Avec la guerre en Ukraine, les huiles sur le feu
AFP le 23/03/2022 à 17:50
Chaque nouveau bombardement russe en Ukraine conforte les cours élevés des matières premières agricoles : après une accalmie, les céréales sont reparties à la hausse cette semaine, mais l'embrasement vient surtout des huiles, qui caracolent à un niveau jamais atteint.
« C’est la première fois qu’on a un contexte aussi tendu. Tout s’est passé très vite et on n’a pas trouvé de produits de substitution à l’huile de tournesol ukrainienne », explique à l’AFP Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel.
L’Ukraine assure 50 % du commerce mondial d’huile de tournesol, qu’elle n’arrive presque plus à exporter en raison de la guerre. Avec la Russie, ce sont plus de 78 % des exportations mondiales. Au port de Saint-Nazaire (France), la tonne de tournesol est passée de 630 euros la veille de l’invasion russe à plus de 1 000 euros mardi.
La menace d’une pénurie et les cours élevés du pétrole ont dopé tous les oléagineux, qui sont utilisés comme agrocarburants, du soja au canola (colza OGM canadien). Sur le marché européen, le colza a franchi mercredi la barre des 1 000 euros la tonne, soit une augmentation de près de 40 % en un mois pour une livraison rapprochée.
L’huile de tournesol devrait rester pour un moment à un prix record, faute d’huile de remplacement dans les 12 à 18 prochains mois, résume Arlan Suderman, économiste chez StoneX, une plateforme de courtage. Car la guerre est intervenue dans « un contexte déjà tendu », rappelle Paul Désert-Cazenave, analyste chez Grainbow (éditeur de logiciels destinés aux marchés agricoles) : une récolte catastrophique de canola au Canada après la vague de chaleur estivale, des incertitudes sur l’offre d’huile de palme en Indonésie, premier exportateur mondial, et une mauvaise récolte attendue de soja en Amérique du Sud.
En France, premier producteur européen d’oléagineux, la filière appelle à augmenter les surfaces de tournesol, culture « peu gourmande en engrais » et « essentielle » pour l’alimentation animale.
L’enfer du rail
En Ukraine, plusieurs analystes ont annoncé un repli des semis de printemps « de 25 % à 30 % ». L’ensemble de ses ports étant fermés, l’Ukraine a commencé l’exportation de ses céréales par le rail vers la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie. « Tout le monde essaie de faire sortir le maximum de marchandises d’Ukraine », affirme Louisa Gorban, responsable commerciale à Rail Hub Transylvania, un grand terminal intermodal situé près de la frontière entre Roumanie et Hongrie.
Mais les opérations sont compliquées du fait d’un écartement différent des rails entre l’Ukraine d’un côté et Roumanie et Pologne de l’autre : « Il faut donc disposer d’un endroit spécifique où l’on peut passer d’une version à l’autre, ce qui est rare. Ou alors il faut improviser. Soit avec des convoyeurs pour essayer de faire passer (la marchandise) d’un train à un autre, soit par camion, mais le camion n’est rien comparé à ce dont nous avons besoin », détaille-t-elle.
Ces efforts énormes ne permettent d’exporter que « quelque 18 000 tonnes de céréales par jour – soit 7 % de la capacité maritime – ce qui n’est vraiment pas grand-chose », souligne Gautier Le Molgat.
Le blé russe a la cote
La Russie a augmenté ses prévisions d’exportation de blé pour mars, à 2,2 millions de tonnes (+ 600 000 tonnes), « légèrement au dessus de la moyenne des trois dernières années », relève Andrey Sizov, du cabinet de conseil agricole russe SovEcon.
« Il y a eu quelques problèmes avec les paiements, car certaines banques ont refusé d’envoyer de l’argent en Russie, mais il semble que cela ait repris progressivement », indique-t-il.
Pour Peter Mooses, de la société de courtage RJO Futures, le marché des céréales commence à se recentrer sur ses fondamentaux : la météo avant les semis de printemps et les prévisions d’exportations, notamment de l’Inde qui commence à récolter.