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Mobilisation des agriculteurs

Bruxelles fait une concession sur les jachères


AFP le 31/01/2024 à 17:25
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(© Compte X FDSEA Ile de France)

Le président du principal syndicat agricole FNSEA s'emploie mercredi à modérer l'« énorme attente » des agriculteurs qui continuent d'occuper des autoroutes, mais la Commission européenne a fait une première concession sur une revendication majeure, concernant les jachères.

« L’attente est énorme » parmi les agriculteurs qui manifestent en France, a souligné le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau, devant les sénateurs. « Elle peut être même au-delà de ce qu’on imagine, avec évidemment (…) des sujets qui ne se règlent pas en trois jours. Donc j’essaie d’appeler au calme et à la raison ». Mais si le gouvernement n’apporte pas de réponses « en profondeur », le Salon de l’agriculture fin février ne sera pas « une visite de santé » pour les responsables politiques, a prévenu Arnaud Rousseau.

La grogne remonte jusqu’à Bruxelles, où le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, se trouve mercredi après-midi, avant le président de la République, Emmanuel Macron, jeudi, pour défendre plusieurs revendications des agriculteurs. Sans attendre leur arrivée, la Commission européenne a donné des gages. Elle lâche du lest sur deux revendications majeures cristallisant l’exaspération contre l’UE, mais sans certitude de pouvoir désamorcer la colère.

Produits ukrainiens

Bruxelles propose certes de renouveler pour une année supplémentaire, entre juin 2024 et juin 2025, l’exemption de droits de douane accordée à l’Ukraine depuis le printemps 2022 pour soutenir le pays en guerre. Mais en l’assortissant de « mesures de sauvegarde » renforcées limitant l’impact des importations de produits agricoles ukrainiens, lesquelles ont bondi de 11 % en valeur sur un an en janvier-septembre 2023.

Les agriculteurs accusent l’afflux de céréales, oeufs et poulets d’Ukraine de plomber les prix locaux, notamment dans les pays riverains, et d’entretenir une concurrence « déloyale » faute de satisfaire certaines normes (volailles élevées en masse…), dénonçant « un fardeau insoutenable ».

Selon le texte soumis aux Etats et eurodéputés, « des mesures correctives rapides » pourront être adoptées en cas de « perturbations importantes » sur le marché, même si elles ne concernent qu’un ou plusieurs Etats.

Pour les produits « sensibles » – volaille, oeufs et sucre -, un « frein d’urgence » est prévu pour « stabiliser » les importations aux volumes moyens importés en 2022 et 2023, niveaux au-delà desquels des droits de douane seraient réimposés.

Les organisations agricoles ont aussitôt jugé « inacceptable » l’exclusion des autres produits d’un tel mécanisme, jugeant « insuffisants » les garde-fous prévus.

L’arsenal de restrictions restera supervisé par Bruxelles, à rebours de l’embargo imposé unilatéralement courant 2023 par des Etats voisins de l’Ukraine au grand dam de la Commission, gendarme de la politique commerciale. « Ces mesures vont permettre de lever ces restrictions unilatérales illégales en Pologne, Slovaquie et Hongrie », espère le Premier ministre ukrainien Denis Chmygal, pour qui l’exemption douanière « renforce » la précaire économie du pays.

Dérogation partielle pour les jachères en 2024

Autre motif de grogne : les obligations de jachères imposées par la nouvelle Politique agricole commune (Pac) entrée en vigueur début 2023. Pour toucher les aides européennes, les agriculteurs doivent respecter des critères agro-environnementaux, et notamment laisser au moins 4 % des terres arables en jachères ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares…).

Cette obligation de jachères avait été suspendue entièrement l’an dernier sans conditions, pour compenser les perturbations de l’offre céréalière ukrainienne et russe suite au conflit. Elle ferait pour 2024 l’objet d’une « dérogation partielle », selon la proposition soumise aux Vingt-Sept pour adoption rapide.

Les agriculteurs pourront bien bénéficier des aides de la Pac même s’ils n’ont pas 4 % de jachères, à condition toutefois qu’ils atteignent 7 % de cultures intermédiaires ou fixatrices d’azote (lentilles, pois…) sans usage de produits phytosanitaires.

« Avec l’empilement de facteurs – catastrophes météorologiques, tensions géopolitiques, prix élevés de l’énergie-  nous sommes obligés d’agir pour desserrer la pression » sur les revenus agricoles, observe le commissaire en charge du Pacte vert, Maros Sefcovic. Bruxelles avait initialement refusé de reconduire la dérogation cette année, malgré l’appel insistant d’une majorité d’Etats dont la France.

Le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a salué mercredi « une solution simple et pragmatique qui conjugue transition et production ».

Une « première étape importante pour nos agriculteurs », a abondé le Premier ministre belge Alexander De Croo. Son pays connaît d’importantes mobilisations d’agriculteurs qui s’inviteront jeudi à Bruxelles en marge d’un sommet des Vingt-Sept, alors que d’autres sujets de mécontentement couvent : accords commerciaux comme le Mercosur, normes écologiques appliquées diversement selon les Etats membres…

La dérogation sur les jachères intervient « tardivement » dans le calendrier agricole et « reste limitée », a déploré le Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires européens. Réclamant des dérogations sur d’autres obligations écologiques (rotation des cultures…), il a appelé les Etats à « renforcer » la proposition.

Tensions à Rungis

En France, la mobilisation des agriculteurs se poursuit. Et l’une des « lignes rouges » du gouvernement a été franchie mercredi, selon la préfecture de police de Paris : 18 personnes qui tentaient de bloquer Rungis, dans le sud de Paris, ont été interpellées dans la matinée. Quinze sont en garde à vue, selon le parquet de Créteil.

Le tentaculaire marché de gros qui alimente Paris est la destination annoncée d’un convoi d’agriculteurs en colère partis du Sud-Ouest à l’appel de la Coordination rurale, mais les forces de l’ordre bloquent leur avancée dans le Loiret. Les agriculteurs, à bord de quelque 200 à 300 tracteurs, sont immobilisés depuis 11h à Sully-sur-Loire (Loiret), à 170 km de Rungis. Des renforts de véhicules blindés « Centaure » leur bloquent la route dans le Loiret et l’Essonne, selon l’entourage du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Au total, en France, il y a mercredi à la mi-journée plus de 80 blocages, 4 500 engins et 6 000 manifestants, selon une source policière à l’AFP.

Signe que les tractactions sont intenses en coulisses, des responsables de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne (les 2e et 3e syndicats agricoles) ont été reçus par le Premier ministre, Gabriel Attal, à Paris mercredi, selon une source proche de l’exécutif. La FNSEA et le syndicat allié Jeunes agriculteurs (JA) avaient, eux, été longuement reçus lundi et mardi.

La FNSEA et les JA ont présenté 122 revendications. « Il y a des échanges avec nos représentants dans les régions, les différentes filières » pour soupeser les réponses du gouvernement, a rapporté la FNSEA à l’AFP.

Grandes surfaces ciblées

Sur le terrain, les agriculteurs restent motivés. En Ile-de-France, huit autoroutes sont entravées par des barrages et fermetures partielles, selon le site de suivi du trafic Sytadin. Cela n’empêche pas d’arriver à Paris mais force à faire des détours.

Autour de Lyon, le but des agriculteurs est d’encercler la troisième ville de France en coupant toutes les autoroutes y menant.

Plusieurs grands axes de circulation en régions – notamment autour d’Orange, Nîmes, Arles, Aix-en-Provence, Grenoble ou Nantes – sont touchés par des barrages filtrants, blocages ou manifestations.

Les automobilistes doivent contourner les obstacles. Résultat : « Le réseau secondaire est particulièrement saturé et la circulation difficile du fait du report de trafic », souligne Vinci Autoroutes dans un communiqué.

« Sans vraiment des prises de décisions fortes (…), il y a des chances qu’on soit de nouveau ici présents ou sur un autre point la semaine prochaine, au moins un jour par semaine, à bloquer des axes très importants », a prévenu depuis un blocage en Gironde, Samuel Allix, producteur de pommes de terre.

Les grandes surfaces sont aussi de plus en plus visées, la Confédération paysanne, classée à gauche, appelant explicitement « à bloquer les centrales d’achat » de la grande distribution.

« On veut que la grande distribution et les industriels partagent au mieux leurs marges et qu’elles payent les agriculteurs au prix juste », a déclaré à l’AFP Laurent Thérond, porte-parole de la Confédération paysanne du Vaucluse.