs, sans endosser les lourdes responsabilités incombant aux chefs d’entreprise. Si Julia projette de s’installer d'ici quelques années, Julien préfère pour le moment le salariat.
Outre leur prénom proche (et leur âge : 28 et 30 ans respectivement), Julia et Julien ont d’autres points communs : ils sont salariés en élevage bovin, laitier pour elle en Loire-Atlantique, et allaitant pour lui en Haute-Vienne. Tous deux aiment, dans cette profession, le contact avec les bêtes et la diversité des tâches, pas seulement liée aux saisons, qui implique d’être polyvalent.
« On touche à tout, avec beaucoup de travail manuel » : alimentation, nettoyage des stabulations, observation/surveillance des différents lots d’animaux pour s’assurer qu’ils « bougent bien, ne toussent pas, et qu’aucun ne s’est sauvé de la prairie, etc. », traite mais aussi entretien du matériel, des clôtures, des haies…
« On fait nos heures et elles nous sont payées »
Surtout, par rapport au métier d’éleveur, ils mettent en avant « le confort de vie et financier ». « On fait nos heures et elles nous sont payées », image la jeune femme, non issue du monde agricole. « Avec un CDI et un revenu fixe, je peux faire des projets qui seront plus facilement financés par la banque », souligne de son côté Julien.
Pour ce qui est de l’équilibre pro/perso, ils évoquent la possibilité d’avoir des congés – « fixés à l’avance » ajoute Julia et que Julien peut prendre pendant les vacances scolaires puisqu’il a des enfants – et des week-ends, donc des loisirs et des moments en famille et entre amis.
« Ils me laissent les clés de l’exploitation »
La jeune salariée est d’astreinte un week-end sur trois, alternant avec les associés du Gaec, Elsa et Raphaël. Julien, lui, n’a « pas de contrainte » les samedis et dimanches, et peut aller chercher ses enfants le soir à 18 h, ses patrons « comprennent ». L’un comme l’autre apprécient l’autonomie que leur laissent leurs employeurs et le lien de confiance qui s’est noué avec eux. « Quand ils partent en week-end, ils me laissent les clés de la ferme », illustre Julia qui insiste sur l’importance, pour « une relation saine, d’être honnête, de dire clairement les choses, y compris quand ça ne va pas ».
Si « l’objectif est qu’ils soient autonomes », salariés et éleveurs travaillent souvent ensemble, « pour que ça avance plus vite », précise la jeune femme, et lors des mouvements d’animaux notamment, pour des questions de facilité et sécurité, afin de «les rassembler et d’éviter que des bêtes aillent à droite et à gauche » par exemple.
L’organisation est calée à la semaine. « Réunion à trois tous les lundis matins pour faire le planning des principaux chantiers », détaille la jeune salariée. « Il peut bien sûr changer selon la météo », enchaîne Julien. « Tous les travaux sont réfléchis pour être le moins pénible possible. L’alimentation, entre autre, est entièrement mécanisée », poursuit-il.
« Je travaille comme si c’était ma ferme »
Mais il en a bien conscience : malgré une certaine liberté dans son travail et ses compétences, ce n’est pas lui qui prend les décisions sortant du quotidien habituel de l’exploitation, comme appeler le véto si une vache n’est pas en forme. « J’en réfère à mes patrons, ce sont leurs bêtes, leur structure, leur gagne-pain même si c’est aussi le mien, et que je travaille comme si c’était ma ferme », précise-t-il.
Le jeune homme n’en est pas moins épanoui. « Ça se passe très bien. Le matin, je me lève, j’arrive au boulot, je suis content », résume-t-il reconnaissant également de pouvoir se former. « J’ai suivi une formation sur la contention et la manipulation des bovins. J’ai appris plein de choses, en particulier en matière de licols, bénéfiques pour la sécurité de l’agriculteur et le bien-être animal. » Les éleveurs qui ont recruté Julia ne visaient pas, non plus, « la personne qui sache tout faire, elle n’existe pas ». Ils étaient prêts à la former.
« J’ai pu choisir la structure où je voulais aller »
La jeune femme a été embauchée il y a deux ans au Gaec du Bio Virage à Avessac. « Je savais qu’ils cherchaient quelqu’un et que nous avions la même vision de l’élevage et de l’animal », avance-t-elle. Un système très pâturant (50 ha sur 80 accessibles au pâturage), en bio : voilà ce qui l’a décidée. « Il y a pas mal d’offres, j’ai pu choisir la structure où je voulais aller, celle dont les pratiques me convenaient le mieux », détaille-t-elle.
« Les premiers jours, j’ai eu l’impression de redémarrer de zéro, de tout redécouvrir. Puis, j’ai vite retrouvé mes repères », raconte-t-elle. Ostéopathe pour animaux pendant un an, sans études agricoles auparavant, elle s’est rendu compte qu’elle préférait travailler en élevage, et s’est formée sur le terrain dans une exploitation trouvée via l’Anefa (Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture).
Julien, quant à lui, est salarié sur quatre exploitations via un groupement d’employeurs. Pour son BTS en alternance après son bac pro CGEA, il a eu des difficultés à trouver une entreprise. « Ce n’est pas le travail qui manque mais les finances ! », lance-t-il. Alors il est passé par legroupement d’employeursGieq Agri Limousin Périgord, qui l’a mis en contact avec une ferme et a réalisé le suivi avec l’école. « Après mon diplôme, ils m’ont relancé pour une formation poids lourd. Soit en tout : quatre ans d’apprentissage avec eux qui ont débouché sur un CDI. »
Le lundi chez Thierry, le mardi chez Laurent, le mercredi chez Pierre, le jeudi chez Vincent et le vendredi de nouveau chez Pierre : les jours sont définis. « Des exploitations assez grandes – 200 à 300 ha et 100 à 200 mères, naisseur/engraisseur – typiques du Limousin », indique Julien. L’avantage d’être salarié sur plusieurs fermes, proches les unes des autres : « effectuer des tâches et voir des façons de faire différentes, et s’adapter plus rapidement ». L’inconvénient : « il est parfois difficile de finir ce qu’on a débuté et, à l’inverse, on termine ce qu’on n’a pas commencé. »
« Salarié à éleveur : un pas important à franchir »
Et pour les éleveurs ? « Chacun, seul, ne pourrait pas financièrement embaucher à temps plein, le salariat agricole partagé nous permet d’avoir quelqu’un au moins une journée ou deux par semaine. Le groupement d’employeurs de la Beige et de Lacoux a été créé, il y a douze ans, par deux des producteurs. Ils se sont ensuite regroupés à quatre du même secteur.
« On s’est mis autour de la table et tout le monde a dit ce qu’il souhaitait », expliquent-ils insistant sur la nécessité de « bien s’entendre ». Le volet administratif, et donc la paye, est géré par la FDCuma pour un coût là aussi divisé par quatre. Lesalarié partagé rapporte dans chaque élevage les bonnes idées observées dans les autres. « Chez untel, pour la contention, on procède comme cela. Bah maintenant, on fera pareil ici ! »
En l’embauchant, les employeurs de Julia espéraient pouvoir profiter de davantage de temps libre à deux, mettre en place une organisation plus souple en semaine et s’engager professionnellement. Autre intérêt pour eux : pouvoir, si besoin, se partager entre les divers ateliers de la ferme. « Travailler avec un tiers exige un peu plus de cadrage et de la visibilité sur une quinzaine de jours pour ne pas qu’il soit pris au dépourvu », font-ils remarquer.
Si Julia envisage de s’installer en élevage – n’ayant pas de diplôme agricole, elle a entrepris une VAE (validation des acquis de l’expérience) pour l’obtention du BPREA afin de « crédibiliser son dossier et percevoir les aides à l’installation » – Julien se voit bien continuer ainsi jusqu’à sa retraite.
« De salarié à éleveur, le pas à franchir est important. On devient chef d’entreprise avec les responsabilités qui en découlent. Si je le franchis un jour, ce ne sera pas seul. » Et Julia de conclure : « ne pas être du milieu ni avoir de formation agricole ne doit pas être un frein. Si on est intéressé et motivé, on trouve forcément une exploitation pour nous accueillir et on fait rapidement sa place. »