Accéder au contenu principal
Témoignages

Chez les jeunes ou futurs agriculteurs, passion et peur de l’avenir enchevêtrées


AFP le 26/01/2024 à 09:30
bc48458f-c-chez-les-jeunes-ou-futurs-agriculteurs-passion-et-peur-de-l-avenir-enchevetrees

(© FDSEA 59-62)

« Avec ces manifestations, c'est l'espoir qui domine, peut-être le dernier espoir » : comme Guillaume Julliot, de jeunes agriculteurs ou ceux qui se destinent à ce métier rencontrés lors de protestations dans toute la France témoignent de leur passion, teintée d'une profonde angoisse pour l'avenir.

« Aujourd’hui, déjà en reprenant une exploitation familiale, c’est plus que compliqué, alors partir de rien du tout dans les céréales ou les vaches laitières, c’est impossible », confie le jeune homme, à la tête de 300 vaches laitières à Dolmayrac (Lot-et-Garonne), à seulement 23 ans.

« Je n’arrive pas à payer ce que je dois, les plaisirs sont très succincts, le moindre plaisir qu’on s’accorde, il y a toujours cette résonance derrière « sois raisonnable ». A mon âge ça fait réfléchir », ajoute-t-il, demandant avant tout plus de « considération » et moins « d’agribashing ».

Seuls 20 % des agriculteurs ont moins de 40 ans, et avec un âge moyen dépassant 50 ans, la question de la relève est cruciale: la moitié des fermes françaises sont dirigées par des exploitants censés partir à la retraite d’ici 10 ans.

A l’autre extrémité de la France, à Seclin, au sud de Lille, parmi les protestataires les tracteurs qui bloquent jeudi l’autoroute A1, nombre de futurs agriculteurs, dont certains préparent des solutions de repli. Louise et Jeanne discutent. « Si on est payé 500 euros par mois et qu’on travaille corps et âme pour nourrir la population, il faut qu’ils nous écoutent maintenant », résume Louise, 18 ans, élève en lycée agricole.

Assise à ses côtés sur des bottes de paille entassées sur l’autoroute, flanquées de l’inscription « oui à l’agriculture française, non à la merde étrangère », Jeanne, 16 ans, fille d’agriculteurs. Comme elle, l’adolescente dit vouer une « passion » à ce métier, mais elle envisage de poursuivre ses études en école d’ingénieur pour avoir « une roue de secours » en plus de la reprise de l’exploitation familiale.

Dans le cadre de la politique agricole européenne, « on est suivi en satellite de partout, on est toujours traqués et au moindre détail, on n’a plus les aides, et les produits qu’on fait ne sont même pas valorisés », dénonce-t-elle.

Paperasse

Arthur Bernard, 19 ans, étudiant en BTS agricole, veut poursuivre en master de droit rural avant de reprendre l’exploitation familiale en agriculture biologique, qui fait de la viande bovine, du maraîchage et des grandes cultures à Louville (Nord). « Mes parents veulent que j’ai un bagage important, parce qu’on ne sait jamais ce qu’il peut se passer, imaginons que la ferme ne soit plus viable, il faudrait repartir sur le marché du travail », explique-t-il.

Il se dit inquiet à la fois du manque de main d’œuvre, de l’augmentation du coût du gazole, de la valorisation insuffisante des produits bio. « La paperasse, ça devient de pire en pire. On fait des journées et des journées de bureau », déplore également le jeune homme.

Un constat partagé par Martial Derveaux, 39 ans, qui a repris il y a quatre ans l’élevage de vaches laitières familial à Halluin (Nord). « On doit déclarer les entrées, les sorties, les naissances, combien on a de bêtes en moyenne sur l’année, dans quelles pâtures elles vont », liste-t-il.

« Si on veut garder en France une agriculture de type familial et ne pas avoir de grosses boutiques comme on peut connaître dans certains pays, il va falloir mettre les moyens », analyse Yannis Baltzer, 33 ans, président des Jeunes agriculteurs du Bas-Rhin, rencontré lors d’une action près de Strasbourg.

Face aux contraintes du métier, surtout dans l’élevage, il incite les jeunes à se regrouper, même si « ça fait souvent de plus gros élevages et dans l’acceptation du grand public, ça ne passe pas ». « Si c’était à refaire, je ne m’installerai pas », confie Mathieu Lozac’h, 37 ans, installé depuis 2016 avec sa mère à Plourac’h (Côtes d’Armor), avec 100 vaches allaitantes et un poulailler. « En huit ans, la trésorerie n’a jamais été aussi basse, pourtant, le prix pour les vaches allaitantes n’a jamais été aussi bon. Mais le prix d’achat de tous les produits nécessaires pour faire tourner la ferme n’a cessé d’augmenter plus vite ».